Actualité Basculement populiste en Europe centrale
"On veut un deuxième Budapest, pas Kiev" – Banderole portée par des nationalistes polonais lors d'une manifestation de l'extrême droite hongroise à Budapest, le 15 mars 2015.

Quo vadis Mitteleuropa?

L’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, autrefois très tolérantes, accordent de plus en plus leurs suffrages aux partis nationalistes. Comment expliquer ce revirement ?

Publié le 23 octobre 2017 à 08:21
Andor Derzsi Elekes  | "On veut un deuxième Budapest, pas Kiev" – Banderole portée par des nationalistes polonais lors d'une manifestation de l'extrême droite hongroise à Budapest, le 15 mars 2015.

La Mitteleuropa est un concept qui n’a guère d’équivalent en français. Elle regroupe les pays d’Europe centrale au sens restreint (les Etats membres du groupe de Visegrád : Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie) et les pays germanophones. Une notion qui remonte au XIXe siècle selon laquelle les peuples d’Europe centrale seraient intrinsèquement liés aux populations germanophones, censée justifier l’expansion de la Prusse à l’est. Malheureusement, les derniers événements donnent raison à cette interprétation qui semblait absurde : la percée de l’extrême droite autoritaire prédestinerait peut-être à une destinée commune. Il est temps que la Mitteleuropa revienne à la raison.

Xénophobie de Budapest à Berlin, en passant par Varsovie

Budapest a ouvert le bal dans cette course folle à la xénophobie. Succédant à Ferenc Gyurcsány qui était certes un homme politique cynique mais aussi un progressiste, Viktor Orbán est arrivé au pouvoir en 2010. Il s’est rapidement mis à détricoter la démocratie hongroise. Le Premier ministre autoritaire a profité de la crise des migrants de 2015 pour renforcer son assise en dénonçant la malencontreuse politique de l’Union européenne qui mettrait en danger la sécurité des citoyens en imposant des quotas de réfugiés par Etat membre.

La Pologne l’a suivi dans cette voie. Après huit années de libéralisme et le départ de Donald Tusk à Bruxelles, le parti très conservateur Droit et Justice (PiS) a repris le pouvoir au bord de la Vistule il y a deux ans. Là encore, le nouveau gouvernement a surfé sur la vague des dangereux « islamistes » venus d’ailleurs. Leur religion n’est d’ailleurs pas la seule à être mise en cause. « Les réfugiés musulmans ont apporté le choléra sur les îles grecques et la dysenterie à Vienne » – clamait haut et fort le président du PiS Jarosław Kaczyński en s’en prenant lui aussi aux bureaucrates de Bruxelles.

Et une déflagration a suivi ces dernières semaines. En Allemagne, les deux grands partis traditionnels ont enregistré leurs pires scores depuis 1949 lors des élections législatives du 24 septembre. L’extrême-droite a franchi pour la première fois la barre des 5% depuis la Seconde guerre mondiale au cours de laquelle le “socialisme national” a fait les ravages que l’on connaît. Une entrée remarquée au Bundestag avec pas moins d’un huitième des suffrages et 94 sièges obtenus.

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A peine trois semaines se sont écoulées que son voisin autrichien a de nouveau connu les joies de la montée en force du FPÖ : 26% des voix. Vienne a même frôlé le pire, étant donné que les sondages donnaient l’extrême-droite largement vainqueur en décembre, avec 35% d’intentions de vote, devançant le premier concurrent de 10 points.

Ce samedi, nous avons découvert la nouvelle composition du parlement tchèque. Il sera dominé par le populiste pro-russe et autoritaire Andrej Babiš et son mouvement ANO qui a obtenu près de 30 % des voix, en distançant ses adversaires. Pis, l’extrême-droite y tallone l’ODS conservateur et eurosceptique, arrivé en seconde position (voir ci-dessous).

Des gens chaleureux

Un tableau bien sombre ressort de cette Mitteleuropa. Comme si sa population était renfermée sur elle-même, non encline à la coopération avec les autres. Et pourtant, chaque connaisseur de cette région sait éperdument que ce n’est pas le cas. Je parle en connaissance de cause : j’y ai habité plus de la moitié de ma vie. Après avoir passé ma petite enfance en Tchécoslovaquie, j’ai fait mon école primaire en Pologne, mon lycée en Autriche, mon Erasmus en Allemagne avant de revivre pendant sept ans à Varsovie après mes études. On m’y a toujours accueilli à bras ouvert, moi, le Français, sans même me demander mon origine. J’y ai toujours rencontré des gens chaleureux.

La nature humaine de ces peuples a-t-elle pu changer de manière aussi radicale en aussi peu de temps ? Je ne le crois pas. Ce qui a pu changer en revanche, ce sont ceux qui tirent les ficelles, les influenceurs qui manipulent les foules. Par calcul politique, ils ont attiré l’attention des électeurs sur des problèmes parfois secondaires, parfois réels mais sans apporter de solution crédible, en brandissant en épouvantail un ennemi imaginaire.

