Tomislav Nikolić, le fort en gueule des Balkans

Tout juste installé dans son fauteuil de président, le leader nationaliste a rouvert les plaies de l’ex-Yougoslavie. Mais sur la question cruciale du Kosovo, il s’est vite aperçu que la réalité était plus forte que la réthorique.

Publié le 7 juin 2012 à 11:13

Dès son investiture, Tomislav Nikolić a compris qu’il était beaucoup plus confortable d’être dans l’opposition : désormais, chacune de ses déclarations est passée au crible des médias. En trois prises de parole, il a réussi à dégrader les relations avec pratiquement tous ses voisins. Il a débuté en disant que Vukovar était une ville serbe où les Croates n’avaient pas à revenir [située en Croatie, cette ville a fortement souffert du siège de l’armée serbe en 1991]. Ensuite, il a affirmé qu’il ne s’opposait pas à l’indépendance du Monténégro, mais qu’il ne voyait aucune différence entre les Serbes et les Monténégrins. Enfin, il a enfoncé le clou en déclarant qu’il n’y a pas eu de génocide à Srebrenica, ce qui a provoqué la colère des Bosniaques.

Aucune des déclarations de Nikolić n’avait un ton querelleur ou belliqueux, bien au contraire. Si on les compare aux propos qu’il a tenus par le passé et qui l’ont rendu “célèbre”, on peut même considérer qu’il a dû faire de grands efforts pour bâtir sa nouvelle image de pacificateur. Mais il a beau faire des efforts, les scandales le rattrapent, c’est plus fort que lui.

Raviver le problème

Lorsque le grand mufti du Sandjak, Muamer Zukorlić, lui a demandé s’il allait visiter Srebrenica et condamner le génocide, il a répondu : “Probablement pas. Le président Boris Tadić [son prédécesseur] a déjà effectué une visite à Srebrenica et condamné les crimes qui y ont été commis, je ne vois pas de raison de raviver le problème”.

Et au lieu de s’arrêter là, il a poursuivi : *“I*l n’y a pas eu de génocide à Srebrenica. Un grand crime y a été commis dont les auteurs méritent d’être arrêtés, jugés et condamnés”.

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Le jour de son investiture [le 31 mai], Nikolić a eu une première occasion d’agir en tant que chef de l’Etat. Moins de 24 heures après sa prestation de serment, les médias ont annoncé que les forces de l’Otan stationnées au Kosovo (KFOR) avaient bloqué les routes au Nord du Kosovo. Elles cherchaient à lever les barrages que des Serbes de la région avaient érigés quelques mois auparavant pour empêcher le déploiement des policiers et des douaniers kosovars le long de la frontière. Les sirènes d’alerte ont de nouveau retenti au Nord de Kosovska Mitrovica et dans les localités voisines, à population majoritairement serbe, tandis que les Serbes de cette zone s’opposaient aux forces de KFOR.

Pas de compromis sur le Kosovo

Pendant des années, Nikolić a reproché à Tadić d’être trop accommodant au sujet du Kosovo. Mais au moment de prendre le pouvoir, il a retourné sa veste d’anti-européen pour endosser l’habit d’un adepte de l’adhésion de la Serbie à l’UE - en soulignant toutefois que la question du Kosovo était la ligne rouge qu’il ne franchirait à aucun prix. Dans une récente interview à la télé monténégrine, il a répété qu’il ne reconnaîtrait pas l’indépendance du Kosovo, même s’il devait lui en coûter de renoncer à l’adhésion de la Serbie à l’UE.

En prêtant serment devant les 250 nouveaux députés de l’Assemblée nationale, et en prenant ses fonctions de chef suprême de l’Armée serbe, il a juré de consacrer toutes ses forces “au maintien de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République Serbe, y compris au Kosovo-Metohija, qui en font partie intégrante [appellation serbe du Kosovo]”. A peine 20 heures plus tard, l’opération de la KFOR montrait que la Serbie n’est pas tout à fait souveraine sur cette partie de son territoire. Et qu’a fait Nikolić ? Exactement ce que Tadić aurait fait à sa place ! Les radios et télévisions locales ont diffusé des communiqués appelant les Serbes vivant dans les village du Nord du Kosovo au calme et à ne pas attaquer la KFOR.

Les réalités du pouvoir

Un retournement ? Il s’agit plutôt de la prise en compte de la réalité. Il est facile d’agiter les esprits avec des déclarations sur Vukovar et Srebrenica, en évoquant les guerres qui sont derrière nous. Mais le Kosovo est un tout autre problème. Après les élections serbes, le chef de la diplomatie slovaque, Miroslav Lajčák s’est rendu à Belgrade en tant qu’émissaire de Catherine Ashton et José Manuel Barroso. Il a apporté ce message à Nikolić : la normalisation des relations et la reprise du dialogue avec le Kosovo seront la condition sine qua non du rapprochement entre la Serbie et l’UE.

Nikolić aurait pu envoyer l’Armée aider les Serbes qui tenaient les barrages érigés à Leposavić. Il ne l’a pas fait. Sans doute a-t-il lui-même compris que raconter ses rêves de Grande Serbie - qu’ils soient réalisables ou pas - est une chose, mais qu’assumer les responsabilité d’un chef d’Etat en est une autre.

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