Idées La Pologne et l’histoire – Réaction
Des soldats de la résistance polonaise dans le quartier de Wola, lors du soulèvement de Varsovie, en 1944.

“Ne confondons pas patriotes et nationalistes !”

L’article de Lorenzo Ferrari sur le musée de la Seconde guerre mondiale de Gdańsk a suscité un débat passionné en Pologne. Le journaliste de la radio RMF FM Bogdan Zalewski nous a écrit une longue lettre en guise de réponse. Son argumentation, très controversée, est néanmoins partagée par une partie non négligeable de l’opinion publique et du pouvoir actuel en Pologne. Nous la publions telle que nous l’avons reçue et qu’elle est publiée sur le site de RMF FM. Son contenu n’engage que son auteur.

Publié le 1 septembre 2017 à 11:33
Des soldats de la résistance polonaise dans le quartier de Wola, lors du soulèvement de Varsovie, en 1944.

Madame, Monsieur,

Très souvent, quand je lis des textes sur la Pologne dans la presse étrangère, j’ai l’impression qu’ils me restent incompréhensibles, même s’ils ont été traduits. Un exemple : l’article de l’historien italien Lorenzo Ferrari [Tiraillée entre la Nation et l’Europe](5121254). Rien que le chapeau m’a mis hors de moi, tel le génie de la lampe d’Aladin. “Le musée de la Seconde guerre mondiale de Gdańsk est devenu un champ de bataille entre nationalistes et libéraux en ce qui concerne l’identité nationale polonaise” — tels sont les premiers mots de l’article sur les méandres de l’histoire politique menée au bord de la Vistule. Dès la lecture de cette phrase, en tant que professeur — de polonais et de sciences politiques –— j’ai inscrit un point d’interrogation au feutre rouge à côté du terme “nationaliste”.

Le succès de cette expression est une énigme pour moi, mais elle n’est pas insurmontable et je suis en mesure de la résoudre. Pourquoi le gouvernement du parti Droit et Justice (PiS) et son ministre de la Culture Piotr Gliński sont-ils constamment qualifiés de “nationalistes” ? Ce n’est pas un terme purement descriptif dans le vocabulaire des progressistes qui dominent l’Europe de l’ouest. Le “nationalisme” a une consonance péjorative, c’est une étiquette ? et je pèse mes mots. Il s’agit de marginaliser les Polonais, attachés à leur histoire et traditions nationales, dans un ghetto. Il faut faire le distinguo avec l’épithète “national” dans sa signification culturelle et politique.

Dans le langage politique polonais, le mot “national” n’a pas la même connotation que “nationaliste”, alors que le PiS n’est même pas un parti “national” ! Cette expression est réservée dans notre tradition politique à la Démocratie nationale. Mais même cette mouvance de l’entre-deux-guerre dirigée par Roman Dmowski ne peut être comparée au national-socialisme allemand, autrement dit le nazisme, car elle ne revêtait pas de caractère totalitaire ou criminel. En tout état de cause, Droit et Justice est l’émanation du patriotisme national incarné par le maréchal Piłsudski qui affrontait la Démocratie nationale. Quelqu’un n’a donc pas revu ses cours d’histoire !

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Mais peu importe les subtilités politiques polonaises, même si un chroniqueur étranger devrait minutieusement choisir les termes utilisés en décrivant de manière simplifiée notre scène politique pour pouvoir être pris au sérieux. Une autre question est bien plus fondamentale : la rigueur. On ne peut pas écrire de telles contrevérités ! Lorenzo Ferrari, en résumant grossièrement le conflit polonais sur le musée de la Seconde guerre mondiale, estime que “les dirigeants du PiS n’ont pas visité le musée mais ils ont laissé entendre qu’il n’était pas à leur goût”. Qu’est-ce que ça veut dire “qu’il n’était pas à leur goût” ? On ne parle pas d’un enfant qui s’est mis à bouder sans raison !

