"C'est un grand jour pour la littérature allemande", jubile Tilman Spreckelsen dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung au lendemain de l'attribution du prix Nobel de littérature à l'écrivaine germano-roumaine Herta Müller. Dans toute son oeuvre, "elle a décrit ce que la répression de l'Etat inflige à ceux qui la subissent. Et en remettant ce prix, l'académie de Stockholm envoie un signal", juge le quotidien. "C'est une reconnaissance de l'art et de l'éthique comme les deux faces d'une même médaille, et la reconnaissance d'une culture de la diaspora détruite et en même temps de sa plus éloquente gardienne."
[Pour la Süddeutsche Zeitung](http:// http://www.sueddeutsche.de/kultur/988/490366/text/) de Munich, Stockholm reste fidèle à son pari de récompenser un écrivain médiateur entre des mondes. On rencontre chez Müller "une vieille Europe à la géographie d'avant la Guerre froide: morcelée mais tissée par une culture commune". Car comme le rappelle România Libera, "le Nobel est né dans le Banat", et plus précisément à Nitchidorf dans une région de l’Ouest de la Roumanie. "Le plus grand mérite" de la lauréate, estime l’écrivain et journaliste Ovidiu Pecican dans le quotidien de Bucarest, "est de ramener au premier plan un état d’esprit spécifique, celui d’une communauté en voie de disparition", celui de la minorité allemande de Roumanie, qui a quitté le pays après 1989 et s’est "fondue dans l’ensemble de la nation allemande après avoir participé à une autre histoire."
Une Allemande roumanisée et une Roumaine germanisée
Herta Müller est pourtant partie de loin. "Ceausescu a vendu Herta Müller à l’Occident pour 8 000 mark", [rapporte Adevarul](http:// http://www.adevarul.ro/articole/micul-nostru-premiu-nobel.html) [l'équivalent de 5700 euros selon les calculs du quotidien roumain]. "Le comble est que pour Frau Müller, cela a été la recette idéale : vendue à l’Allemagne, pratique courante dans les années 1980 en Roumanie, laquelle vendait ainsi ses Allemands et ses Juifs, elle a su profiter de la situation", écrit le quotidien. Jeune et talentueuse, elle avait eu une expérience marquante de la dictature, car ses livres étaient interdits et était poursuivie par la Securitate".
Beaucoup disent aujourd’hui que "nous avons donné un prix Nobel à l’Allemagne", remarque Adevarul. "C’est faux : nous avons donné un écrivain qui aurait eu toutes les chances de se perdre dans la platitude si elle était restée en Roumanie. Mais voici Herta Müller : une Allemande roumanisée et une Roumaine germanisée". Raison pour laquelle le Spiegel Online considère que ce prix Nobel relance "une conception de l'Europe centrale détruite par la tragédie yougoslave et l'élargissement de l'UE : l'idée que ce ne sont pas les Etats-nations qui fournissent une identité mais des liens culturels."
Un prix pour la traduction de la vérité historique
La Tageszeitung, de son côté, espère des conséquences plus larges de cette distinction. Après Günter Grass (1999) et Elfriede Jelinek (2004), c'est le troisième prix Nobel en 10 ans pour un auteur de langue allemande. Malgré tout, la Tageszeitung n’y voit pas un prix pour la littérature allemande mais pour "la traduction de la vérité historique dans un langage intransigeant".
Le quotidien berlinois interprète le prix comme une leçon : Il faut également "chercher dans des littératures qui nous sont étrangères les livres qui traitent des conflits actuels." La TAZ recommande notamment d'aider la littérature chinoise [invitée d'honneur du prochain salon du livre de Francfort] à s'imposer malgré les résistances des autorités en Chine. "L'Europe ne peut pas prendre ses conflits historiques au sérieux au point de les récompenser avec l'unique prix mondial de littérature existant, et dans le même temps occulter les conflits extra-européens", conclut la TAZ.