Idées Qui a peur de l'Allemagne ? / 1

Une rigoriste peu rigoureuse

Berlin se pose en havre de stabilité au cœur de la crise – et les marchés financiers y croient. Pourtant, le pays ne respecte pas tous les critères de discipline budgétaire. Une attitude à la fois arrogante et dangereuse.

Publié le 21 novembre 2011 à 14:34

Les investisseurs des marchés financiers et les dirigeants politiques allemands n’ont en réalité que peu de choses en commun : en règle générale, les premiers ne comprennent pas pourquoi les seconds ont besoin de tant de temps pour appliquer les décisions prises lors des sommets de crise. A l’inverse, les premiers sont les boucs émissaires tout désignés des seconds dès qu’il s’agit d’attribuer à quelqu'un la paternité de la crise.

Etonnamment, les uns et les autres tombent néanmoins d’accord sur un point : leur opinion de la politique budgétaire allemande. Jugée solide, elle est érigée en exemple pour tous les pays endettés du Sud de l’Europe. Même si les faits disent tout à fait autre chose, personne ne veut vraiment remettre en question cette vérité générale.

Un modèle pas si rigoureux

Ce qui permettait au chef du groupe CDU-CSU [au Bundestag], Volker Kauder, de jubiler récemment lors du congrès du parti : en Europe, désormais, "on parle allemand". Ce chauvinisme fier-à-bras résume plutôt bien la politique de sa chancelière. Depuis l’éclatement de la crise de l’euro au printemps 2010, le leitmotiv d’Angela Merkel peut se formuler ainsi : si tout le monde était aussi fort que les Allemands pour faire des économies, il n’y aurait pas de problèmes.

Il faut reconnaître une chose à Angela Merkel : elle a été manifestement très convaincante. Les investisseurs des marchés financiers, en tout cas, ont visiblement cru la chancelière. Tandis qu’ils imposent une hausse des taux d’intérêt à la quasi-totalité des autres pays de la zone euro pour les achats d’obligations d’Etat, ils donnent leur argent quasiment pour rien au ministre des Finances allemand.

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Les arguments rationnels ne permettent guère de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Naturellement, si l’on y regarde d’un petit peu plus près, on s’aperçoit que des pays comme l’Espagne ou l’Italie ne vont pas aussi mal, loin de là, que l’envolée de leurs taux d’intérêt ne le laisserait penser. Et que l’Allemagne, plus particulièrement, n’est pas le modèle de rigueur qu’elle prétend être.

Dans ses derniers pronostics, la Commission européenne table sur un taux d’endettement de 81,7% du produit intérieur brut (PIB) pour l’Allemagne en 2011. C’est nettement plus que le plafond des 60% prescrit par le Pacte de stabilité européen – ce même pacte dont le gouvernement fédéral rebat les oreilles des pays du Sud de l’Europe, et qu’il aimerait tant renforcer. Qui veut prescrire un durcissement des règles ferait mieux de s’y conformer lui-même.

Jean-Claude Juncker, le chef du gouvernement luxembourgeois, est donc en droit de s’irriter du paternalisme allemand. Malgré la crise qu’elle traverse, l’Espagne est par exemple beaucoup plus proche de respecter le pacte de stabilité, avec un taux d’endettement de 69,6%, que l’Allemagne. Même les Néerlandais (64,2%) ou les Finlandais (49,1%) sont mieux placés que les Allemands pour se poser en gardiens européens de la discipline budgétaire.

Le made in Germany fabriqué à des coûts avantageux

La seule chose qui incite aujourd’hui à faire confiance aux finances publiques allemandes est le ratio de déficit relativement faible du pays, c’est-à-dire l’endettement supplémentaire rapporté à la performance économique. Le fait qu’il soit largement inférieur à celui des pays en crise du Sud de l’Europe a de multiples raisons – dont aucune, cependant, n’est liée à l’image de modèle de rigueur que se donne volontiers le gouvernement.

Au contraire : l’Allemagne n’épargne pas. Les dépenses du budget fédéral ont même augmenté récemment et devraient tourner autour des 300 milliards d’euros dans les années à venir, selon le budget prévisionnel. Le programme d’austérité adopté dans l’effervescence à l’automne dernier a aussi peu évolué que la règle d’or que les Allemands colportent si volontiers en Europe.

Si le ratio de déficit baisse, c’est uniquement du fait de la conjoncture favorable de ces derniers dix-huit mois. Elle a permis à l’Allemagne d’engranger des recettes fiscales plus élevées que prévues tout en dopant le PIB. Comme il est calculé sur la base de l’endettement supplémentaire, le ratio déficit-PIB recule. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec les mesures d’austérité.

La bonne santé économique du pays jusqu’à présent n’est pas le résultat d’une ascèse – ou en tout cas, pas de celle de l’Etat. Si le made in Germany est aussi prisé à l’étranger, c’est surtout grâce aux employés allemands qui fabriquent des produits de qualité à des coûts relativement avantageux.

En faisant avec arrogance l’éloge de la discipline de l’Etat allemand, le gouvernement actuel fait beaucoup de dégâts en Europe. En Grèce, en Espagne ou en Italie, où ils étaient estimés pour leurs vertus – en tout cas autrefois – les Allemands sont désormais considérés comme des pères-la-rigueur arrogants qui veulent apprendre aux gens du reste du continent comme ils doivent vivre et travailler. Cela ne pourra pas fonctionner indéfiniment.

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