L’un des trois experts qui ont évalué à la demande du ministre de la Culture Piotr Gliński la conception du site de Gdańsk n’est autre que le sénateur de Droit et Justice, l’historien professeur d’université Jan Żaryn, dont nul ne saurait remettre en cause les compétences. Son rapport a été transmis au ministère mais également à l’hebdomadaire wSieci et au site wpolityce.pl qui l’ont publié. On peut y lire les reproches détaillés adressés aux initiateurs du musée. Piotr Niwiński, historien spécialiste de la Seconde guerre mondiale et Piotr Semka, chroniqueur conservateur et auteur de livres, ont également émis des avis défavorables. Les accusations n’étaient donc pas des machinations “nationalistes” !

Je ne peux malheureusement pas analyser en détails tous les points, étant donné le peu de place qui m’est imparti. Je vais donc me limiter à la question tant applaudie par Lorenzo Ferrari — “l’accent mis sur la vie quotidienne des populations affectées par la guerre et non sur celle des soldats uniquement”. Piotr Semka reproche aux concepteurs du musée une trop grande focalisation sur “la vie quotidienne”. Il interroge avec justesse : pourquoi l’histoire militaire ne serait-elle qu’un arrière-plan ? Une telle présentation ne risque-t-elle pas de sous-estimer le rôle de la résistance armée des Polonais face à l’agression de l’Allemagne nazie et de la Russie soviétique ?

Mon pays a été le premier à s’opposer militairement à l’offensive conjointe de deux totalitarismes criminels, laissé en pâture par ses alliés occidentaux, avant de former l’État polonais clandestin — l’une des structures souterraines les plus développées. Environ 600 000 Polonais ont participé à la résistance ! Du sang polonais a coulé aux quatre coins du monde. Les historiens estiment que nous avions la quatrième armée alliée en termes de nombre de soldats. Minimiser ce fait au nom de la doctrine “civile” aurait bien des conséquences, non ? N’est-ce pas un moyen de déformer l’image de la Seconde guerre mondiale ? Au nom de l’originalité ?

Lorenzo Ferrari approuve l’idée que “le musée souligne les liens et les similitudes entre les expériences des Polonais et celles des autres Européens”. N’ai-je pas le droit de douter de ce dogme libéral d’un destin commun des Polonais et des autres nations ? Je demanderais crûment : les progressistes ne “permettent”-ils qu’aux Juifs de clamer la singularité de leur vécu en temps de guerre ? Le professeur Timothy Snyder, cité dans l’article, ne s’inscrit-il pas dans cette narration de la singularité absolue de l’Holocauste, qui depuis relativement peu de temps triomphe dans le discours progressiste politiquement correct ?

Comme s’il n’y avait pas dans l’histoire antérieure et ultérieure d’exemples de génocides cruels (celui des Arméniens, perpétré par les Turcs, ou des Ukrainiens pendant la grande famine). Snyder a bien évidemment utilisé un calque dans la polémique avec les adversaires de la conception du musée de Gdańsk, un calque allégrement employé par certains chercheurs en Occident qui ne cachent souvent pas leur ressentiment contre la Pologne : “L’idée de l’innocence polonaise que défend le gouvernement actuel est loin de l’innocence en tant que telle. Si les Polonais n’étaient que des victimes de l’agression nazie, comment peut-on expliquer ces évènements où ils étaient collabos ou coupables ?” Peut-on, dans ce cas-là, considérer que tous les Juifs sont innocents, malgré les nombreux cas de collaboration et de délation de certains d’entre eux vis-à-vis de certains des leurs coreligionnaires et de leurs autres concitoyens, en Pologne et dans d’autres pays ? Leur collaboration anti-polonaise avec les Bolchéviques après l’invasion soviétique, richement documentée, ou la police juive dans les ghettos sont des faits historiques.

Mais ces comportements répréhensibles de certains individus, polonais Juifs ou d’autres confessions , seraient-ils possibles sans l’embrasement de la guerre provoqué par Moscou et Berlin ? La guerre n’est pas une période ordinaire. Et l’Histoire est — paraît-il — une science et non une idéologie. Soyons donc logiques, rationnels et ne soyons pas tendancieux dans nos hypothèses qui découlent de nos propres penchants et aversions, appartenances à un tel ou tel lobby universitaire. Il est clair que ces Polonais minoritaires (d’ailleurs condamnés à mort par les tribunaux de l’État polonais clandestin) n’auraient pas aidé les Allemands, en dénonçant et en tuant les Juifs, si les nazis n’avaient pas envahi notre pays et n’y avaient pas organisé l’Holocauste ! Si les Soviets ne nous avaient pas planté de couteau dans le dos en 1939 ! C’est logique.

