(Image: Robert Terrell)

Au G20, le monde à portée de main

Consolidée par le oui irlandais au traité de Lisbonne, l'Union européenne serait désormais sur le point de se transformer en superpuissance planétaire. Pour cela, elle peut se servir de la nouvelle tribune internationale, espère l'éditorialiste du Financial Times Gideon Rachman.

Publié le 7 octobre 2009 à 15:20
(Image: Robert Terrell)

Enfin ! L'Irlande a accepté le traité de Lisbonne. L'Union Européenne est maintenant libre de poursuivre ses plans de domination mondiale. Dans les mois qui viennent, l'UE devrait se doter d'un président et d'un ministre des Affaires étrangères. Tony Blair est en train de s'échauffer dans l'espoir de décrocher le poste au sommet. Une poignée de candidats suédois, néerlandais et belges jouent des coudes pour celui de ministre des Affaires étrangères.

Renforcée par ses nouvelles structures dans le secteur de la politique extérieure, l'Union revendique le droit d'être prise au sérieux en tant que superpuissance mondiale. David Milliband, le ministre britannique des Affaires étrangères, déclare : “Il ne devrait pas y avoir un G2 avec les Etats-Unis et la Chine, mais un G3, avec l'Union Européenne”. Toutefois, ce qui se passe à Bruxelles, voire dans les négociations trilatérales entre les Etats-Unis, la Chine et l'Europe, ne sert qu'à amuser la galerie. La véritable clef des ambitions globales de l'Europe, c'est le Groupe des 20.

Le cheval de Troie de l'Europe

Jean Monnet, père fondateur de l'UE, pensait que l'unité européenne n'était “pas une fin en soi, mais seulement une étape sur la voie du monde organisé de demain”. Ses successeurs à Bruxelles ne cachent pas le fait qu'ils considèrent le style de gouvernance supranationale de l'Union comme un modèle applicable au reste du monde. C'est lors du dernier sommet du G20 à Pittsburgh, il y a quelques semaines, que j'ai brutalement réalisé que le G20 était le cheval de Troie de l'Europe. L'environnement et l'atmosphère avaient quelque chose d'étrangement familier. Et soudain, j'ai compris : j'étais de retour à Bruxelles, et je n'assistais là qu'à une version mondiale d'un sommet de l'UE. C'était la même routine, la même orchestration. Le dîner entre dirigeants à la veille du sommet ; la journée passée à négocier un communiqué rédigé dans un jargon impénétrable ; la mise en place de groupes de travail obscurs ; les salles de briefing nationales pour les conférences de presse d'après-sommet.

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Les dirigeants européens sont rompus à toutes ces procédures, en revanche relativement inconnues des chefs d'Etat et de gouvernement asiatiques et américains, que les Européens s'emploient à prendre au piège de cette nouvelle structure. J'ai eu un sentiment de pitié passagère pour ce délégué indonésien que j'ai vu entrer, apparemment insouciant, dans le centre de conférence de Pittsburgh. “Tu ne sais pas où tu mets les pieds”, me suis-je dit. “Tu vas gaspiller le reste de ta vie à parler de quotas de pêche”. (Ou plutôt, puisqu'il s'agissait du G20, de quotas sur les émissions de CO2).

Huit sièges européens à la table du G20

Lors du sommet, les Européens ne se sont pas contentés de donner le ton. Ils ont aussi dominé les débats, puisqu'ils étaient scandaleusement surreprésentés. D'immenses pays comme le Brésil, la Chine, l'Inde et les Etats-Unis ne sont représentés que par un dirigeant chacun. Les Européens ont réussi à s'assurer huit sièges à la table de la conférence, pour la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, les Pays-Bas, le président de la Commission européenne et le président du Conseil de l'UE. La plupart des hauts fonctionnaires internationaux présents étaient également européens : Dominique Strauss-Kahn, directeur du Fonds monétaire international ; Pascal Lamy de l'Organisation mondiale du commerce ; Mario Draghi du Conseil de stabilité financière.