Passé communiste et identité

Un lien troublant peut-être établi entre cette montée du nationalisme dans la région et le passé récent : ces pays sont pour la plupart sortis du communisme il y a 25 ans. En Allemagne, ce sont surtout les Länder de l’ex-RDA qui ont accordé leurs suffrages à l’AfD. Une partie du pays où l’électorat votait traditionnellement pour l’extrême-gauche même après la chute du “socialisme réel”. Mais quel est le rapport entre le nationalisme et le communisme ? En apparence, ces deux idéologies n’ont rien à voir l’une avec l’autre.

Cependant, elle ont en commun la stratégie de pointer du doigt un ennemi, de présenter son éradication comme la solution et d’expliquer que seul un pouvoir autoritaire serait à même d’y parvenir à cette fin. Un demi-siècle de communisme a eu son effet : la société civile est plus faible dans la région et les citoyens ont davantage tendance à se laisser séduire par des simplifications populistes.

Autre legs de cette période heureusement révolue : la société a l’impression de ne pas avoir encore assez profité des bienfaits de l’économie de marché pour en partager les fruits avec autrui, en l’occurrence les réfugiés. En Autriche, au contraire, on considère que l’Etat et l’UE ont déjà assez aidé les populations des pays voisins, en les accueillant sur le marché du travail local, en ouvrant les frontières et à travers les fonds structurels. Le pays germanophone de 8 millions d’habitants est trop petit pour accueillir toute la misère du monde.

La question de l’identité nationale est également sensible en Mitteleuropa. Les nations slaves ont toujours eu un attachement viscéral à leur mère-patrie. Toutefois, leurs identités ont souvent été mises à rude épreuve, elles ont toujours été prises en étau entre Berlin et Moscou. Une domination à laquelle certains assimilent celle de Bruxelles de nos jours. C’est pourquoi la politique actuelle de l’Union européenne visant à imposer des quotas de migrants venus d’autres continents et son modèle multiculturel déplaisent.

Dans les pays germanophones, le problème de l’identité revête une toute autre nature.Après la Seconde guerre mondiale et ses atrocités, les Allemands et les Autrichiens avaient honte de leur nationalité. Ce n’est que progressivement qu’ils ont réussi à se construire autour de valeurs comme la démocratie et la liberté. Une recomposition fragile qui serait maintenant remise en cause par des migrants venus de pays prétendument peu tolérants.

La folie des chambres à gaz a totalement immunisé ces deux pays contre l’antisémitisme. D’ailleurs, dès le sortir de la guerre, la RFA a accordé des fonds en réparation à Israël. Et les gouvernements allemands successifs, jusqu’à Angela Merkel, ont toujours mené une politique pro-israélienne. Les réfugiés syriens ne viennent certainement pas en Allemagne pour propager une idéologie antisémite, mais pour fuir le calvaire qu’ils doivent subir au quotidien dans leur patrie. Néanmoins, les raccourcis sont faciles et les populistes n’hesitent pas à qualifier ces migrants d’intolérants, arriérés et antisémites.

Les pays de la Mitteleuropa n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils abritent déjà de nombreux étrangers. Une minorité turque importante habite dans les pays germanophones, de nombreux Hongrois et Roms habitent en Slovaquie. Ces cas de figure ne sont pas toujours des modèles d’intégration, de nombreuses tensions ethniques apparaissent. La Pologne, au contraire, a été très homogène jusqu’à il y a peu. Mais la crise en Ukraine et l’afflux massif d’immigrés de ce pays a servi d’argument à la Première ministre Beata Szydło pour stopper toute immigration venant du sud.

Mitteleuropa, réveille-toi avant qu’il ne soit trop tard !

De nombreux facteurs tendent donc à expliquer cette ascension des formations xénophobes. Toutefois, expliquer ne veut pas dire justifier : les agressions contre les migrants, la rhétorique du bouc émissaire et la fermeture des frontières au sein d’une Europe ouverte sont évidemment inacceptables. D’autant plus que la préservation de l’identité de la Mitteleuropa n’est certainement pas la véritable raison de cette attitude. Elle est un prétexte pour justifier l’autoritarisme et l’étouffement des libertés qu’on observe déjà en Hongrie. Aux portes du pouvoir, l’extrême droite pourrait en faire payer les frais également au peuple autrichien.

Réveille-toi donc, Mitteleuropa ! Tu as prouvé par le passé que tu étais capable du pire mais également du meilleur. C’est la Pologne qui a adopté la première constitution en Europe à la fin du XVIII siècle. C’est l’Allemagne qui a montré la voie de la réconciliation en lançant la construction européenne. C’est la République tchèque et la Slovaquie qui ont prouvé que l’on pouvait divorcer rapidement de manière pacifique, tout le contraire de ce que l’on voit actuellement avec le Brexit. Mitteleuropa, tu as toutes les ressources nécessaires pour rejeter cette infâme idéologie nationaliste. Mais tu dois vite réagir, avant que l’extrême droite ne s’empare du pouvoir de manière irréversible.

République tchèque

Raz-de marée pour Andrej Babiš

Le parti ANO 2011 du candidat populiste Andrej Babiš a remporté haut la main les élections législatives des 20 et 21 octobre, obtenant 78 sièges sur 200 et 29,64 % des voix. ANO 2011 est arrivé premier dans toutes les régions du pays. Babiš a entamé dès le 22 octobre des discussions avec les partis représentés au Parlement pour former un gouvernement, rapporte MF DNES.

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