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Tiraillée entre la Nation et l’Europe

Le nouveau Musée de la Seconde guerre mondiale de Gdańsk est un champ de bataille entre les visions nationaliste et libérale de l'identité nationale polonaise. Au cœur du débat, une question : dans quelle mesure l’histoire polonaise et l’histoire européenne sont-elles liées ?

Publié le 2 août 2017 à 09:44

Dans un des chapitres les plus captivants du livre Le Tambour de Günter Grass, l’auteur décrit le siège du bureau de poste de Gdańsk, qui a eu lieu le 1er septembre 1939.
La ville, alors autonome, séparait la Prusse- Orientale du reste de l’Allemagne et offrait à la Pologne un accès indirect à la mer. Cette offensive menée par l’Allemagne Nazie marque le début de la Seconde guerre mondiale. La construction, très médiatisée, d’un musée à Gdańsk consacré au conflit est donc loin d'être un fait anodin.
Il est situé à quelques centaines de mètres des chantiers navals, ceux qui furent le bastion de Solidarność avant 1989 : cette ville polonaise est incontestablement un lieu de mémoire européen.
Le musée est l’un des plus grands du pays, s'appuie sur un comité scientifique international et utilise des techniques d’exposition innovantes, le tout dans un bâtiment à l’architecture iconique : on ne saurait sous-estimer la portée politique et culturelle du projet, qui représente tout de même 10 ans de labeur et plus de 100 millions d’euros investis. Au début du printemps, il a enfin ouvert ses portes, mais tant sa collection permanente que sa gestion ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois en Pologne, où le souvenir de la Seconde guerre Mondiale et des relations avec les pays voisins continue de susciter de vifs débats.
Plus de 70 ans après la fin du conflit, la guerre reste un sujet important pour l’opinion publique européenne. Les perspectives qui existent pour l’aborder sont aussi diverses que nombreuses. Bien entendu, les conservateurs du musée de Gdańsk devaient faire le choix d’un angle particulier : c’est pourquoi ils ont pris deux décisions essentielles. Premièrement, le musée doit mettre l’accent sur le quotidien des personnes touchées par le conflit, pas seulement des soldats. Pour ce faire, de nombreux donateurs privés ont contribué à la collection en offrant des centaines d’objets appartenant à leurs familles.
Deuxièmement, l’exposition doit souligner les liens et les similitudes entre l’expérience de la population polonaise et celle des autres peuples d’Europe. Pour Timothy Snyder, historien de renom, ce musée « constitue la seule tentative en Europe, voire dans le monde, de présenter la guerre comme un conflit véritablement international ». Or, c’est justement ce choix qui fait l’objet de tensions politiques en Pologne.
Le débat sur le musée de Gdańsk est devenu particulièrement tendu depuis le retour au pouvoir du parti Droit et Justice (PiS) en 2015. A ses débuts, le musée avait en effet reçu le soutien de l’ennemi juré du parti, Donald Tusk, lui-même originaire de la ville. Les dirigeants du PiS n’ont pas visité le musée, mais ont fait comprendre qu’ils qu’il n’était pas à leur goût. Ils ont d’ailleurs mené un long combat juridique pour écarter son directeur. Ce combat a duré jusqu’à début avril, lorsque la Cour Administrative Suprême a approuvé la nomination du nouveau directeur, Karol Nawrocki.
Nawrocki devrait être sur la même longueur d’onde que Droit et Justice en ce qui concerne la commémoration de la Seconde guerre mondiale. Il a d’ailleurs d’ores et déjà annoncé que la collection permanente serait modifiée pour donner plus de place à la perspective unique des Polonais. Tout porte à croire que la souffrance des de ce peuple sera soulignée, tandis que les tendances autoritaires de la Pologne de l’entre-deux-guerres et les actes de violence et de lâcheté perpétrés par les citoyens polonais, par exemple contre les Juifs, seront probablement minimisés.
Naturellement, personne ne remet en cause les horribles souffrances subies par la population polonaise pendant la guerre. Toutefois, le PiS fonde son idéologie sur une interprétation nationaliste du passé, qui repose sur la victimisation de la Pologne et l’exaltation de sa singularité. Elle s’oppose en cela à d’autres interprétations, qui préfèrent connecter les histoires polonaise et européenne, sans passer sous silence les parts d’ombre des passés nationaux. De façon plus générale, les efforts du parti Droit et Justice visant à prendre le contrôle du musée de Gdańsk sont symptomatiques de sa volonté de réduire les champs d’expression des visions libérales et indépendantes du pays, comme le démontre, entre autres, son ingérence massive dans les médias.

Traduit de l'anglais par Damien Jacobée et Jeanne Bisch

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