Des dix candidats, les électeurs n'en garderont que deux pour le 6 mai.

La colère des petites gens

Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy était le candidat de “la France qui se lève tôt“. Aujourd'hui, il est “le président des riches”. Cette évolution est la conséquence de la politique qu'il a menée et montre combien le pays a changé avec la crise.

Publié le 20 avril 2012 à 14:25
Des dix candidats, les électeurs n'en garderont que deux pour le 6 mai.

“Il y a cinq ans, j'ai voté pour Nicolas Sarkozy, aujourd'hui je me sens gêné, dit Michel Sieurin en baissant la voix et en lâchant son marteau. J'aimais bien le slogan ‘travailler plus pour gagner plus’, mais Sarkozy n'a rien fait pour les petites gens. C'est le président des riches”.

Cela fait vingt cinq ans que Sieurin est cordonnier à Montivilliers, petite ville située près du Havre [en Normandie]. “L'anti-sarkozysme est un phénomène d'élite parisienne”, déclarait récemment la femme du président, Carla Bruni Sarkozy. Même son de cloche dans la presse proche du pouvoir : si les milieux littéraires, les journalistes et les intellectuels sont hostiles à Nicolas Sarkozy, la “majorité silencieuse” des Français ne seraient pas de cet avis. L'intéressé le répète lui-même lors de ses déplacements en province où – surprise ! – il rencontre des foules de partisans. Peut-être aurait-il dû s'entretenir avec quelqu'un comme le cordonnier de Montivilliers.

Rêves déçus

Aujourd'hui âgé de 56 ans, Sieurin a d'abord été ouvrier métallurgiste dans sa jeunesse. Membre de la CGT [syndicat proche du Parti communiste], “j’ai cru au miracle quand la gauche est arrivée au pouvoir avec Mitterrand en 1981”. Mais la gauche est passée et le capitalisme est resté. Le cordonnier a vu beaucoup de choses disparaître : ses rêves d'une société plus solidaire, son travail de carrossier automobile, de même que celui de milliers d'ouvriers dans la région.

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Le 22 avril et le 6 mai, les Français éliront un nouveau président de la République. Michel Sieurin choisira peut-être de voter blanc. Pour lui, François Hollande “n'est qu'un libéral comme les autres”, c'est-à-dire un partisan d'une doctrine économique détestée dans le pays. Le radical Jean-Luc Mélenchon est trop agressif pour le cordonnier de Montivilliers et le vote Front national de Marine Le Pen est par principe hors de question. “Ce n'est pas le cas de certains de ses amis, explique-t-il. Ils sont en colère et veulent le montrer mais ce ne sont pas des fascistes”.

Montivilliers est une petite ville comme bien d'autres. Paris n'est qu'à deux heures et demie de route, mais au plan culturel, on vit ici à des années-lumière de la capitale. Paris est le centre névralgique de tous les débats publics mais la France de la province ne vit pas au même rythme. Ici, les opinions se forment dans le calme, au sein de la famille, entre proches. C'est de cette France-là que dépend l'issue du vote.

La carte de France est en train de changer. Les petits salaires et les chômeurs de longue durée s'installent de plus en plus dans les petites villes et à la campagne. Les grandes villes ne leur offrent généralement que le choix entre des logements hors de prix et des ghettos mal famés.

“Ici, c'est tranquille”, nous répondent d’abord les habitants de Montivilliers quand on leur demande quels sont les avantages de vivre dans leur ville.

Déclassement de la France

La place centrale est entourée de vieilles maisons à colombages, dont certaines tombent en ruines. Cela fait longtemps qu'elle n'accueille plus de marché. L'abbaye presque millénaire est en bien meilleur état, c’est l’Etat qui paye pour elle. Ses activités ont pris fin avec la révolution française lorsque les nonnes ont refusé de jurer fidélité à la République. Depuis 1793, le bâtiment abrite une brasserie. Cette brasserie-abbaye sert au moins de lieu de sociabilité. C'est là que se rencontrent les ouvriers, comme Claude Far et Salim Khaoua. Respectivement âgés de 28 et 30 ans, ces deux hommes d'origine algérienne et marocaine sont devenus “inséparables”. Ils admirent les Allemands pour la chancelière et leurs voitures et pensent que la France est sur le déclin.

Sur ce point, ils sont d'accord avec l'opinion prédominante. Ils sont abreuvés de livres et d'articles déplorant le déclassement de la France et l'érosion du “modèle social français” qu'incarnait le mot “égalité”. “Presque tous nos potes sont au chômage, explique Salim. Ils n'ont pas les moyens d'aller au restaurant comme nous”.

Claude et Salim sont presque toujours en déplacement. Leur travail ? Contrôler la sûreté des réacteurs nucléaires du pays. Ils touchent soit leur salaire, soit des allocations temporaires lorsqu'ils ont atteint la limite d'exposition à la radioactivité et sont obligés de faire une pause.

Tous deux appartiennent à cette “France qui se lève tôt” et dont Sarkozy se plaît tant à faire l'éloge. “Il avait promis aux gens comme nous de nous permettre de gagner plus, tu parles ! C'est le président des riches”.

Et Hollande ? “Non, il veut sortir du nucléaire”. Marine Le Pen ? “Peut-être. La France doit se protéger de la concurrence. Mais l'idée de retourner au franc, c'est n'importe quoi”.

Commentaire

Un air révolutionnaire

“Ce que la campagne a révélé : la haine des riches”, titre Le Point en soulignant le phénomène créé par plusieurs candidats à la présidentielle dont celui de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, est “la haine des riches”,

L’hebdomadaire note que les plus fortunés seraient devenus les “boucs émissaires des candidats”, dans cette campagne “qui se déroule sur fond de crise sans précédent et d’endettement record”. Abolition des privilèges, en écho à 1789, ou “chasse aux riches” à défaut de pouvoir “donner davantage aux pauvres”, les idées avancées montrent que :

“Tous prennent acte d’un retournement majeur : le seuil de l’acceptable en matière d’inégalités de revenus, très élevé dans les années 90 et 2000, s’est brutalement abaissé”.

La campagne se terminant, une question se pose, pour Le Point : “Le vote mettra-t-il fin à cette passion très française ?”.

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