Le beau Oberhausen

Oberhausen, la “Grèce de la Ruhr”

Située dans l’ancien coeur du miracle économique aujourd’hui en plein déclin, la ville de la Ruhr est la plus endettée d’Allemagne. En cause, de sévères politiques d’austérité et le coût de la solidarité envers l’ex-RDA. Une contribution désormais remise en question, à quelques semaines des élections régionales.

Publié le 3 avril 2012 à 14:18
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Il ne respire pas vraiment la pauvreté, ce luxueux centre commercial Centro à la périphérie d’Oberhausen. Mais si l’on en croit Gabriele Daume, une élégante cliente portant un collier de perles, tout l’argent va à l’Est, l’ancienne RDA, alors que c’est l’Ouest qui s’appauvrit.

D’après elle, le Centro d’Oberhausen essaie de masquer la misère. Oberhausen a fermé cinq piscines sur sept, la salle de concerts a été supprimée, le bibliobus aussi, les emplois disparaissent, les jeunes s’en vont. "Et c’est le cas partout à l’Ouest."

Le nouvel Est, pauvre et nécessiteux

Tout d’un coup, le thème est de nouveau au premier plan : la séparation entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest. Mais cette fois, il est inversé à 180 degrés. Posez la question ici à Oberhausen et vous entendrez, 22 ans après la chute du Mur, un message inattendu : le Bassin de la Ruhr, qui fut le cœur du miracle économique ouest-allemand, est devenu le nouvel Est, pauvre et nécessiteux.

Alors que la campagne électorale en Rhénanie-du-Nord-Westphalie [qui se tiendront le 13 mai prochain] bat son plein, la classe politique a apporté sa contribution à cette manifestation de colère. Quatre maires sociaux-démocrates de la Ruhr ont plaidé pour la suppression du “Solidarpakt II”, le pacte de solidarité conçu il y a vingt ans par le gouvernement afin que les Allemands de l’Ouest apportent une contribution pour aider leurs frères de l’Est après la chute du Mur. Ce pacte a été prolongé jusqu’en 2019.

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Les maires semblent avoir touché un nerf à vif. Même Joachim Gauck, le nouveau président et premier Allemand de l’Est à occuper la plus haute fonction de l’Etat, montre de la compréhension pour la colère de l’Ouest.

Il existe toujours des zones riches dans la Ruhr, mais dans des villes comme Duisburg et Dortmund, certains endroits ressemblent, selon Gauck, "à la RDA après la chute du Mur". Des rues sont pleines de trous, des maisons sont condamnées.

Surnommée la "Grèce de l’Allemagne", Oberhausen est la ville la plus endettée du pays. Avec une dette de près de 2 milliards d’euros répartie sur une population de 211.000 habitants, cela fait environ 8.000 euros par tête.

La ville s’est vu imposer une politique d’austérité sévère. Avec 12%, le chômage correspond ici à la moyenne des Länder d’ex-Allemagne de l’Est. La ville a apporté une contribution à l’Est de 270 millions d’euros, elle a même dû s’endetter pour pouvoir payer ce montant.

Gabriele Daum et son amie savent comment on en est arrivé là. Le Bassin de la Ruhr a toujours des difficultés en raison de la fermeture progressive, depuis les années 1980, des nombreuses mines de charbon et d’acier. La région n’a pas su s’orienter vers une nouvelle économie moderne.

"Qu'ai-je à voir avec ce qu'ont fait mes ancêtres ?"

L’ancienne ville de mineurs tente d’y parvenir avec des projets coûteux. On y construit avec zèle à l’extérieur du centre : le Centro, un bâtiment industriel transformé en centre commercial de luxe ; un casino doré ; le Sea Life Center, où Paul la pieuvre faisait ses pronostics légendaires lors de la Coupe du monde de 2010.

C’est dans le centre-ville qu’on voit la dure réalité avec ses nombreux quartiers ouvriers, vétustes et dégradés. Le taux de chômage y est important : les magasins ferment les uns après les autres et des milliers d’emplois dans les services publics sont supprimés.

L’Oberhausien Christian Barth, 26 ans, est l’un des derniers représentants de la longue tradition de la Ruhr. Il est mineur dans une mine de sel et estime qu’il paie “entre 25 et 50 euros par mois” de contribution à l’Est. Il ne veut plus le faire. Car, d’après ses dires, cet argent est gaspillé en projets de luxe, et “si cela va mal ici, ils ne nous aident pas non plus, n’est-ce pas ?” Il ne se sent pas lié à l’Est : “qu’est-ce que j’ai à voir avec ce qu’ont fait mes ancêtres ?”

Le seul endroit où l’on entend parler de “solidarité réciproque” est un conteneur dans le centre-ville. Le groupe artistique Geheimagentur y a monté un projet idéaliste pour trouver des solutions aux problèmes de pauvreté de la ville.

Ils distribuent des “Kohle für alle” (de l’argent pour tout le monde) : une monnaie fictive avec laquelle les citoyens peuvent faire des achats dans une quarantaine de magasins en échange d’une idée “solidaire”. Pour les artistes, la colère de l’Ouest envers l’Est est une expression de “ jalousie” — attisée par les luttes électorales.

Pour Hannelore, 72 ans, qui vient de s’inscrire au “Kohle für alle”, le pacte de solidarité “ne doit plus fonctionner uniquement dans le sens Ouest-Est”. Car elle est sûre d’une chose : “Maintenant les besoins sont ici. Chez nous il y a partout des trous dans la chaussée et là-bas ils ont tous des rues neuves, non ?”

Dans certaines villes est-allemandes l’infrastructure a en effet été restaurée avec des centaines de milliards de “fonds de l’Ouest”. Désormais Dresde a plus bel aspect que Duisburg. Jena a un chômage de 7,3%, nettement moins que dans le Bassin de la Ruhr. Mais pour ce qui est de la puissance économique, l’Est se situe encore loin derrière l’Ouest : un chômage de 12% à l’Est contre 7% au niveau national.

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