Actualité UE et visas humanitaires

Un arrêt décisif sur le droit d’asile

Paolo Mengozzi, Avocat général de la Cour de justice de l’UE, a démontré que les gouvernements européens ont l’obligation d’offrir aux réfugiés syriens l’accès au territoire de l’Union. Dans un arrêt attendu pour le 7 mars, la Cour doit décider si elle suit ses recommandations ou si elle donne le coup de grâce aux espoirs de nombreux Syriens qui fuient la guerre.

Publié le 6 mars 2017 à 15:43

Mise à jour, le 7 mars à 10h00 : La Cour a statué que "Les États membres ne sont pas tenus, en vertu du droit de l’Union, d’accorder un visa humanitaire aux personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de demander l’asile, mais ils demeurent libres de le faire sur la base de leur droit national", refusant ainsi de suivre les conclusions de l'Avocat général.

Jamais je n’aurais pensé m’émouvoir en lisant un avis juridique, mais c’est ce qui s’est produit – et je n’étais pas la seule – grâce à Paolo Mengozzi, Avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne. Mengozzi devait s’exprimer sur le cas soulevé par une famille syrienne (père, mère et trois enfants) contre le gouvernement belge et qui pourrait marquer un tournant – positif, une fois n’est pas coutume – dans la politique d’asile européenne. Tout dépend de la Cour, dont l’arrêt est prévu pour le 7 mars. Si elle suit le raisonnement de l’Avocat général, c’est non seulement la Belgique, mais tous les Etats membres de l’UE qui vont devoir accorder aux Syriens qui en font la demande une voie d’accès légale au territoire de l’Union.

La Cour doit décider sur un recours présenté par le Conseil du contentieux des étrangers belge (CCE), qui décide sur les recours en matière de droit d’asile, quant à la manière dont doivent être interprétées les règles européennes en matière de visas humanitaires. Le gouvernement belge s’est en effet engagé dans un bras de fer avec le CCE et l’autorité judiciaire belge après que la Cour d’Appel de Bruxelles l’avait contraint à accorder l’asile à une autre famille syrienne qui avait déposé une demande auprès du consulat de Belgique au Liban et de la dédommager pour chaque jour de retard. Le secrétaire d’Etat Theo Francken, du parti nationaliste flamand N-VA refuse d’accorder les visas et de dédommager les demandeurs d’asile. Afin d’éviter d’engager la deuxième famille syrienne dans la polémique en cours, la CCE a préféré s’adresser directement à la Cour de Luxembourg. Etant donnée l’importance du cas en examen, celle-ci a décidé d’utiliser la procédure préjudicielle d’urgence.

Le 7 février, l’Avocat général a présenté ses conclusions. Il plaide de manière aussi brève que passionnée en faveur de la famille syrienne et rejeté toutes les objections avancées par les autorités belges. Oui, estime Mengozzi, la Cour est compétente pour se prononcer sur le cas (le gouvernement belge estimait l’inverse) et non, le Code communautaire des visas ne se limite pas à donner aux Etats membres la possibilité d’accorder, de manière exceptionnelle, un visa pour raison humanitaire à des personnes qui n’auraient pas le droit d’entrer sur le territoire de l’Union.

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Il ne s’agit pas d’une “simple faculté”, affirme Mengozzi, mais, dans certains cas, d’une obligation. Lorsqu’ils appliquent le droit communautaire en effet – comme lorsqu’ils appliquent le Code des visas – les Etats membres sont tenus de respecter également la Charte des droits fondamentaux. Et non seulement la Charte n’interdit pas aux Etats membres d’infliger des traitements inhumains ou dégradants, mais elle leur impose de “prendre des mesures raisonnables”, écrit Mengozzi, pour empêcher que des personnes ne subissent de tels traitements.

“Autrement dit”, explique l’Avocat général, “pour demeurer dans les limites de sa marge d’appréciation, l’État membre sollicité doit arriver à la conclusion que”, en refusant d’accorder un visa à ceux qui en font la demande, “en dépit des raisons humanitaires qui sont exposées par le ressortissant du pays tiers concerné, il ne viole pas les droits énoncés dans la Charte.” Et d’ajouter :

En effet, pour être parfaitement clair, de quelles alternatives disposaient les requérants au principal ? Rester en Syrie ? Inconcevable. S’en remettre à des passeurs sans scrupules au péril de leur vie pour tenter d’accoster en Italie ou de rallier la Grèce ? Intolérable. Se résigner à devenir des réfugiés illégaux au Liban, sans perspective de protection internationale, courant même le risque d’être refoulés vers la Syrie ? Inadmissible.

Et cela, l’Etat belge ne pouvait pas ne pas le savoir, observe Mengozzi, et il a donc sciemment exposé la famille au risque de subir des traitements inhumains, “en la privant d’une voie légale pour exercer son droit de solliciter une protection internationale” en Europe. Mengozzi saisit l’occasion pour souligner qu’en offrant cette voie d’accès légale, “dans certaines circonstances”, de contraster “les réseaux criminels de trafic et de traite des migrants”, avant de conclure, s’adressant à la Cour, qu’

il est louable et salutaire de s’indigner. Dans la présente affaire, la Cour a cependant l’occasion d’aller plus loin, comme je l’y invite, en consacrant la voie légale d’accès à la protection internationale qui résulte de l’article 25 du code des visas. Que l’on ne se méprenne pas : ce n’est pas parce que l’émotion le dicte, mais parce que le droit de l’Union le commande.

Si j’avais eu Mengozzi sous la main, je l’aurais embrassé. Et ce n’est pas un hasard si cet appel à respecter les valeurs fondatrices de l’UE vient d’un homme né en 1938. Une personne qui, à la différence des responsables du gouvernement belge, mais aussi de nombreux autres dirigeants européens, a connu l’Europe en guerre, l’Europe des massacres des civils et des réfugiés.

Le 7 mars la Cour devra donc se prononcer. Suivera-t-elle la position de son Avocat général, en rappelant à l’ordre les Etats membres, qui ont toujours considéré les visas humanitaires comme un privilège à accorder au compte-goutte et de manière arbitraire ? Ou va-t-elle s’en détourner, avalisant ainsi la mauvaise foi et la cruauté des gouvernements européens et en affaiblissant encore davantage un des rares outils au service de la protection internationale ? Un instrument par ailleurs menacé par la réforme du Code des visas, lancée en 2014 par la Commission européenne et actuellement gelée en raison de l’affrontement inter-institutionnel sur la question des visas humanitaires : le Parlement exige que la procédure pour leur octroi soit simplifiée, la Commission et le Conseil voudraient les voir disparaître du texte législatif.

Entre la position de Mengozzi et celle de l’Etat belge, la Cour pourrait en choisir une troisième, de compromis. Il s’agirait là aussi d’une défaite pour ce qui reste du droit d’asile en Europe. Le droit, tout comme la musique, vit d’interprétations, mais certains interprètes sont plus influents que d’autres. En se prononçant sur ce cas, la Cour ne fournira pas uniquement sa lecture de certains articles du Code des visas : elle récompensera ou sanctionnera le comportement des gouvernements européens et dira si les droits fondamentaux doivent être considérés “concrets et effectifs”, comme affirme Mengozzi, ou s’ils sont purement illusoires.

Cet article est publié en partenariat avec Internazionale

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