Des prostituées dans une rue de Strasbourg.

Le trafic d’êtres humains profite de la crise

Poussées par la précarité ou la pauvreté, un grand nombre de jeunes femmes cèdent aux sirènes des rabatteurs qui, sous couvert de cours de formation ou de travail intérimaire, les attirent dans les réseaux de prostitution.

Publié le 18 octobre 2011 à 13:37
Des prostituées dans une rue de Strasbourg.

La plupart des campagnes de prévention contre le trafic d’être humains n’ont pas d’effet notoire. Le Parlement européen a même récemment déclaré que toutes les mesures entreprises par l’Union pour limiter les conséquences de ce fléau étaient inefficaces. Selon des données publiées par le Conseil de l’Europe, il s’agit pourtant d’une des principales sources de financement du crime organisé ; la "traite des blanches" est, de surcroît, le secteur de l’économie souterraine qui connaît le développement le plus exponentiel ces dernières années. Le trafic concerne principalement les femmes : elles seraient quelque 80 % des 800 000 personnes qui, chaque année, sont victime de ces trafics.

Les pays membres de l’Union européenne ont été incités à plusieurs reprises à prendre leurs responsabilités : aider matériellement les victimes pour qu’elles puissent rentrer chez elles, ou bien leur fournir une protection administrative si elles veulent rester sur le territoire de l’UE. Ces femmes doivent également être convaincues de l’intérêt qu’elles ont à témoigner contre leurs geôliers et, le cas échéant, il faut assurer leur sécurité quant à l’éventualité de représailles.

Des esclaves blanches "placées" sur le territoire britannique

En pratique, tout cela n’arrive que rarement. Prenons l’exemple de la Bulgarie. Selon les données de la Commission nationale de lutte contre le trafic d’êtres humains, le nombre de victimes en 2010 s’élève à 500 personnes, soit le double de l’année précédente. Cette année, jusqu’au mois d’avril, ces victimes étaient au nombre de 154 : 141 femmes et 13 enfants. Il s’agit, bien évidemment, que de la partie visible de l’iceberg – les cas avérés de trafic ; la réalité est, comme on peut l’imaginer, plus inquiétante.

Les pays à risques pour les Bulgares sont les Pays-Bas, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, Chypre et la Suède. La finalité de ce trafic reste, dans la majorité des cas, l’exploitation sexuelle mais on note aussi une recrudescence des plaintes pour travail forcé. Il y a quelques jours, on a aussi appris l’arrestation de deux Bulgares résidant en Suède qui tentaient d’attirer des compatriotes dans le pays en leur faisant miroiter la possibilité de travail bien rémunéré et de logements confortables. En fait, ils étaient forcés de cueillir des fruits et de vivre dans des tentes en pleine forêt ; leurs papiers d’identité ont été confisqués et ils n’ont jamais été payés.

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Mais les quelques cas de condamnations par la justice n’arrivent pas à renverser la tendance. Lors d’une opération de police, il y a quelques années, on a ainsi arrêté deux hommes tentant de faire passer des femmes de Bulgarie en Grèce. Il s’avéra qu’ils faisaient le tour des campagnes bulgares pour recruter de nouvelles filles qu’ils obligeaient à se prostituer à Sofia ou dans la Grèce voisine ; ils prélévaient plus de 50 % de leurs revenus. Condamnés en première instance, ils ont visiblement été acquittés par la suite puisqu’on a retrouvé leurs photos dans la presse britannique l’été dernier, alors qu’ils essayaient de "placer" des esclaves blanches sur le territoire du Royaume-Uni.

Une poignée de gros bonnets qui gèrent le trafic

Les autorités mettent aussi en garde contre les trafiquants qui font preuve désormais d’une grande imagination pour attirer les victimes dans leurs filets. Ces derniers temps, par exemple, leur procédé préféré est de proposer des "formations à l’étranger", notamment des cours de langues. La violence physique a de moins en moins la cote au profit des menaces psychologiques et des pressions exercées sur la famille restée sur place.

En Bulgarie, les principales causes du développement de ces trafics restent l’analphabétisme, l’effondrement des valeurs morales, le racisme et la discrimination ethnique, la pauvreté, l’économie exsangue, le chômage… Ce qui peut expliquer ce changement de stratégie de la part des trafiquants qui se font de plus en plus passer pour des agences de travail par intérim.

Un phénomène qui risque de perdurer car, en période de crise, les gens cherchent désespérément une issue à des situations matérielles souvent catastrophiques et sont prêts à tout pour s’en sortir. Les campagnes de sensibilisation ne peuvent qu’améliorer un peu ce triste tableau. Le véritable boulot reste entre les mains de la police, à un niveau local comme international. Après tout, on peut se demander pourquoi les polices européennes, avec leur immense appareil répressif, ne peuvent venir à bout de la poignée de gros bonnets qui gèrent ce trafic…

Travail

L’esclavage à l’européenne

"Des serveuses payées trois euros l’heure, obligées de travailler sept jours par semaine et logées au-dessus du café en dormant à deux ou trois dans le même lit. Des ouvriers d’un car wash payés 20 euros pour dix heures de travail et rien du tout si le temps est mauvais" : "Les nouveaux esclaves sont parmi nous", titre Le Soiraprès la publication en Belgique du 14e rapport annuel “Traite et trafic des êtres humains” du Centre pour l’égalité des chances.

Le rapport met en exergue la professionnalisation du trafic d’êtres humain. Un phénomène qui repose sur des montages de plus en plus complexes et des responsabilités de plus en plus difficiles à établir grâce à l’usage de sous-traitants. Le quotidien bruxellois cite notamment l’exemple d’un dossier qui a abouti devant le tribunal correctionnel de Gand : il concerne une chaîne de restaurants d’autoroute qui aurait systématiquement eu recours à la sous-traitance pour exploiter ses victimes, des travailleurs kazakhs employés dans les toilettes des établissements 7 jours sur 7, de 7 h à 22h pour un salaire brut de 1 200 euros par mois. Recrutés par une société allemande, ils avaient le statut d’indépendants et n’étaient ainsi pas soumis à la législation belge sur les conditions de salaire et de travail.

"L’autre pilier sur lequel se développe l’exploitation économique, c’est la directive européenne sur la libre circulation des travailleurs et ses effets pervers", note encore le rapport cité par Le Soir. Le rapport préconise donc "une inspection sociale européenne pour avoir des informations fiables sur le statut d’un travailleur ou d’une entreprise". Une condition qui, avec l’élaboration d’une loi pour instaurer une co-responsabilité des donneurs d’ordre, permettraient de lutter efficacement contre la fraude fiscale, sociale et la traite des êtres humains.

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