Un porte-container quitte le port de Hambourg, plaque tournante des exportations allemandes (AFP)

Le modèle allemand en accusation

La puissance commerciale germanique affaiblit les économies européennes. Exprimé par la ministre française de l’Economie, ce reproche, de plus en plus partagé au sein de l’UE, suscite un vif débat dans la presse.

Publié le 16 mars 2010 à 14:00
Un porte-container quitte le port de Hambourg, plaque tournante des exportations allemandes (AFP)

L’attaque est partie du plus proche allié de l’Allemagne. "En indiquant lundi dans le Financial Times que l'excédent commercial de l'Allemagne pourrait ne pas être 'soutenable' sur le long terme, en particulier pour ses voisins de la zone euro, Christine Lagarde, la ministre française de l'Economie, aurait-elle levé un tabou?", s'interroge La Tribune. Des déclarations, expliqueLe Figaro, qui "reprennent une thèse prisée côté anglo-saxon", selon laquelle "l’Allemagne devrait d’abord balayer devant sa porte".

Depuis le début de la crise grecque, "sous la pression d’une opinion publique hostile au laxisme budgétaire, Berlin a freiné des quatre fers à l’idée d’un sauvetage de la Grèce", explique le quotidien français. "Cette intransigeance a fini par agacer." Car Berlin mène "une stratégie économique non coopérative", constate Jean-Paul Fitoussi, le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ans La Tribune. "*L*a stratégie économique allemande fondée sur la croissance des exportations ne peut pas être reproduite par les autres pays européens. Pour qu’un pays exporte, il faut qu’il y en ait d’autres qui importent. Si tous les pays européens cherchaient à accroitre leurs exportations en même temps, ce serait un désastre."

"La puissance exportatrice est une des constantes de l'Allemagne" depuis le XIXè siècle, ajoute le quotidien économique. Et aujourd’hui, "en alliant prix et qualité, les entreprises allemandes raflent nombre de marchés et le pays est devenu champion du monde des exportations en 2004." "Avec la crise grecque, un débat a commencé à se faire jour sur la nécessité de rééquilibrer l’économie nationale (…) Mais le modèle exportateur est sacralisé outre-Rhin. C’est lui que Berlin présente comme exemple à l’Europe et à la Grèce. »

Un modèle sacré que les Allemands ne semblent pas prêts à abandonner malgré les critiques de leurs voisins. "Personne n'aime le premier de la classe. Surtout quand il admoneste ses camarades qui n'ont pas fait leurs devoirs, observe Handelsblatt. Un jour ou l'autre, le clash survient. C'est ce qui se passe actuellement ». Le quotidien économique concède toutefois une responsabilité allemande. "Par nos excédents commerciaux, ne sommes nous pas responsables, autant que les Grecs, les Espagnols et les Portugais, des déséquilibres dans la zone euro ? Et ne procédons-nous pas de la même manière en investissant dans nos capacités industrielles pour exporter notre crise ailleurs ?"

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Mais venue de Paris, cette remise en cause semble impossible. "*I*l fallait que ce soit précisément la France!", s’exclame Die Welt. "Ce pays qui, par sa notion traditionnelle de la politique industrielle, déforme la concurrence internationale, demande au gouvernement [allemand] de réduire les excédents de commerce extérieur. [...] Cela suit un raisonnement économique que la RFA a heureusement mis de côté ces dernières décennies." En l’occurrence, ajoute Handelsblatt, s'endetter plus, consommer plus pour sortir de l’ornière, ce serait "un nivellement par le bas !" "Il est vrai que l'Allemagne ne peut pas se contenter uniquement de baisser ses coûts. L'augmentation des salaires libérerait les partenaires européens de la pression de la compétitivité, mais l'Europe sera affaiblie face aux Etats-Unis et la Chine. [...] Le plus petit dénominateur nous affaiblit tous."

"Les déséquilibres au sein de l'UE deviennent un problème",observe de son côté la Süddeutsche Zeitung. "Mais le sud et d'autres Européens mal en point sont mieux servis avec la recommandation de suivre la voie allemande. Ce n’est que si les Etats réalisent leurs réformes que l'UE dans son ensemble fera bonne figure."

Derrière cet échange d’amabilités franco-allemandes se profile une lutte pour le leadership économique en Europe. Et dans ce cas, le Financial Times a choisi le campde Christine Lagarde. Le quotidien de la City estime que la Française a raison de s'opposer au "sadisme" de son homologue allemand, Wolfgang Schäuble, et "les épouvantables nouveaux châtiments envers les pays qui transgressent les règles fiscales de la zone euro".

La zone euro "a davantage besoin que les pays excédentaires dépensent qu’elle n’a besoin de nouveaux moyens pour punir les pays endettés", souligne le FT. Avec la Grèce, l'Irlande, le Portugal et l'Espagne obligés de mettre en oeuvre "d'importantes mesures de rigueur fiscale pour maîtriser leurs déficits gonflés par la crise", le quotidien économique craint que les pays les moins compétitifs ne soient "forcés d’entrer en déflation et rétrécir leurs économies" pour s’adapter à la crise. La solution : "Encourager l'Allemagne à dépenser. S’offrir de jolies choses n'est pas une prescription trop lourde."

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