La Pologne, avant la Seconde guerre mondiale, n’était pas – contrairement aux grandes puissances européennes – totalitaire et criminelle, même si son régime avait des tendances autoritaires. A l’époque de la II République polonaise, il n’y aurait pas eu d’extermination des Juifs comme dans l’Allemagne d’Hitler ou de Holodomor de millions d’Ukrainiens, comme dans l’Union soviétique de Staline. Et pourtant, c’est nous qui devons battre nos coulpes pour nos péchés présentés de manière exagérée voire inventés. Les mythes se répandent. Je tiens à rappeler une chose que les historiens et journalistes étrangers feignent souvent d’ignorer : les Polonais, contrairement aux Français ou aux Norvégiens, n’ont pas mis en place de gouvernement de collaboration avec l’Allemagne.

Les Polonais ont connu un sort unique pendant la Seconde guerre mondiale ! Mais il était bien évidemment différent de la géhenne juive. Les souffrances des Allemands ne peuvent pas, elles non plus, être mises sur le même plan. Malgré tout ce qu’ils ont enduré et leur effusion de sang, ils ne sont pas les victimes de la Seconde guerre mondiale ! Ils en sont les coupables ! Tout le reste est la conséquence de l’élection démocratique d’Adolf Hitler et du soutien massif pour sa politique criminelle. On ne peut pas parler ici de destin commun. Aucun dénominateur commun non plus avec la France qui a collaboré. La Pologne n’avait pas de gouvernement de Vichy, elle n’organisait pas les rafles et la déportation de Juifs. Elle n’était pas la Norvège du collaborationniste Vidkun Quisling.

Nous ne portons pas le fardeau de militaires servant dans des divisions nationales de SS et on s’étonne que des Français, Néerlandais, Belges, Danois et Ukrainiens aient pu en faire partie. Nous ne sommes nullement liés aux Tireurs de Lituanie qui étaient des tortionnaires ou aux Croix fléchées hongroises. Nous n’avons rien à voir avec les fascistes italiens de Mussolini ou avec les impérialistes japonais. Nous, les patriotes — et non pas nationalistes — polonais, nous n’acceptons pas la falsification de l’Histoire, l’alignement artificiel des responsabilités et la martyrologie ou nom de la post-histoire. En tant que conservateurs droits, nous n’acceptons pas les petits jeux post-modernistes. Nous sommes en quête de Vérité, avec un grand V.

Bien cordialement,

Bogdan Zalewski

Note de la rédaction

A propos de cet article

Une des vocations premières de VoxEurop est d'être un lieu où les Européens, ceux qui façonnent l'opinion publique et surtout ceux qui la constituent, peuvent débattre des questions qui les concernent et qui concernent leur avenir, dans un esprit constructif et démocratique.

C’est dans cet esprit que nous avons décidé de publier cette lettre que nous a adressée Bogdan Zalewski en réaction à l’article de Lorenzo Ferrari qui critiquait l’attitude des autorités polonaises sur la manière dont le sort de leur pays pendant la Seconde Guerre mondiale devait être présenté, bien qu’elle ne reflète pas notre point de vue.

En effet, si sa lettre a le mérite de rappeler le caractère exceptionnel de l’histoire de la Pologne, constamment prise en étau entre deux empires belliqueux, nous ne pouvons cautionner son argumentation sur le comportement des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, qui tend à remettre en cause la singularité de la Shoah.

Toutefois, comme nous l’avons rappelé dans le chapeau, cet article reflète un sentiment et une vision de l’histoire qui est partagée par une partie non négligeable de l’opinion publique polonaise et qui caractérise le pouvoir actuellement en place en Pologne. C’est parce qu’il permet de mieux cerner cet aspect relativement méconnu que nous avons choisi de le publier.

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