Le Portugal, une convoitise pour les émergents

Pour réduire sa dette, le gouvernement portugais a lancé un vaste programme de privatisations. Brésiliens, Chinois et Angolais aux côtés de l'Allemagne et du Royaume-Uni sont aujourd’hui les principaux candidats au rachat d’entreprises nationales.

Publié le 6 décembre 2011 à 16:33

D'un côté, des géants comme les entreprises publiques Eletrobras et Cemig (Brésil), la Three Gorges Corporation et la State Grid Corporation (Chine) ou encore l'Angolaise Sonangol, tous originaires de puissances émergentes à l'économie en croissance.

De l'autre, des entreprises de taille modeste à l'échelle mondiale, dont les actionnaires ont les poches vides, issues d'un pays en grande difficulté auquel un plan d'aide financier impose un lourd programme de privatisations.

C'est du Brésil, de Chine et d'Angola, mais aussi d'Allemagne et du Royaume-Uni, que viennent les principaux acheteurs potentiels des entreprises publiques portugaises, des actions ou des participations dans des entreprises mises en vente.

Energias de Portugal (EDP) et REN (Rede Eléctrica Nacional) sont déjà sur la table, et en 2012 viendront s'ajouter les privatisations de la compagnie pétrolière Galp, de la compagnie aérienne TAP, d'ANA, qui gère les aéroports, de CP Carga (fret ferroviaire) et de CTT, la poste portugaise.

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Naturellement, ce sont les entreprises les plus ouvertes à l'international et qui réalisent la part la plus importante de leurs activités à l'étranger qui suscitent le plus d'intérêt.

Des pays qui ont de l'argent

Mais alors, pourquoi ces pays-là, et pas d'autres ? La réponse est en principe assez simple : parce qu'ils ont de l'argent. C'est une question de prix et, pour des colosses comme le Brésil ou la Chine, le prix est même plutôt alléchant.

L'Angola est en revanche un cas à part, de même que l'Allemagne ou le Royaume-Uni : les intérêts en jeu ne sont pas uniquement financiers. “Les investissements angolais au Portugal ont une composante politique forte : c'est un moyen pour le pays de s'affirmer dans la sphère lusophone, dont il espère tirer des bénéfices économiques”, estime António Ennes Ferreira, professeur à l'Instituto Superior de Economia e Gestão.

Mais c'est aussi, poursuit-il, une façon de légitimer les capitaux angolais, examinés moins attentivement au Portugal qu'ailleurs, et d'entrer sur d'autres marchés. Le risque, étant donné le manque de transparence, est qu'on ne connaisse jamais précisément l'identité de l'investisseur. L'Angola procède à des investissements uniquement financiers, sans apport de savoir-faire.

Avec l'Allemagne, candidate au rachat d'EDP et courtisée par le Premier ministre portugais Pedro Passos Coelho lui-même, le processus est tout autre. Si le pays peut trouver un intérêt dans une association avec le Portugal en Afrique, où il est très peu présent, c'est pour le Portugal une “affaire européenne”, un moyen de s'attacher l'Allemagne et de l'engager à ses côtés en ces temps de crise européenne.

Des ambitions politiques et économiques

Le Brésil et la Chine sont tous deux des géants qui nourrissent des ambitions mondiales, mais chacun est un cas à part. Pour le Brésil, qui investit au Portugal depuis plusieurs décennies, ces nouvelles opérations se distinguent par leur envergure et par une entrée en force de l'Etat brésilien, au niveau politique et industriel.

“Il s'agit en filigrane d'un soutien politique appuyé”, affirme l'ambassadeur brésilien Mário Vilalva, en écho aux propos tenus par la présidente Dilma Roussef au Premier ministre portugais Passos Coelho : “Il est dans notre intérêt que le Portugal sorte de cette crise le plus rapidement possible.”

La Banque nationale brésilienne de développement (BNDES) soutient activement l'internationalisation des entreprises brésiliennes, qui voient dans le Portugal un marché-tremplin vers le reste de l'Europe. Par ailleurs, elles ciblent surtout des sociétés “intéressantes” par leur présence sur le marché mondial, comme le cimentier Cimpor (les Brésiliens sont entrés dans son capital en 2010), EDP et même la Radio e Televisão de Portugal (RTP), dont l'implantation dans les pays africains de langue officielle portugaise (PALOP) est un atout non négligeable.

Pour les Chinois, les privatisations portugaises sont l'occasion de pénétrer un marché européen supplémentaire, vulnérable de surcroît, et qui possède des liens uniques avec l'Afrique lusophone, mais aussi d'accéder à des technologies et, au passage, (pourquoi pas ?) de contourner ou de neutraliser certaines barrières protectionnistes.

“Il ne faut pas oublier non plus la volonté de la Chine de faciliter l'implantation de ses entreprises sur le marché mondial via un processus d'apprentissage et de débauchage des cadres”, ajoute le chercheur Miguel Santos Neves.

L'intérêt suscité par Energias de Portugal est révélateur. Cette entreprise leader dans les énergies renouvelables (alors que la Chine a lancé un vaste programme d'amélioration de son efficacité énergétique), très bien implantée sur les marchés américain et brésilien, exerce un irrésistible attrait. Grâce à elle, les Chinois font d'une pierre deux coups : ils acquièrent des compétences techniques, et ils entrent sur des marchés où leur envergure suscite déjà des réflexes protectionnistes.

La priorité pour le Portugal est, pour l'heure, d'“engranger des recettes”, mais l'identité du vainqueur de la course aux privatisations ne lui est pas indifférente. Mais il semble plus que probable que ce sont les Brésiliens, les Chinois et les Angolais qui, d'une façon ou d'une autre, battront les cartes des privatisations portugaises.

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