Idées Référendum en Grèce

La démocratie dévaluée

Aujourd’hui, qui souhaite consulter son peuple est considéré comme une menace pour toute l'Europe. Tel est le message des marchés, et des politiques aussi depuis le 31 octobre, dénonce le rédacteur en chef de la Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Publié le 2 novembre 2011 à 15:23

Deux jours, c’est le temps qu’aura tenu le sentiment apparent de stabilité retrouvée des élites européennes. Deux jours entre l’image de la matriarche Merkel, vers laquelle le monde entier était tourné, et celle de la dépression. Un clinicien pourrait nous dire de quoi il retourne : c’est une pathologie. Il pourrait nous décrire à quel point la psyché collective est malade, à quel point les fantasmes de grandeur et de confiance en soi qu’elle engendre sont faux et trompeurs.

Consternation en Allemagne, en Finlande, en France, même en Angleterre. Consternation sur les marchés financiers et dans les banques, consternation parce que le Premier ministre grec Georges Papandréou envisage un référendum pour répondre à une question décisive sur le sort de son pays.

Minute après minute, on a pu voir, ce mardi [1er novembre], les banquiers et les politiques brandir la menace d’un effondrement boursier. Le message était clair : si les Grecs disent oui, c’est qu’ils sont idiots. Quant à Papandréou, c’est une tête brûlée, puisqu’il leur a posé la question. Pourtant, avant que ne s’accélère la spirale de la panique, il serait judicieux de prendre un peu de recul pour mieux comprendre ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux. C’est le spectacle de la dégénérescence des valeurs mêmes que l’Europe était autrefois censée incarner.

Les principes moraux détruits au profit de la finance

Sur les marchés financiers, certains protagonistes analysent sans sourciller l’histoire de cette déchéance annoncée. Le Daily Telegraph britannique évoque une plaisanterie qui aurait cours dans les cercles financiers, et manifestement aussi au sein du gouvernement britannique : ce serait bien si une junte militaire prenait le pouvoir en Grèce, car aucune junte militaire ne saurait être membre de l’UE. Et Forbes, qui n’est tout de même pas n’importe qui dans le monde de la finance, va un peu plus loin : "Cette plaisanterie est d’autant plus triste et amère qu’elle serait, pour tout dire, si l’on fait abstraction du léger problème de la transformation de la Grèce en dictature militaire, une bonne solution pour le pays."

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Il n’est pas nécessaire de connaître tous les liens de cette plaisanterie avec le subconscient pour comprendre que l’on est en train d’assister à la destruction massive des principes moraux nés de l’après-guerre, au nom d’une raison économique et financière supérieure. De tels processus se développent en sous-main, ils œuvrent à la lisière de la conscience, parfois pendant des décennies, jusqu’à accoucher d’une nouvelle idéologie. Il en toujours été ainsi lors des phases d’incubation des grandes crises autoritaristes du XXe siècle.

Il nous faut alors noter ce qu’a dit Papandréou, ce qui a résonné aux oreilles de l’Europe comme les divagations d’un aliéné imprévisible : "La volonté du peuple s’imposera à nous." Si le peuple rejette le nouvel accord avec l’UE, "il ne sera pas adopté". En Allemagne, souvenons-nous, il y a encore quelques jours, on entendait par démocratie la sanction du législatif. Imposée par la Cour constitutionnelle, et acclamée par tous les partis. Pour cette raison, il avait même fallu ajourner un sommet de l’UE. Aujourd’hui, rien de tout cela ne vaut plus pour la Grèce.

Les politiques paniquent, parce que les marchés paniquent

Qu’y a-t-il d’insupportable dans l’initiative grecque ? Réponse : que le Premier ministre soumette le sort de son pays au jugement de son propre peuple. Devant une telle décision, les soi-disant citoyens économes modèles que sont les Allemands et leurs dirigeants politiques paniquent, mais uniquement parce que les marchés financiers paniquent. Car tous sont désormais prisonniers des prophéties des marchés avant même qu’elles ne soient exprimées.

Il est de plus en plus évident que la crise que traverse l’Europe n’est pas un trouble passager mais l’expression d’une lutte pour la suprématie entre pouvoir économique et pouvoir politique. Ce dernier a déjà perdu énormément de terrain mais les choses s’accélèrent aujourd’hui. L’incompréhension totale que suscite le geste de Papandréou est également une incompréhension de l’espace public démocratique lui-même, et du fait que la démocratie a un prix qu’il faut être prêt à accepter.

Ne voyons-nous pas que nous laissons désormais des processus démocratiques à l’appréciation des agences de notation, des analystes et autres groupements bancaires ? Ces dernières 24 heures, tous ces acteurs ont été assaillis de questions, comme s’ils avaient quoi que ce soit à dire sur la volonté du peuple grec de décider de son propre sort.

Papandréou montre une voie à l'Europe

La prétendue rationalité des mécanismes financiers a révélé de vieux atavismes inconscients. Les discours consistant à traiter tout un peuple d’escrocs et de fainéants semblaient avoir disparu en même temps que le nationalisme. On assiste aujourd’hui à un retour de cette mentalité avec "preuves raisonnables" à l’appui.

La déformation du parlementarisme, soumis aux lois du marché, ne justifie pas seulement les décisions du peuple en tant que "législateur extraordinaire" ; dans le cas de la Grèce, elle oblige les citoyens à exprimer leur volonté. En Allemagne, tous les députés qui suivent ce que leur dicte leur conscience peuvent être certains qu’on ne reverra pas leur "gueule" de sitôt. Ce qui est arrivé à un député allemand en tant qu’individu, touche également un Etat et bientôt toute l’Europe.

Papandréou n’a pas seulement raison de faire ce qu’il fait, il montre aussi une voie à l’Europe. L’Europe devrait tout faire pour convaincre les Grecs que sa solution est la bonne. Pour cela, elle devrait aussi s’en convaincre. Pour les autres pays européens aussi endettés que la Grèce, il s’agirait d’un excellent moyen de faire preuve de lucidité et de s’assurer du prix qu’ils sont prêts à payer au nom d’une Europe unie.

Contrepoint

Un référendum faussé

"On leur donne de l'argent, on efface la moitié de leur dette, mais les Grecs refusent tous ces cadeaux par un référendum ? On dirait une farce absurde", déplore Mladá Fronta DNES, qui anticipe une faillite définitive de la Grèce dans les prochains mois. "La réalité économique ne se soumettra pas au diktat de l’Etat, ni à un plébiscite ou un référendum. La situation économique existe, elle peut seulement être masquée, repoussé, niée ou falsifiée."

Aujourd’hui, "la dette impersonnelle" de l’Etat grec, que personne ne veut assumer, est devenu "un politikum", un objet que l’on utilise à des fins politiciennes, estime le quotidien tchèque. "Les Grecs ont désormais une seule solution : falsifier les résultats du référendum selon le désir de Bruxelles."

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