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La Merkelisation de l’Europe

Angela Merkel est la plus puissante dirigeante de l’UE, et elle se présente pour un quatrième mandat dimanche 24 septembre. Que disent les chiffres sur ce qui a changé en Allemagne et en Europe au cours des années pendant lesquelles elle a été au pouvoir ?

Publié le 22 septembre 2017 à 12:03

Ce n’était pas la pire entrée en matière que l’on pouvait s’imaginer à Bruxelles. Le Berliner Zeitung avait qualifié Angela Merkel de “nouvelle étoile du drapeau européen” après son premier sommet européen en décembre 2005. Die Welt s’émerveillait face “l’aisance surprenante” de la chancelière dans les salons européens. Le Financial Times avait baptisé la novice sur l’arène européenne - alors à la tête de l’exécutif depuis quelques semaines — “Lady Europa”.

Les dirigeants européens ne s’étaient mis d’accord que sur un point, en ce qui concerne la perspective budgétaire suivante : y consacrer plus d’un pourcent du PIB. C’était un compromis a minima typique pour Bruxelles : le pire a été évité, de nombreux dossiers brûlants ont été remis à plus tard, par exemple la limitation des aides agricoles astronomiques ou la mise en place de politiques économiques, de sécurité et de défense communes. Toutefois, Angela Merkel méritait tous les éloges. “Notre chancelière sauve le sommet européen presque à elle toute seule”, jubilait le [tabloïd] Bild avant de demander : “Pourquoi obtient-elle toujours ce qu’elle veut ?”

Bien des experts se sont creusés la tête pour répondre à cette question depuis lors. En juillet 2015, Merkel a imposé sa ligne dure lors d’un sommet décisif et dramatique sur les dettes de la Grèce. La chancelière semblait à l’apogée de son pouvoir et se sentait suffisamment puissante pour convaincre ses partenaires européens sur la marche à suivre face à la crise des réfugiés.

Et pourtant, bien que ce sujet tienne Merkel à coeur, qui agit de manière réfléchie, le dossier n’a pas avancé. Elle a ouvert, à l’été 2015, les frontières de l’Allemagne, sans pratiquement avoir consulté les autres Etats membres, en espérant qu’un compromis serait trouvé par la suite sur la répartition des réfugiés dans l’UE. Cependant, les dirigeants européens désavouaient les uns après les autres la politique de Merkel, tout en laissant passer les réfugiés se rendant en Allemagne. Résultat : c’est l’Allemagne qui doit traiter la grande majorité des demandes d’asile.

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Ensuite, Merkel a mis en oeuvre une tactique éprouvée : elle a pris le taureau par les cornes, tout en essayant d’éviter que cette situation ne fasse grand bruit. Cette approche supposait d’éviter un changement rhétorique radical, mais la véritable politique a pris un tournant net sur la question des migrants : les frontières ont été fermées. Les fonctionnaires européens avouent à mots couverts, les dents serrés, que le premier ministre hongrois Viktor Orban, très conservateur, l’a emporté face à Merkel.
Résultat : alors que le nombre de demandes d’asile a encore augmenté l’année dernière, avant tout en raison du traitement des dossiers qui dure souvent des mois entiers, le nombre de nouveaux-arrivants en Allemagne a fortement baissé :

En outre, le gouvernement allemand veut expulser les milliers de personnes qui se trouvent encore en Allemagne malgré leurs demandes d’asiles rejetées dans le cadre “d’un effort national important”. Jusque-là, Berlin faisait plutôt preuve de circonspection en la matière, par rapport aux autres Etats membres :

Néanmoins, les derniers chiffres montrent que les derniers efforts n’ont eu, du moins jusqu’à présent, qu’un effet dérisoire. Aucune hausse sensible du nombre d’expulsions n’a été observée :

Mais le contrecoup de l’ouverture des frontières de 2015 se fait ressentir dans les enquêtes d’opinion. L’AfD risque de faire son entrée au parlement avec un résultat à deux chiffres – et Merkel doit s’attendre à essuyer des critiques en raison de sa politique des réfugiés qui a favorisé l’émergence de l’extrême droite.
Autre reproche qu’on pourrait adresser à Merkel : sa politique de rigueur dont a pâti l’Europe du Sud a renforcé les divisions au sein de l’UE. Cette critique a perdu en importance depuis que les économies des pays plongés il y a encore peu dans une crise (Portugal, Espagne) ont repris du poil de la bête et que la Grèce peut se financer elle-même sur les marchés.
Mais l’Allemagne risque à l’avenir de se faire davantage tirer les oreilles en raison de sa balance commerciale.

Dans l’absolu, ces chiffres semblent positifs, mais ils sont problématiques si on les compare à ceux du reste de l’UE. Le solde commercial de l’Allemagne présente un excédent substantiel avec tous les autres Etats membres de l’UE depuis 15 ans déjà. Au cours des dernières années, le gouffre s’est encore creusé :

L’Allemagne est très critiquée sur la scène internationale en raison de ce déséquilibre. Mais le gouvernement ne prend au sérieux ce problème que depuis que le président des Etats-Unis Donald Trump s’est exprimé à ce sujet en l’invectivant et en formulant des menaces. En effet, les Allemands eux-mêmes commentent de plus en plus avec inquiétude les publications successives de statistiques sur les exportations record. Néanmoins, aucun changement de cap en perspective : l’année dernière, l’excédent commercial a atteint les 300 milliards de dollars. L’Allemagne se place ainsi au premier rang à l’échelle mondiale, clairement devant la Chine, dont l’excédent du compte courant au cours des prochaines années devrait baisser, selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). L’excédent de l’Allemagne devrait au contraire continuer à augmenter.

Les plaintes contre Berlin se sont accrues sur un autre point : la hausse des dépenses militaires du pays. En 2014, les Etats membres de l’OTAN se sont mis d’accord lors du sommet de Newport sur le fait de les porter à 2% du PIB. Avec ses 1,2%, l’Allemagne, comparée à ses voisins européens, est loin d’être un modèle :

La croissance économique est un problème pour le gouvernement de ce point de vue également : en termes absolus, les dépenses de l’armée allemande augmentent, bien que leur part dans le PIB (qui croît lui aussi) reste pratiquement au même niveau. Un passage à 2% aurait accru les dépenses de 37 à 70 milliards d’euros. A titre comparatif, la France dispose d’un budget de défense de 40 milliards d’euros, dont une bonne partie est consacrée à l’arsenal nucléaire très onéreux. Même la Russie ne dépense que 60 milliards d’euros par an pour ces forces armées.

Le scepticisme du ministre de la défense Sigmar Gabriel (SPD) à l’égard de la règle des 2 % en dit long. Même au sein de la CDU de Merkel des voix réticentes se font entendre. Certains redoutent que les partenaires européens soient mécontents de voir Berlin les dominer non pas qu’au niveau économique, mais également sur le plan militaire. La confiance de l’Europe, craignent certains, a des limites, même après douze années de règne de Merkel.

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Cet article est publié en partenariat avec the European Data Journalism Network

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