Dépensons-nous pour la croissance

Les différents scrutins du 6 mai ont exprimé la rupture entre responsables politiques et citoyens européens. Pour éviter que la situation ne dégénère, il faut abandonner l’obsession de la rigueur pour relancer la solidarité et l’intégration qui ont fait l’Europe, estime une éditorialiste italienne.

Publié le 10 mai 2012 à 14:24

Assez de l’Europe des arrogants, des chefs qui ne connaissent que la loi du plus fort. Assez de l’Union qui a dégénéré en une pyramide féodale, avec un seul grand Etat — le seul véritablement souverain — à sa tête, et la pléthore des vassaux et autres vavasseurs à ses ordres. Assez de l’Europe peu convaincante des proclamations : il est scandaleux, alors que la crise économique fait des dégâts, que l’austérité lui emboîte le pas et que l’emploi se fait rare.

Jamais auparavant, avant le "super-dimanche" dernier, on avait eu conscience avec autant de brutalité de la portée du divorce entre l’Europe, ses classes dirigeantes et ses citoyens. Une rupture qui a mûri au sein même d’un projet commun qui non seulement est en perte de vitesse, mais qui a fini par renier l’esprit et la politique des origines et s’obstine à ignorer la réalité : le mécontentement et la frustration croissante des citoyens. D’où la perte d’adhésion de leur part. Ce n’est pas encore un plébiscite négatif, mais presque. A présent, soit l’Europe redémarre et elle redevient elle-même, soit elle mourra tôt ou tard. Afin de retisser le lien avec ses peuples, elle a besoin, en urgence, de deux choses : la croissance économique et la politique.

Océan de méfiance

Pour commencer, il faut : récupérer la dynamique démocratique à tous les niveaux, inter-institutionnel compris ; rejeter toute dérive vers des “directoires” ; redécouvrir la communauté de droit et d’égalité relative des Etats face à la loi, ainsi que le principe d’unité dans la diversité (et non dans l’uniformité). Ce n’est qu'en empruntant ce chemin que l’on peut espérer guérir la crise de confiance et franchir l’océan de méfiance réciproque qui empoisonne aujourd’hui la cohabitation européenne.

Mais sans une croissance économique tangible qui ne se limiterait pas aux déclarations, sans nouveaux emplois, sans ponts, sans autoroutes transeuropéennes, sans réseaux numériques et énergétiques, bref, sans une Europe des opportunités et de l’espoir pour remplacer celle de la rigueur et du désespoir, on ne sort pas du marasme.

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Il serait illusoire de croire que la France de François Hollande, qui a été élu en misant tout sur la relance de l’économie européenne, puisse seule passer outre l’opiniâtreté allemande. Afin d’éviter qu’ailleurs en Europe ne se répète le cauchemar de la Grèce, où l’excès de rigueur a fait sauter les paramètres de la démocratie, avec l’ascension anormale des extrémistes de tout bord, Paris a besoin de former une sorte de sainte alliance. Celle-ci devra agir comme un contrepoids solide au superpouvoir de l’Allemagne, qui a pu s’exercer sans freins car il n’a pas rencontré de garde-fous crédibles.

Une fois posé que le chemin de la croissance dans la rigueur est étroit mais obligé pour pouvoir dialoguer sérieusement avec Angela Merkel et que Hollande semble accepter avec conviction ce chemin, l’entente avec l’Italie de Mario Monti et avec la Commission européenne de José Manuel Barroso, avec l’Espagne de Mariano Rajoy, le Portugal, la Grèce, la Belgique, mais aussi les Pays-Bas, ne sera qu’une question de temps. Le sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement du 23 mai pourrait être l’occasion de tester de nouvelles alchimies de pouvoir, en même temps que des recettes concrètes pour faire repartir l’économie.

Myopie et égoïsme

Une tâche compliquée. Car il y a pas mal d’idées sur le tapis : des project bonds pour financer les grandes infrastructures à l’augmentation du capital de la Banque européenne d'investissement, de la réorientation des fonds structurels européens non dépensés à la taxe sur les transactions financières. Jusqu’aux eurobonds, dans un avenir moins proche. Ou encore : la règle d’or pour exclure les investissements dans le développement durable du calcul du déficit et une interprétation plus flexible du pacte fiscal afin d’allonger les termes pour l’assainissement des comptes publics, le rendant ainsi socialement et économiquement plus acceptable.

Ce sont là des idées qui, d’une façon ou d’une autre, font appel à la solidarité et à la cohésion, c’est à dire à l’esprit européen qui a manqué ces deux dernières années de crise. Ou qui, alors qu’il était déjà trop tard, ne s’est manifesté que sous la contrainte des marchés, alors que la myopie et les égoïsme nationaux dominant l’avaient enterré.

La croissance est indispensable mais, pour être vraiment européenne et durable, elle a besoin d’autre chose : davantage d’intégration à tous les niveaux ; une réforme du statut de la Banque centrale européenne, de ses objectifs et de ses marges de manoeuvre; un modèle de société et de développement en phase avec notre époque ; l’union politique. Sans ça, l’euro pourra difficilement survivre longtemps.

Le défi est énorme. Il passe par une contre-révolution culturelle qui fasse émerger l’Europe perdue. Est-ce faisable ? Ce qui est sûr, c’est que la remise en marche de l’économie est le premier pas vers la réconciliation avec les citoyens. Un projet qui détruit la croissance ne peut pas les séduire. Le reste viendra si les gouvernements réapprennent à se faire confiance les uns les autres : si tous se parlent à nouveau sur un plan d’égalité, dans le respect réciproque et redécouvrent la valeur de l’intérêt commun, dans un monde global où l’Europe devient chaque jour plus petite. Et où elle doit apprendre à agir vite.

Opinion

L'euro, une mauvaise expérience

La zone euro, la plus mauvaise expérience jamais faite ?” se demande Peter de Waard dans De Volkskrant. Pour le chroniqueur économique, les différences entre les 17 pays qui partagent la monnaie unique sont tellement grandes qu’il est évident que les problèmes s’accumulent et semblent de plus en plus inextricables :

En 1992, le chancelier Helmut Kohl et le président François Mitterrand auraient mieux fait de jeter des flèches sur une carte du monde, les yeux bandés, pour sélectionner les pays pour le projet euro.

Peter de Waard se fonde sur une étude réalisée par des économistes de la banque JP Morgan qui se sont amusés à réaliser des unions monétaires fantasques à partir des statistiques économiques de plusieurs pays.

Ainsi, note Waard, il y aurait moins de différences entre “tous les pays se trouvant sur le 5° de latitude nord — un ensemble qui comprendrait, entre autres, la Colombie, le Cameroun, le Soudan du Sud, le Surinam, le Brésil, le Venezuela et l’Indonésie” qu’entre ceux de la zone euro. Il en est de même des pays commençant par la lettre M (Mali, Madagascar, Maroc, Macédoine, Mexique et Mongolie).

Ce sont notamment les différences en termes de productivité, de systèmes juridiques, de politique de la concurrence et de gaspillage de l’argent public qui rendent aussi peu homogène la zone euro.

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