Revue de presse Royaume-Uni et Brexit

La risée de l’Europe

Les négociations sur la sortie du pays de l’Union européenne ont commencé à Bruxelles, mais le gouvernement de Theresa May semble ne pas avoir la moindre idée sur ses objectifs et les moyens de les atteindre, affirment plusieurs observateurs européens.

Publié le 21 juin 2017 à 13:46

Il est devenu de plus en plus clair que les partisans les plus extrêmes du Brexit, qui ont dicté l’agenda du gouvernement britannique depuis la démission de David Cameron après le référendum de juin 2016, n’ont pas de véritable plan pour la conduite des négociations, au-delà des slogans sans cesse rebattus au sujet de la “reprise du contrôle”. L’attitude des Européens envers Londres oscille à présent entre l’inquiétude et le désespoir quant à la situation impossible dans laquelle le gouvernement britannique s’est lui-même placé — et le Royaume-Uni avec lui.

Plusieurs articles parus ces derniers jours reflètent ce changement d’humeur sur le continent, et mettent l’accent sur l’amateurisme apparent du gouvernement britannique : des analyses parfois acérées, comme l’implacable éditorial du correspondant de Libération à Bruxelles Jean Quatremer ou l’analyse impitoyable du Spiegel.

Le dernier en date est l’éditorial qui suit, du correspondant de la Süddeutsche Zeitung à Londres, Christian Zaschke, et signalé par Paula Kirby :

Si la situation au Royaume-Uni n’était pas si sérieuse, elle serait presque comique. Le pays est gouverné par un robot animé, surnommé le Maybot, qui a réussi l’exploit de visiter la tour qui s’était embrasée dans l’ouest de Londres sans parler à un seul rescapé ou bénévole intervenu sur place. Les négociations sur la sortie du pays de l’UE ont commencé lundi 19 juin, mais personne n’a la moindre idée de plan. Le gouvernement dépend d’un minuscule parti qui accueille des climatosceptiques et de créationnistes. Boris Johnson est ministre des Affaires étrangères. Mais qu’est-il donc arrivé à ce pays ? Il y a deux ans, David Cameron sortait largement victorieux des élections législatives. Il avait obtenu la majorité absolue des sièges et la carrière de ce tendre poids plume semblait étonnamment pointer vers des sommets enivrants.

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L’économie allait plus vite que celle de tous les autres pays industrialisés. L’indépendance de l’Ecosse et avec elle, la scission du Royaume-Uni avaient été évitées. Pour la première fois depuis 1992, les Conservateurs disposaient de la majorité absolue aux Communes. Le pays se voyait comme un acteur respecté sur la scène internationale. Ce n’était qu’un point de départ. Afin de passer le plus vite possible de cette position confortable au chaos actuel, deux choses étaient nécessaires : d’abord, la haine obsessionnelle de l’UE des Conservateurs de droite ; ensuite, l’irresponsabilité de Cameron qui a placé l’avenir de son pays dans un référendum dans le seul but de contenter quelques exaltés de son parti.

Il apparaît de plus en plus clairement à quel point cette décision était mauvaise. Le fait que le Royaume-Uni soit devenu la risée de l’Europe est une conséquence directe de son vote pour le Brexit. Ceux qui vont en payer les conséquences, ce sont les Britanniques, à qui les partisans du “Leave” - la sortie du Royaume-Uni de l’UE -, ont menti pendant la campagne pour le référendum et qui ont été trahis et pris pour des imbéciles par une partie de leur presse. L’absence de honte de ces derniers est sans limites : le Daily Express a posé le plus sérieusement du monde la question de savoir si l’enfer qui a embrasé la tour Grenfell était dû au fait que le revêtement avait été conçu pour être aux normes européennes. Une rapide vérification aurait permis de découvrir que ce n’était pas le cas, mais en omettant de le faire, le journal a semé le doute quant au fait que l’UE pourrait être responsable de ça aussi. De plus : un pays où une partie de la presse est si manifestement peu intéressée par la vérité et exploite une catastrophe comme l’incendie de la tour Grenfell pour ses objectifs inavouables a un sérieux problème. Déjà, les prix augmentent dans les magasins, déjà, l’inflation grimpe. Les investisseurs se retiennent. La croissance a ralenti. Et ça, c’était avant que les négociations sur le Brexit aient commencé !

Avec son élection législative inutile, la Première ministre Theresa May a déjà épuisé un huitième du temps dont elle dispose. Comment diable est-il possible de parvenir à un accord sur une question aussi complexe que le Brexit dans le temps qui reste ? Cela demeure un mystère. A la fin, le Royaume-Uni va se séparer de son partenaire économique le plus important et sera plus faible à tous points de vue. Cela aurait du sens de rester au sein du marché unique et de l’union douanière, mais cela voudrait dire que le pays devrait respecter des règles sur lesquelles Londres n’aura pas son mot à dire. Il aurait mieux valu rester au sein de l’Union dès le départ. A présent, le gouvernement doit élaborer un plan qui soit en même temps politiquement acceptable et qui nuise le moins possible à l’économie. C’est une question de limitation des dégâts, rien de plus : et malgré cela, il y a encore à l’heure actuelle des politiciens qui paradent autour du Parlement de Westminster en clamant avec morgue que c’est l’UE qui s’en tirera le moins bien si elle ne se tient pas à carreau.

L’UE va négocier avec un gouvernement qui n’a pas la moindre idée du type de Brexit qu’il veut, mené par une politicienne détachée de la réalité et dont les jours au pouvoir sont comptés ; et un parti dans lequel les vieilles fractures ont été rouvertes : les Tories modérés espèrent être en mesure d’obtenir un “Brexit doux” à la fin, mais les tenant de la ligne dure — parmi lesquels il y a plusieurs idéologues à l’obstination sans bornes — menacent déjà de se mutiner.

Un affrontement épique s’annonce, et il va paralyser le gouvernement. Le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, a déclaré qu’il s’attendait à ce que les Britanniques exposent leur position clairement à présent, car il ne peut pas négocier avec lui-même. L’ironie dans cette déclaration, c’est que les intérêts du Royaume-Uni seraient mieux servis s’il le faisait. Ainsi, Londres aurait de son côté un représentant qui saisit la mesure de la tâche et qui est vraiment capable de conclure un accord équitable pour les deux parties. Les Britanniques n’ont pas un seul négociateur de cette stature dans leur rangs. Et, au delà des conditions du Brexit, on commence à sentir combien le débat et le référendum sont toxiques. La société britannique est plus divisée que jamais depuis la Guerre civile anglaise du XVIe siècle, comme l’ont démontré une fois encore les législatives, où 80 % des voix sont allées aux deux partis principaux.

Ni l’un ni l’autre n’avaient un programme centriste : l’élection a été le choix entre la droite dure et la gauche dure. Le centre politique a été abandonné à lui-même, et cela n’est jamais bon signe. Dans un pays comme le Royaume-Uni, qui a longtemps bénéficié d’une réputation de pragmatisme et de rationalité, il y a de quoi s’inquiéter sérieusement. La situation commence décidément à être hors de contrôle. Après avoir perdu son empire, le Royaume-Uni s’est cherché une nouvelle place dans le monde. Il a fini par la trouver, en tant que membre fort, atypique et influent d’une Union plus vaste : l’UE. Maintenant, il a quitté son poste sans que cela soit nécessaire. La conséquence, comme cela apparaît de plus en plus clairement, est une véritable crise d’identité dont le pays mettra très longtemps à se ressaisir.

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