Jérôme Bosch : "La colère". Détail des "Sept péchés capitaux" (huile sur panneau, 1475-80). Madrid, Musée du Prado.

Les sept péchés des Européens (2/2)

Les dirigeants politiques brandissent volontiers l’étendard de l’esprit communautaire. Mais chaque pays se rend coupable d’une faiblesse de caractère qui contredit les discours et porte préjudice à l’UE. Suite du tour des pécheurs par Die Zeit.

Publié le 15 décembre 2011 à 14:25
Jérôme Bosch : "La colère". Détail des "Sept péchés capitaux" (huile sur panneau, 1475-80). Madrid, Musée du Prado.

L’égocentrisme

Irlande – On peut bien sûr en donner la même explication que le ministre irlandais de la Culture. "Nous sommes un peuple heureux, proclamait-il récemment, et un peuple profondément sincère. Pour les investisseurs étrangers, ce sont des choses qui comptent". Cela ne fait aucun doute. Mais il n’est pas interdit de penser, en y regardant de plus près, que les taux d’imposition irlandais figurent parmi les petites raisons qui expliquent que l’île attire les entreprises internationales à la manière d’un aimant de levage.

L’impôt sur les sociétés y est de seulement 12,5 %. Soit largement en-deçà de la moyenne européenne. La plupart des pays de l’UE taxent les entreprises à hauteur de 30 % environ, comme l’Allemagne et la France. Dans un marché unique censé garantir l’uniformité des conditions commerciales, comment expliquez-vous, s’il vous plaît, un tel écart ?

Avant la crise de la dette, l’Irlande attirait déjà à elle les grandes multinationales par dizaines : Facebook, Intel, Pfizer, Merk, SAP, IBM – toutes se pressaient sur l’île du céad míle fáilte ("cent mille bienvenues"). Tout cela est bien beau, mais relève d’une logique pour le moins insulaire : plus les entreprises s’y bousculent, plus l’Etat peut faire preuve d’égards à leur endroit. Et si le gouvernement irlandais prévoit actuellement de relever certaines taxes, l’impôt sur les sociétés ne figure pas sur la liste.

Selon Dublin, l’Irlande devrait compenser certains désavantages concurrentiels imposés par la nature – le fait, par exemple, qu’on ne peut pas y arriver par le rail. Ah ah. Et depuis quand cela gêne-t-il des secteurs comme l’informatique et les assurances ? Sans compter que l’Irlande est l’unique tête de pont anglophone de la zone euro, ce qui n’est pas rien. Alors, Messieurs les Irlandais : restez sincères, solidaires, et heureux ! J.B.

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L’arrogance

France – Mi-décembre, le groupe nucléaire français Areva fait part de son projet de supprimer plusieurs milliers d’emplois. Mais les employés n’ont pas à s’en faire. "Il n’y aura pas d’impact, c’est la ligne que souhaite l’Etat", a fait savoir François Baroin, le ministre de l’Economie, après les premières fuites sur le projet de suppressions de postes.

François Baroin a aussitôt convoqué Luc Oursel, le patron d’Areva. "Il n’y aura aucune décision qui considérera l’emploi comme une variable d’ajustement, quel que soit l’impact de l’activité économique mondiale ralentie", a-t-il martelé. Priorité aux emplois français, faut-il le préciser.

En France, nul ne s’étonne de tels propos. Ils participent de la raison d’Etat, depuis que Jean-Baptiste Colbert, ministre des Finances de Louis XIV, a entrepris de diriger l’économie d’une main de fer.

Peu importe qu’Areva appartienne à 87 % à l’Etat. Même lorsque le constructeur automobile privé PSA Peugeot-Citroën, sur la corde raide, a annoncé récemment des suppressions de postes, Eric Besson, le ministre de l’Industrie, s’est empressé de promettre que tous les emplois français seraient préservés.

Et Carlos Ghosn, le patron de Renault, a été rappelé à l’ordre lorsqu’il a voulu délocaliser une petite partie de sa production en Turquie. Au passage, les freins posés par l’Etat à l’implantation de sites de production dans les pays émergents sont aujourd’hui l’une des causes principales des difficultés rencontrées par le constructeur français.

Voilà ce qui arrive lorsque l’Etat s’érige en protecteur de l’économie. Les coûts de production s’envolent, les prix aussi. Pour prévenir un recul des exportations, le gouvernement renforce alors son protectionnisme. Un cercle vicieux. Au mieux, le gouvernement français récompense ainsi une mauvaise rentabilité. Au pire, l’Elysée se sert de son pouvoir sur les grandes entreprises comme d’une arme politique.

Les responsables politiques français deviennent des Européens convaincus dès le moment où ils ne parviennent plus à avancer seuls. D’où la création d’EADS, premier groupe d’aéronautique et de défense européen. D’où leur intérêt à voir émerger une alliance dans le secteur de la construction navale, sur le modèle de l’avionneur.

C’est le ministre de l’Economie de l’époque, Nicolas Sarkozy, aujourd’hui président de la République, qui a empêché Siemens de prendre pied chez Alstom, son concurrent français. Le même Nicolas Sarkozy qui, en 2004, avait combiné le rachat du groupe pharmaceutique franco-allemand Aventis par le français Sanofi, donnant ainsi naissance au troisième acteur mondial du secteur.

C’est à sa demande, également, que la formule préconisant un marché intérieur "où la concurrence est libre et non faussée" a été biffée du traité de Lisbonne. Combien de temps l’Union européenne acceptera-t-elle une telle arrogance ? K.F.

La cupidité

Grande-Bretagne – Les Britanniques n’ont-ils donc pas entendu le fracas ? Comme si le monde de la finance ne s’était pas écroulé au cours des trois dernières années, ils croient pouvoir continuer à jouer à qui perd gagne et compenser les pertes de leur industrie en spéculant avec de l’argent étranger.

Indécrottables et butés, ils persistent à suivre leur prétendue logique selon laquelle les marchés sont invulnérables et que la politique comme la société sont donc tenues, à terme, de se soumettre à leur loi.

Poussé à l’extrême dans cet univers dévoyé, le libéralisme de John Stuart Mill et Adam Smith a permis l’émergence dans la City londonienne d’un système financier dépourvu de véritable régulation, où ont été négociés tous les produits financiers très sophistiqués – instruments dérivés et titres adossés à des créances – qui sont responsables, dans une large mesure, du grand krach de 2008.

Des milliards d’euros, issus des comptes d’épargne et des caisses de retraite des particuliers, sont ainsi partis en fumée, et ce sont les banquiers de la City qui ont été indemnisés.

La crise de la dette souveraine date du moment où les gouvernements se sont vu contraints de renflouer les banques. Or, ne parviennent de Londres que des cris d’effroi devant la proposition d’associer les investisseurs au risque.

Quant à la taxe sur les transactions financières mise en avant par le gouvernement allemand – dont il est prouvé qu’elle pourrait mettre fin aux spéculations à court terme sur le marché des devises – elle a été qualifiée avec emphase de "balle en or dans le cœur de la City" par George Osborne, le chancelier de l’échiquier.

Ceux qui persistent de la sorte à vouloir nager contre le courant seraient sans doute bien inspirés d’aller se trouver un autre lieu de baignade. J.J

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