Idées Elections législatives en Autriche

Une campagne qui n’annonce rien de bon

En décembre dernier, de nombreux Européens ont poussé un soupir de soulagement lorsque ce qui s’annonçait comme le premier succès électoral décisif pour un populisme nationaliste s’est transformé en son contraire.

Publié le 12 octobre 2017 à 09:44

Le candidat vert indépendant Alexander van der Bellen a remporté l’élection présidentielle autrichienne qui a eu des airs de thriller politique mettant en jeu les valeurs démocratiques. Vienne était alors assiégée par les médias internationaux, qui s’attendaient à ce que Norbert Hofer, le candidat du Parti autrichien de la liberté (FPÖ), devienne le premier chef d’Etat d’extrême droite dans une démocratie occidentale depuis la Seconde guerre mondiale.

Mais ce n’est pas arrivé.

Quelques mois plus tard, ni Geert Wilders aux Pays-Bas ni Marine Le Pen en France ne sont parvenus à ébranler la cohésion de l’Europe centriste.

Mais l’extrême droite remet ça. Cela pourrait aller de mal en pis en Autriche, ainsi qu’en Europe. Et c’est encore Vienne qui demeure au centre de l’attention. A quelques jours des élections législatives prévues pour dimanche, il est difficile d’imaginer une coalition de gouvernement qui n’inclurait pas le FPÖ, explicitement xénophobe et viscéralement anti-européen. Et la perspective de voir Norbert Hofer – malheureux à l’élection présidentielle – faire un retour sur la scène européenne en tant que ministre autrichien des affaires étrangères n’est plus une spéculation improbable. Au contraire, ce scénario semble très plausible.

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Au cours des dernières semaines, le Parti de la liberté a profité de nombreux scandales qui ont éclaboussé avant tout les sociaux-démocrates (SPÖ). Ces derniers ont tenté de dénigrer de manière honteuse leur ancien partenaire de coalition, les chrétiens démocrates (ÖVP).

Deux fausses pages Facebook devenues très populaires, se cachant sous de faux noms, diffusant de fausses informations et s’inspirant de théories du complot antisémites, visent à discréditer le dirigeant de l’ÖVP, Sebastian Kurz. La première page, « La vérité sur Sebastian Kurz », attaque le ministre des affaires étrangères de 31 ans par sa droite, en le qualifiant de toutou au service du financier américain d’origine hongroise George Soros, qui aurait pour projet d’ouvrir les frontières de l’Europe à une nouvelle vague de migrants islamistes. Le fait que Kurz, au contraire, s’est fait un nom en tant que tenant de la ligne dure sur l’immigration et aime se targuer d’avoir stoppé la route des Balkans n’a aucune importance dans ce contexte. L’objectif des faux posts est de tromper les électeurs radicaux pour qu’ils se gardent de voter pour l’ÖVP.

La seconde, "Nous sommes avec Kurz", est censé représenter les soutiens de l’ÖVP, mais ses arguments et positions sont exagérés de telle sorte que le jeune dirigeant de parti en ressort comme un propagateur radical de la haine. Le but cette fois-ci est de faire peur aux électeurs modérés.

Ces deux pages Facebook sont l’œuvre de Tal Silberstein, recruté par les Sociaux-démocrates comme conseiller pour la campagne électorale. Silberstein est un expert international reconnu des "campagnes sales" visant à diffuser des informations présentant sous un mauvais angle les candidats d’autres partis. Ou, dit autrement : traîner dans la boue en utilisant tous les moyens à disposition et tordre la vérité, un concept plus que relatif.

Le fait que le SPÖ a mis fin à sa collaboration avec Silberstein il y a quelques mois, après son arrestation en Israël pour blanchiment d’argent présumé, n’y change rien. Le mal a été fait et aussi bien le parti que son dirigeant Christian Kern en ont payé les frais. Le nouveau chef de file de la formation, élu l’année dernière, a cultivé une image d’homme politique impeccable, se plaçant au-dessus des querelles partisanes et évitant les coups bas. Les pages Facebook ont encore fonctionné bien après que Silberstein a été remercié. Qui les a animées ? Avec quel financement ? Ces questions ne trouveront réponse probablement qu’après le scrutin – dans les tribunaux.

Les commentateurs politiques autrichiens comparent ces intrigues et leurs effets vertigineux à la série télévisée House of Cards. Tout spectateur qui a vu le couple présidentiel fictif Claire et Frank Underwood manipuler non pas uniquement les relations entre les partis Démocrate et Républicain à Washington, mais aussi le système démocratique dans son ensemble, comprendra l’ampleur du chaos actuel en Autriche.

Il est compréhensible que des mouvements politiques acculés au pied du mur veuillent se défendre. La social-démocratie européenne en fait indéniablement partie : en France, les socialistes ont pratiquement été balayés de la scène politique et les dernières législatives en Allemagne ont métamorphosé le SPD, colosse sur lequel reposait l’Etat devenu parti de taille moyenne comme il y en a tant d’autres. Il n’y a pas matière à s’étonner que de tels partis en crise veuillent à présent rendre la monnaie, œil pour œil, dent pour dent.

Le FPÖ n’est pas isolé : l’AfD en Allemagne et Donald Trump aux Etats-Unis ont également connu la réussite surfant sur des campagnes sales et négatives, dépeignant leurs adversaires politiques si ce n’est comme le mal absolu, du moins comme des candidats inéligibles. Il est donc compréhensible, d’un point de vue psychologique, que les Sociaux-démocrates aient cédé aux chants de sirènes. Mais la prise de conscience de l’impact entraîné est sans doute arrivée trop tard. Maintenant, ils doivent en subir les conséquences.

En 1999, l’Autriche a disputé un match de football contre l’Espagne. A la mi-temps, les Espagnols menaient 5-0. On a demandé à un des joueurs autrichiens quel serait l’issue du match. "Notre victoire ne sera pas éclatante", a-t-il rétorqué. L’Espagne l’a emporté 9-0. Il semblerait que la situation des Sociaux-démocrates autrichiens soit la même à présent. Au lieu de vouloir concurrencer leur ancien partenaire de coalition ÖVP pour arriver en première position, ils se battent à présent pour garder leur deuxième place qu’ils risquent de perdre au profit du Parti de la liberté.

Un proverbe allemand dit : quand deux personnes se battent, une troisième se réjouit. Les représentants du FPÖ ont du mal à cacher leurs sourires. Après un début de campagne très agressif, ils se mettent littéralement en retrait à présent, en particulier dans les confrontations directes et les débats qui dominent le programme de la télé autrichienne. Ils se réjouissent de ce spectacle pathétique qui n’amuse ni ne profite à personne d’autres qu’à eux-mêmes.

Toutefois, les leçons que l’on peut tirer de ce scandale dépassent largement les frontières du petit pays alpin. Lorsque les représentants des partis politiques ayant une longue et respectable tradition démocratique commencent à abandonner certains de leurs fondamentaux ayant trait à la culture politique démocratique, ce ne sont pas que ces partis qui s’en trouvent affectés mais le paysage politique tout entier. Cette mutation est observée autant en Autriche dont les électeurs se déplaceront dimanche (ou resteront chez eux) que dans le reste de l’Europe.

"L’Autriche est un petit monde, dans lequel le grand fait la répétition générale", notait le dramaturge et poète Friedrich Hebbel dès le XIXe siècle. La comédie entachée par cette sale campagne jouée en ce moment à Vienne pourrait bien se terminer en tragédie européenne.

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