Par conséquent, les Européens semblaient nettement plus au fait que certaines des autres délégations. Alors que je m'interrogeais sur les nouveaux pouvoirs de surveillance des politiques économiques nationales octroyés au FMI à l'issue du sommet de Pittsburgh, je fus interrompu dans mes réflexions par une vieille amie de la Commission européenne, qui, elle, avait immédiatement identifié le discours employé. “Ah oui, m'a-t-elle dit, la méthode ouverte de coordination”.

Une autre lecture de la saga de Lisbonne

Mais cela a-t-il une quelconque importance ? Après tout, les sommets et les déclarations de l'UE sont aujourd'hui synonymes de machinations tortueuses et inefficaces qui n'ont bien souvent pas grand effet dans le monde réel. Le processus qui a accouché du traité de Lisbonne a débuté il y a huit ans. Même après le vote positif de l'Irlande, des gouvernements récalcitrants, à Prague ou à Londres, pourraient encore le faire dérailler. Reste que l'on peut se livrer à une autre lecture de la saga de Lisbonne. Une fois que l'UE a planté ses crocs dans quelque chose, elle ne lâche plus jamais prise. On découvre souvent que des processus déclenchés lors de sommets de l'UE et qui, sur le moment, semblaient n'être que de vagues gesticulations bureaucratiques, ont en réalité des implications politiques profondes, des années plus tard. Cela vaut peut-être pour certaines des décisions prises à Pittsburgh, comme le discours sur les paradis fiscaux et les bonus des banquiers.

Dès le début, l'UE a progressé par étapes, des étapes modestes et apparemment techniques, portant avant tout sur des questions économiques. C'est ce que l'on appelle la “méthode Monnet”. Ce dernier était le premier à croire que l'Europe se bâtirait grâce à “la gestion commune de problèmes communs”. Est-ce si différent de la déclaration de Barack Obama, qui appelait récemment à “des solutions mondiales pour des problèmes mondiaux ?"

"L'Europe ne se fera pas d'un coup"

Certes, on ne saurait comparer les moyens dont dispose l'UE d'aujourd'hui et ceux du G20. Celui-ci n'est pas en mesure d'aligner autant de bataillons de fonctionnaires que les bureaucrates de Bruxelles. Il ne dispose pas d'organe juridique, ni d'une cour susceptible de faire appliquer ses décisions. Et il est peu probable que les Etats-Unis ou la Chine - deux pays qui défendent jalousement leur souveraineté - concède dans l'immédiat des pouvoirs sérieux à une institution législative liée au G20.

Quoi qu'il en soit, ce sommet a été le ferment de quelque chose de nouveau. Pour en comprendre le potentiel, il est utile de revenir à la Déclaration Schuman de 1950, à l'origine du processus de l'intégration européenne. “L’Europe”, disait-elle, “ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait”. Le G20 peut désormais s'enorgueillir de certaines réalisations, et il existe un sentiment naissant de solidarité entre les membres de ce nouveau club, tout à fait exclusif. Qui sait ce qui nous attend ensuite ?

DIPLOMATIE

L'Union européenne va ouvrir ses propres ambassades

"Des négociations confidentielles sur l'application du traité de Lisbonne ont donné lieu à des propositions selon lesquelles l'UE pourrait dorénavant négocier des accords bilatéraux voire ouvrir des ambassades partout dans le monde". Voici ce que rapporte Bruno Waterfield, le correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles, en référence à un document interne diffusée par les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, qui "explicite le besoin de changements juridiques pour mettre en place un Service européen pour le représentation extérieure, c'est-à-dire un bureau diplomatique de 'portée globale'".

La décision, prise avant le référendum irlandais du 2 octobre, donnerait lieu à la création d'un service diplomatique composé de 160 "représentations européennes" et autant d'ambassadeurs à travers le monde. New York, Kaboul et Addis-Abeba pourraient accueillir les premières ambassades pilotes, annonce le quotidien londonien. Cela signerait la fin de la Communauté européenne, poursuit le quotidien, "organisation que les Britanniques avaient intégrée via un référendum, il y a 34 ans". "Comme nous le disons depuis longtemps, le traité de Lisbonne accroît le pouvoir de l'UE au dépend des pays membres", a réagi Mark François, le porte-parole du Parti conservateur sur les affaire européennes.

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