Actualité Crise de la zone euro
Les yeux rivés sur le DAX, l'indice de la Bourse de Francfort, novembre 2011.

Laissons les agences de notation faire leur travail

La menace de Standard & Poor's de dégrader l'ensemble de la zone euro a provoqué la colère des responsables européens. Mais les agences ne font que nous dire la vérité, explique un chroniqueur britannique.

Publié le 7 décembre 2011 à 16:09
Les yeux rivés sur le DAX, l'indice de la Bourse de Francfort, novembre 2011.

Pour un ennemi acharné des agences de notation, c’était un moment crucial. Standard & Poor’s (S&P) venait à peine d’évoquer l’éventualité d’une dégradation de la zone euro qu’aussitôt surgissait Christian Noyer, la bave aux lèvres. "Les agences de notation ont été un des moteurs de la crise en 2008, on peut se demander si elles ne jouent pas encore ce rôle aujourd'hui" a lancé le gouverneur de la Banque de France.

Noyer, qui exerce en outre les fonctions de membre du conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne, est peut-être partisan, mais il n’est pas le seul à aller dans ce sens. Aujourd’hui, rares sont les institutions financières qui s’attirent autant d’opprobre que S&P, Moody’s et Fitch.

A tort ou à raison, on accuse les Trois Grandes d’être des nouveaux venus dans le monde de la finance — du genre à débouler en hurlant “au feu” alors que la maison brûle déjà, puis à verser maladroitement un peu plus d’essence sur les flammes.

Les Etats-Unis n'ont pas intérêt à la chute de l'euro

Donc, soutiennent leurs détracteurs, non seulement les agences n’ont pas réussi à identifier la crise financière de 2008, mais ils l’ont aggravée en attribuant des triples A à ces mêmes prêts hypothécaires toxiques qui avaient justement bouté le feu à l’économie mondiale.

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Et maintenant, poursuivent les critiques, elles sont également passées à côté de la crise de la zone euro. Qui plus est, au moment précis où Angela Merkel et Nicolas Sarkozy donnaient enfin l’impression d’avancer, S&P leur a balancé une grenade.

Pour Noyer, tout cela dissimule des agissements plus sombres. Evoquant un vaste complot, il reproche à l’agence d’avoir changé sa "méthodologie", désormais "plus liée à des facteurs politiques qu'aux fondamentaux économiques".

"C’est absurde", rétorque S&P. Comme le souligne Kathleen Brooks, directrice de recherche chez Forex.com : "Les Etats-Unis ne tiennent pas à ce que l’Europe dégringole, ni à ce que la crise de la dette échappe encore plus à tout contrôle, surtout pas à l’approche de la présidentielle. De même, les Chinois dépendent de l’Europe pour la croissance, donc, l’argument politique ne tient absolument pas."

Au lieu de cela, les critiques vont peut-être devoir se rendre à l’évidence, une évidence beaucoup moins satisfaisante. A savoir que, quels que soient ses torts, S&P, cette fois, ne s’est pas trompé.

Une mise en garde avant le sommet

Non seulement ça, mais en plus, et bien que cela puisse paraître difficile à croire pour beaucoup, l’agence s’est montrée plus efficace que bien des spécialistes du marché au sujet de la zone euro.

Mais revenons à la décision du 5 décembre. Certes, le moment était particulièrement mal choisi. Mais S&P n’en démord pas. La priorité, nous assure l’agence, était de mettre en garde contre une dégradation potentielle de 15 des 17 pays de la zone euro — y compris l’Allemagne — avant le début du sommet crucial de l’Union le 8 décembre.

Répondant aux critiques le 6 décembre, Moritz Kraemer, analyste senior en risque pays chez S&P, a expliqué : "Nous pensons que les risques systémiques dans la zone euro ont augmenté de manière significative ces dernières semaines et nous nous inquiétons de l’impact sur la solvabilité si le sommet n’aboutit pas à une réaction efficace et crédible. Compte tenu de l’énorme volume de la dette qui arrive à échéance et doit être refinancé durant le premier trimestre 2012, et sachant que l’on s’attend à ce que la zone euro rebascule dans la récession pendant le premier semestre, le temps risque de manquer pour parvenir à une solution politique."

