Frankfort, symbole du capitalisme à l'européenne (Wolfgang Staudt)

L'Europe ne s'en sort pas si mal

Au moment où Barack Obama est accusé de vouloir socio-démocratiser les Etats-Unis avec sa réforme de la santé publique, le prix Nobel d'Economie Paul Krugman remarque que la démocratie sociale européenne, très décriée par les conservateurs outre-Atlantique, marche plutôt bien.

Publié le 12 janvier 2010 à 16:17
Frankfort, symbole du capitalisme à l'européenne (Wolfgang Staudt)

Alors que la réforme du système de sécurité sociale devrait bientôt aboutir aux Etats-Unis, les conservateurs n’en finissent plus de se répandre en lamentations. Même les plus modérés jouent les Cassandre, annonçant la prochaine métamorphose des Etats-Unis en social-démocratie européenne. Or, tout le monde sait que l’Europe a perdu tout dynamisme économique. Il est donc frappant de voir que ce que tout le monde prend pour une vérité est faux. L’Europe a ses problèmes économiques, qui n’en a pas ? Mais l’image que l’on en donne partout – celle d’une économie stagnante où le poids des impôts et des cotisations sociales inhibe toute innovation et freine la croissance – n’a que peu de rapport avec la situation réelle, étonnamment bonne. La véritable leçon de l’Europe est aux antipodes de ce qu’affirment les conservateurs : l’Europe aligne les succès économiques et cette réussite est la preuve que la démocratie sociale fonctionne parfaitement.

En réalité, les performances économiques de l’Europe sont évidentes mêmes sans les chiffres. A tous les Américains qui ont visité Paris, je pose la question : cette ville vous a-t-elle paru pauvre et arriérée ? Et qu’en est-il de Londres ou de Francfort ? Il ne faudrait jamais oublier qu’entre les statistiques officielles et ce que l’on voit de ses propres yeux, les seconds sont toujours plus fiables. En l’occurrence, les chiffres confirment ce que l’on voit. Il est vrai que les Etats-Unis connaissent une croissance économique plus forte que celle de l’Europe depuis près de trente ans. Depuis 1980 – c’est-à-dire depuis que les Etats-Unis ont viré à droite toute tandis que l’Europe restait ancrée à gauche -, le PIB réel des Etats-Unis a augmenté en moyenne de 3% par an. Dans le même temps, le PIB réel des quinze pays membres de l’Union européenne – avant l’élargissement aux anciens pays communistes – n’a crû que de 2,2% par an. Les Etats-Unis sont donc les meilleurs !

L'Europe, un pays de Cocagne ?

Ou peut-être pas. En réalité, tout ce que ces chiffres nous disent, c’est les Etats-Unis ont connu une plus forte croissance démographique. Depuis 1980, le PIB réel par habitant – celui qui mesure le niveau de vie – a augmenté dans les mêmes proportions de part et d’autre de l’Atlantique : 1,95% par an aux Etats-Unis et 1,83% en Europe. Et la technologie alors ? A la fin des années 1990, on pouvait effectivement dire que l’Europe avait raté le train des technologies de l’information. Elle a toutefois rattrapé son retard à bien des égards. L’Internet à haut débit, notamment, est aussi répandu en Europe qu’aux Etats-Unis et il est à la fois bien plus performant et beaucoup moins cher. Et l'emploi ? Dans ce domaine, les Etats-Unis font mieux que l'Europe. Les taux de chômage européens sont généralement bien supérieurs à celui des USA et la part de la population active employée y est inférieure. Mais si vous vous imaginez une population de jeunes adultes vivant dans l’oisiveté aux crochets de l’Etat, vous vous trompez. Dans l’Europe des 15, en 2008, 80% des personnes âgées entre 25 et 54 ans occupaient un emploi (83% en France). C’est à peu près le même chiffre qu’aux Etats-Unis. Les Européens travaillent moins avant 25 ans et après la cinquantaine, mais est-ce nécessairement une mauvaise chose ?

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Les Européens sont également productifs. S’ils effectuent moins d’heures de travail, la productivité des Français et des Allemands est néanmoins proche de celle des Américains. L’idée n’est pas de dire que l’Europe est un pays de Cocagne. A l’instar des Etats-Unis, elle se remet difficilement de la crise financière. Comme eux, les grandes nations européennes sont confrontées à de sérieux problèmes budgétaires structurels et tout comme certains Etats américains, plusieurs pays européens sont au bord de la faillite (Sacramento, capitale de la Californie, est à peu près dans la même situation qu’Athènes). Mais à long terme, on voit que le système économique européen fonctionne : il crée de la croissance et est dynamique, comme celui des Etats-Unis. Pourquoi tant de spécialistes nous le dépeignent-ils alors si différemment ? Parce que, selon le dogme économique en vigueur aux Etats-Unis, la démocratie sociale à l’européenne devrait être un véritable désastre et les gens ont tendance à ne voir que ce qu’ils veulent voir.

Reconnaissons néanmoins que si les difficultés économiques de l’Europe sont largement exagérées, le poids de sa fiscalité ne l’est pas. Dans les principales nations européennes, l’impôt représente entre 36% et 44% du PIB, contre seulement 28% aux Etats-Unis. La couverture sociale universelle est…universelle. Les dépenses sociales sont donc nettement plus importantes. L’exemple de l’Europe est souvent brandi comme un épouvantail par tous ceux qui veulent démontrer qu’en humanisant le système économique pour mieux prendre soin de ses concitoyens, l’Etat finit par tuer tout progrès économique. L’expérience européenne nous montre exactement le contraire : la justice sociale et le progrès économique peuvent aller de pair.

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet