La grande coalition européenne

Jusqu’à présent, il n’y avait guère de discussions idéologiques en Europe, par manque de vraie culture du débat. Avec un président français et une chancelière allemande politiquement opposés, l’UE pourrait apprendre à discuter, et ranimer l’intérêt des citoyens.

Publié le 16 mai 2012 à 15:33

Arriver dans la ronde des chefs d’Etat et de gouvernement européens permet de souffler. Une fois qu’on est là, au milieu des présidents, des chanceliers et des premiers ministres, on est dans la place, on a réussi, on peut regarder de haut l’opposition dans son pays, son petit esprit, et les critiques. Ici, on se partage le copieux gâteau du pouvoir. En l’absence de véritable concurrence sur l’échiquier européen, les chefs de gouvernement surplombent les parlements et les partis. Ils ont délaissé la Commission. C’est ce qui rend le Conseil européen si unique – et aussi si prévisible.

Car rien ne priverait plus vite le Conseil de son pouvoir que le conflit et un retour en arrière. Quand on est homme ou femme d’Etat, on est au-dessus des idéologues. C’est pourquoi le Conseil a réagi avec autant de perplexité lorsqu’il a été fait trivialement mention, lors des campagnes électorales grecque et française, des alternatives fâcheuses devant lesquelles se trouvait la politique européenne, lorsque le nationalisme et le populisme ont été érigés en remèdes universels : bouter la Grèce hors de l’euro ou l’y laisser ; distribuer des aides ou se serrer la ceinture ; augmenter les impôts pour les plus riches ou les revoir à la baisse.

L'immaturité d'un continent

Mais alors, qui décide pour l’Europe ? Un appareil institutionnel inachevé ? S’il fonctionnait mieux, celui-ci jouirait d’une plus grande confiance. Les questions véritablement centrales – la légitimité démocratique, la surveillance et le contrôle – demeurent en suspens. Autant de preuves de l’immaturité du continent.

Les institutions nationales elles aussi sont trop faibles pour porter à elles seules le poids de l’Europe entière. L’Etat-nation est devenu trop étriqué pour cette Europe qui, sur le plan commercial, est depuis longtemps tributaire des forces de la mondialisation, et qui ne peut faire valoir son rang dans le concert des puissances mondiales autrement qu’unie.

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Voilà au moins dix ans que l’Europe est aux prises avec la mondialisation. Sa première réaction immature a été de créer l’euro et de se doter, sans conviction, d’un protocole additionnel – le traité de Lisbonne. Le continent ne s’est pas vraiment accommodé des courbes montantes et descendantes de la mondialisation, du marché libre, des capitaux nomades et du libre accès à l’information. C’est pourquoi la tentation est de plus en plus grande d’enfiler la camisole du patriote et d’assouvir sa nostalgie du confort douillet de la nation.

Mais quid de la stabilité et de la prévisibilité démocratique ? Ce n’est guère plus brillant – comme en témoigne un pacte budgétaire boiteux. Celui-ci entend certes respecter toutes les souverainetés (afin que les Irlandais ne disent pas non au référendum), mais prévoit en même temps de conférer davantage de pouvoir à l’Europe.

La passion fait défaut à l'Europe

Voyons-nous le bout de la capacité de consensus de l’Union ? L’Europe a-t-elle besoin d’alternatives, de confrontations, d’idéologies ? Lorsque François Hollande s’est jeté dans la campagne électorale avec ses chevaux de bataille socialistes, la chancelière n’a pas été la seule à faire la grimace. Fallait-il que la crise dérive vers une confrontation autour du credo politique de la droite ? Faisaient-ils une fois de plus leur retour, les "camarades" et leurs idéologies poussiéreuses : les socialistes, les néolibéraux, les étatistes et les partisans de la redistribution des richesses ?

En réveillant les envies d’idéologie, le nouveau président a involontairement mis le doigt sur ce qui faisait défaut à l’Europe : la liberté de choix, la polarisation, le débat démocratique – et donc la passion, celle qui pousse les gens à s’engager dans la politique. L’instinct de François Hollande a montré que la passion permettait de remporter des élections.

Prudence toutefois : l’Europe n’est pas suffisamment forte pour encaisser cette confrontation. Pas encore. François Hollande se rendra vite compte, au sein du club des puissants, que les grands problèmes auxquels est confronté le continent européen appellent de grandes coalitions. Le réaliste qu’il est deviendra vite un maître du consensus, aux côtés de la chancelière allemande. Mais l’idéaliste français qu’il est aussi ne devrait pas délaisser sa fibre idéologique. Si elles étaient assez fortes, l’Europe et ses institutions seraient capables de supporter la virulence politique.

Vu de Paris

Un sommet d’urgence

“Le duo franco-allemand s’accorde sur la Grèce”, titre Le Monde au lendemain de la première rencontre entre François Hollande et Angela Merkel. Le nouveau président s’est rendu à Berlin dès le jour de son investiture “pas simplement pour souligner l’importance du tandem franco-allemand en Europe, note le quotidien. Mais parce qu’il y a urgence” :

La Grèce coule. Le grand malade des dix-sept membres de la zone euro euro connaît un nouvel accès de fièvre. Elle n’a pas de gouvernement, elle doit retourner aux urnes. Elle n’arrive pas à choisir : doit-elle rester dans l’union monétaire ? (...) Pas étonnant que la foudre ait frappé l’avion du président Hollande, Zeus a voulu marquer à sa façon la gravité de l’heure.

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