S&P cite cinq facteurs justifiant sa décision : le "resserrement des conditions de crédit" pour les banques de la zone euro ; "l’augmentation du risque sur la dette souveraine d’un nombre croissant de pays de la zone euro” ; les “désaccords persistants” entre responsables européens ; l’aggravation de l’endettement public et privé et le "risque croissant d’une récession".

Autant de facteurs que les beaux discours du couple “Merkozy” et l’éventualité d’une plus grande cohésion budgétaire n’ont nullement améliorés.

L’agence de notation a également émis quelques réserves justifiées quant au programme de réforme de la chancelière allemande. "A l’heure où l’économie européenne est en plein ralentissement, un programme de réforme entièrement basé sur une politique d’austérité pourrait s’avérer contre-productif”, indique S&P.

Pas de surprise sur les marchés

Rien de tout cela ne devrait surprendre les marchés, pas plus que l’analyse selon laquelle un renforcement de l’union budgétaire forcerait les pays notés triple A – l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg et l’Autriche – à se porter responsables pour des voisins plus prodigues.

Ainsi que Nicolas Veron le soulignait dans un article paru en octobre dernier pour le groupe de réflexion Bruegel, en dépit des critiques selon lesquelles les agences de notation provoqueraient "des réactions négatives chez les investisseurs", il est plutôt rare que leurs dégradations surprennent les marchés.

C’est généralement la perte de confiance des marchés qui précède l’abaissement d’une note par les agences et non l’inverse. Lorsque les agences anticipent vraiment, les investisseurs ne leur prêtent pas tellement attention, comme on a pu le voir lorsque S&P a commencé à abaisser la note de la Grèce en 2004.

Ce qui nous amène à notre deuxième point. S&P a d’abord dégradé la note de l’Italie en juillet 2004, puis celle de la Grèce et celle du Portugal. A l’époque, les marchés financiers ne faisaient guère de différence entre les pays de la zone euro.

Certes, S&P et les autres grandes agences de notation n’ont pas su identifier la crise à temps, mais S&P était – au moins au début – en avance sur les marchés.

Une critique plus pertinente consiste à dire que les agences de notation peuvent aggraver une situation déjà difficile. Ainsi que le souligne Veron, cela est lié au fait qu’il est directement fait référence aux agences dans certaines conditions contractuelles et réglementaires.

Ainsi, même si les agences répètent que leurs notes ne reflètent que de simples opinions, elles peuvent avoir un effet mécanique si ces conditions obligent à l’achat de certaines valeurs, un problème que Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, s’efforce de résoudre.

Une dégradation de la note des pays de la zone euro pourrait mettre en péril le Fonds européen de stabilité financière (FESF), dont la note AAA+ est adossée à celle des puissances qui le financent. Cela ne plairait pas à Christian Noyer, mais S&P n’en a cure.

Opinion

Les agences n’achètent pas l’austérité

Ann Pettifor, directrice de Prime, cabinet britannique de consultants en économie, affirme dans le Guardianque la menace de dégradation de S&P "est simplement le reflet du refus des politiques de réparer le système bancaire mondial en panne". Les hommes politiques, note-t-elle :

se refusent résolument à se concentrer sur les moyens de résoudre la crise d’un système bancaire défaillant. Ils se sont laissés persuader qu’il ne fallait pas toucher au système financier ; il ne faut pas lui imposer de taxes ; et par-dessus tout, il ne doit pas être exposé à la colère des forces du marché. Au lieu de cela, c’est aux contribuables européens qu’il incombe de garantir toutes les pertes de banques privées qui ont prêté aux ménages, aux entreprises et aux gouvernements de l’UE.

Pour sauver ses banques privées, l’UE a misé sur l’épargne et l’austérité.

Or S&P voit comme tout le monde que l'austérité n’a aucun fondement économique. L’austérité a un effet négatif sur l’investissement et l’emploi, et donc sur le revenu. Sans emploi, les ménages, les entreprises et les gouvernements n’ont plus d’argent. Sans revenu lié à une activité, les gouvernements ne peuvent pas collecter l’impôt et les banques ne peuvent pas toucher de remboursement. Les banques sont donc menacées de faillite et le déficit public augmente. Ce n’est pas compliqué.

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