Actualité Crise du logement

En Europe, se loger devient un luxe

Dans la plupart des pays de l'UE, les prix des loyers et des logements augmente plus rapidement que les revenus. Et se loger est devenu un problème.

Publié le 15 décembre 2017 à 15:16

"La hausse des prix de l’immobilier, à un rythme excédant celui des salaires, est une des causes profondes du sentiment d’appauvrissement des salariés français", explique Patrick Arthus, directeur de la recherche et des études chez Natixis, dans une note parue en octobre. Et cette question épineuse du logement dépasse en réalité le cadre franco-français puisque que l’année 2016 a marqué, dans toute l’Europe, la plus forte hausse des prix du logement à la vente depuis la crise financière de 2008. Les prix ont ainsi progressé de 4,4 % en 2016 (contre 4 % en 2015 et 2,5 % en 2013), selon la deuxième édition du rapport sur l’état du logement en Europe, publié par Housing Europe, une fédération de bailleurs sociaux publics et coopératifs qui détient 26 millions de logements dans 24 pays européens.

Malgré de fortes disparités, les Etats européens partageraient donc un mal commun : la cherté de leurs logements. "Ce constat va clairement à l’encontre du discours rassurant véhiculé par le président de la Commission européenne, Jean Claude Juncker, sur le retour de la croissance en Europe et m’empêche de partager son optimisme", souligne Cédric Van Styvendael, président de Housing Europe.

Pas moins de dix pays ont dépassé cette année le seuil d’alerte de 6 % de hausse annuelle des prix du logement – hors inflation – défini par l’Union européenne, dont le Portugal (+6,1 %), l’Irlande (+6,6 %), la République Tchèque (+6,7 %) ou encore la Suède (7,6 %). Selon les auteurs du rapport, cette pression à la hausse s’expliquerait notamment par un recul du secteur de la construction, qui n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant crise (le secteur représentait 6 % du PIB en 2006 contre seulement 3,7 % en 2016).

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Dans certains pays, l’évolution des prix semble s’améliorer, comme en Grèce, en Italie – ou même en France où le niveau des prix est resté quasiment stable (+ 1 % en 2016) après avoir connu de fortes hausses. Mais la situation n’y est pas rose pour autant, car les prix du logement progressent plus rapidement que les revenus des ménages, dont la situation économique s’est globalement dégradée depuis la crise.

Un taux d’effort excessif

Résultat, les ménages consacrent au logement une part de plus en plus importante de leur budget. De 21,7 % en 2000 (et 22,5 % en 2005), cette part a atteint près d’un quart du revenu des ménages européens en 2015 et constitue partout le premier poste de dépenses. Les ménages européens sont ainsi de plus en plus nombreux à subir un taux d’effort excessif pour se loger ; c’est-à-dire qu’ils y consacrent plus de 40 % de leurs revenus. Cet effort est d’autant plus important dans les grandes villes, où se concentrent les opportunités d’emploi.


Relancer la construction de logements…

Comment peut-on remédier à cette situation ? Deux types de politiques sont traditionnellement utilisés de façon conjointe par les gouvernements pour réguler le secteur du logement : d’une part, l’attribution d’allocations logements aux ménages dans le besoin (on parle alors du côté "demande") et, d’autre part, la dépense publique en faveur de la construction de nouveaux logements (on se situe alors du côté "offre").

Or, cette seconde composante a considérablement diminuée depuis la crise, indiquent les auteurs d’une récente note publiée en octobre par Housing Europe. "Alors qu’en 2009, 47 % de la dépense publique des états européens en faveur du logement était consacrée à la construction de nouveaux immeubles et 53 % à l’octroi d’allocations logement, ces proportions sont aujourd’hui respectivement de 25 et 75 %" indiquent-t-ils, en invitant à relancer les aides à la construction. "La construction massive de logements dans les zones les plus tendues impacterait négativement les prix des loyers, et donc à terme réduirait les montants d’aides personnelles allouées" explique l’économiste français Pierre Madec dans un récent billet de blog.

… Mais pas à n’importe quel prix

Encore faut-il construire des logements abordables, qui ne bénéficient pas uniquement aux classes sociales les plus aisées. Or, paradoxalement, le soutien public au logement social a nettement diminué depuis la crise. Des coupes budgétaires difficiles à justifier alors que "dans de nombreux pays européens la construction de logements sociaux a eu un rôle contra cyclique dans la période immédiate d’après crise" soulignent les experts de Housing Europe. Nous assistons donc, en Europe, à l’augmentation croissante du nombre de citoyens en attente d’un logement social. En France, 1,9 million de personnes sont actuellement en attente du traitement de leur dossier, contre 1,2 million en 2010. En Irlande, ce chiffre a quasiment doublé entre 2008 et 2010, pour atteindre aujourd’hui 96 000 personnes.

Gare au mal logement

Et s’il faut construire plus, la solution consiste-t-elle pour autant à lever les normes environnementales et sociales qui existent dans le secteur de la construction pour réduire les coûts de construction, comme le prévoit le "Plan logement" présenté par le ministre français de la Cohésion des territoires en septembre dernier ? Rien n’est moins sûr. Et pour cause, la qualité des logements en Europe est déjà fortement dégradée, indique un rapport de la fondation Abbé Pierre publié en mars, et n’a donc pas besoin d’un tel nivellement par le bas.

Les ménages européens les plus précaires – en particulier dans les pays du Sud – sont en effet de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir maintenir une température adéquate dans leur logement, en raison de problèmes d’isolation. En 2015, près d’un quart des ménages européens sous le seuil de pauvreté (23,5 %) avaient des difficultés à se chauffer, ce qui correspond à une hausse de 2,4 points de pourcentage depuis 2009. Si l’on considère l’ensemble de la population, cette proportion est restée stable autour de 10 %. . Au total, près de 11 millions des ménages européens connaissent une situation de privation sévère liée à leur logement.

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