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RSF dénonce une “érosion du modèle européen”

Le 25 avril, Reporters Sans Frontières (RSF) a publié son Classement mondial de la liberté de la presse pour 2018. La situation de l’Europe continue de se dégrader.

Publié le 27 avril 2018 à 11:33

Le 25 avril, Reporters Sans Frontières (RSF) a publié son Classement mondial de la liberté de la presse pour 2018. L’Europe n’échappe pas à la tendance globale à un “accroissement des sentiments haineux à l’encontre des journalistes” dénoncée par l’ONG basée à Paris.

RSF évoque une véritable “érosion du modèle européen”. Ainsi, lit-on dans le rapport qui accompagne le classement, “les violences verbales des leaders politiques à l’encontre de la presse se sont multipliées aussi sur le continent européen, pourtant celui où la liberté de la presse est la mieux garantie.” C’est en Europe, la zone géographique où la liberté de la presse est la moins menacée dans le monde, que la dégradation de l’indice régional est la plus importante cette année.

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Sur les cinq plus fortes baisses du Classement 2018, quatre sont des pays européens : Malte (65ème position du classement de la liberté de la presse, -18 places par rapport à 2017), la République tchèque (34e, -11), la Serbie (76e, -10) et la Slovaquie (27e, -10). En République tchèque, le président Miloš Zeman, s’est présenté, en octobre dernier, à une conférence de presse muni d’une kalachnikov factice sur laquelle était inscrite l’expression ‘pour les journalistes’. En Slovaquie, Robert Fico, Premier ministre jusqu’en mars 2018, traitait les journalistes de ‘sales prostituées anti-slovaques’ ou de ‘simples hyènes idiotes’. Un journaliste, Ján Kuciak, a été assassiné en février dans ce pays d’Europe centrale, après la mort de Daphne Caruana Galizia dans l’explosion de sa voiture à Malte.”

La Hongrie (73e, -2) n’échappe pas à la tendance : ici, le Premier ministre Viktor Orbán a déclaré  ennemi public numéro un le milliardaire américain George Soros, “qu’il accuse de soutenir des médias indépendants dont l’objectif serait de "discréditer" la Hongrie auprès de l’opinion internationale”, lit-on dans le rapport. De même, en Serbie (76e, -10),” le climat est de plus en plus tendu depuis l’élection à la présidence de l’ancien Premier ministre Aleksandar Vučić, qui utilise les médias pro-gouvernementaux pour intimider les journalistes.”

“Cette atmosphère nauséabonde n’est pas l’apanage des seuls pays d’Europe centrale”, poursuit RSF, selon lequel “d’autres leaders politiques ont recours à cette rhétorique non seulement défavorable mais dangereuse pour les journalistes”, notamment en Autriche, où l’extrême droite du FPÖ accuse régulièrement la télévision publique ÖRF de véhiculer des mensonges, ou en Espagne, où les tensions autour du référendum sur l’indépendance de la Catalogne ont créé un “climat irrespirable pour les journalistes”. Même les pays nordiques, tout en se maintenant en tête du classement des meilleurs élèves, ont subi une détérioration du climat qui entoure l’exercice du journalisme, entre les pressions politiques et le meurtre de la journaliste suédoise Kim Wall au Danemark (9e, -5).

Aux menaces et aux insultes des dirigeants politiques s’ajoutent l’ingérence du pouvoir en place et les agressions des organisations criminelles qui opèrent en Europe et qui visent en particulier les journalistes d’investigation. Outre les cas éclatants de Daphne Caruana Galizia et de Ján Kuciak, les attaques physiques et les menaces de mort des groupes mafieux contre des journalistes sont fréquentes en Bulgarie (111e, -2, le pays le moins bien classé de l’UE), mais aussi en Italie (46e, +6), au Monténégro (103e, +3) et en Pologne (58e, -4).

Cette dégradation de la situation de la liberté de la presse est évidente également lorsque l’on restreint l’analyse aux seuls pays membres de l’Union européenne, où 16 pays sur 28 ont vu leur score baisser entre 2016 et 2018:

“Dans plusieurs pays européens, nous avons constaté une multiplication des attaques verbales, même au plus haut niveau politique, contre des journalistes. Certaines frôlaient l’incitation à la violence et pourtant, pas un responsable de l’UE n’a condamné ces attaques. Cela encourage la haine contre les médias et les journalistes”, déclare à EDJNet Julie Majerczak, responsable du plaidoyer de RSF auprès de l’UE.

“Pourtant”, poursuit-elle, “l’UE pourrait faire beaucoup pour lutter contre la dégradation de la liberté de la presse en Europe, en commençant par s’attaquer au harcèlement judiciaire, c’est à dire les procès intentés par des responsables politiques contre les journalistes, et en particulier les journalistes d’investigation et les freelance, dans le seul but d’entraver leurs enquêtes et de les frapper économiquement.”

“L’Union devrait également s’attaquer à l’application de sanctions pénales dans les procès en diffamation”, ajoute-t-elle. “Enfin, elle devrait avoir un comportement cohérent vis-à-vis du respect de la liberté de la presse par les Etats : les pays candidats sont en effet soumis à un contrôle extrêmement rigoureux, alors qu’une fois qu’ils sont entrés, les entorses ne sont plus prises en compte. De même, l’UE pourrait conditionner l’octroi de l’aide financière au respect de l’Etat de droit, dont la liberté de la presse est un élément fondamental.”

Quant aux mesures tout récemment annoncées par la Commission européenne susceptibles d’avoir un impact positif sur la liberté de la presse – le projet de directive sur la protection des lanceurs d’alerte et le Code de conduite européen face à la désinformation  – Majerczak estime que la première est un “pas en avant”, tout en notant une “faiblesse majeure” dans le fait que “la procédure par laquelle un lanceur d’alerte se tourne vers un média est très encadrée, et ne permet pas de s’adresser directement aux journalistes”. Pour ce qui est du second, publié le 26 avril, RSF devrait faire connaître sa position dans les tous prochains jours.

Méthodologie

Avis d'experts

La méthodologie pour la détermination du classement se base sur un ensemble de réponses apportées par des experts à un questionnaire proposé chaque année par RSF. Les questions portent sur le pluralisme, l’indépendance des médias, l’environnement et l’autocensure, le cadre légal, la transparence et la qualité des infrastructures soutenant la production de l’information. “A cette analyse qualitative s’ajoute un relevé quantitatif des violences commises contre les journalistes sur la période prise en compte”, précise l’organisation.

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