L'espace dédié aux supporters de l'Euro de football 2012, près du Palais de la Culture de Varsovie, 4 juin 2012.

L’heure de gloire de la Pologne

Les Polonais donnent le coup d'envoi du championnat d'Europe de football dans des stades flambant neufs. Pour Newsweek Polska, cette compétition co-organisée avec l'Ukraine est l'occasion de montrer le nouveau visage du pays, même s'il y a encore des progrès à faire.

Publié le 8 juin 2012 à 11:05
L'espace dédié aux supporters de l'Euro de football 2012, près du Palais de la Culture de Varsovie, 4 juin 2012.

J'avoue que je pense à ce match depuis des années. J'imagine ce moment. Le coup d'envoi du championnat vient d'être donné. On est le 8 juin, il est 17h57 au stade national de Varsovie. Les équipes de la Pologne et de la Grèce entrent sur le terrain. Le stade est en effervescence. Je vois nos onze gars qui sont sur le point de fouler la pelouse. J'entends cet hymne, chanté par cinquante mille gorges, j’ai la chair de poule. Allez les blanc et rouge!

Je vous accorde que tout cela devient un peu pathétique, on est ému aux larmes, alors revenons à la réalité et rappelons que cette belle fête, nous la devons à un magnat ukrainien qui a, dit-on, acheté suffisamment de voix de membres du comité de l'UEFA pour que M. Platini puisse, à sa grande surprise admet-il aujourd'hui, annoncer au monde entier que le championnat d'Europe de football 2012 aura lieu en Pologne et en Ukraine. Au passage, je salue et remercie chaleureusement Monsieur Surkis. Sans lui, on n’en serait pas là.

Système de santé boiteux, crottes de chiens

Mais la fête n'aurait pas lieu non plus sans le succès sans précédent de la Pologne. Un succès sans lequel l'idée d'organiser un championnat en Pologne et en Ukraine relèverait d’un rêve fou. Quelle en est la clé ? Pour faire court, c'est celle d'avoir saisi l'occasion qui nous a été donnée par (barrer la mention inutile): Dieu, le destin, l'histoire. Je vous prie de bien noter la formule : “Nous avons saisi l'occasion”. C'est en effet une forme de dérogation de la nature. Ainsi, les Polonais ne gâchent pas leur chance, ils ne gaspillent pas l'occasion, mais en profitent à merveille, ils n’enterrent pas les talents bibliques, mais les multiplient. On parle ici de NOUS, LES POLONAIS !

Dans les jours qui ont suivi la catastrophe de Smolensk, j'avais vraiment peur. J'avais le sentiment que les admirateurs post-romantiques d'une Pologne victime, toujours perdante, toujours humiliée et fouettée, s’emparaient de notre drapeau et se mettaient à produire les définitions de ce qu’est le vrai patriotisme, de qui est un patriote et qui ne l’est pas. Ce faisant, ils laissaient à la marge à peu près les trois quarts des Polonais. J’ai eu alors la certitude que nous ne devons priver personne du drapeau blanc-rouge, et que personne ne doit nous en priver. Puis, pour conter tout ça, il m’est venu le slogan : “Fajna Polska” (la Pologne sympathique). La Grande Bretagne a eu, il y a quelque temps, son “Cool Britannia”, la Suède “Sverige är fantastik” (la Suède est fantastique). Non, la Pologne n'est pas cool, elle est brûlante de ses émotions et ses sensibilités. Non, la Pologne n'est pas non plus fantastique. Elle est juste sympa, avec ce que nous aimons et ce qui nous irrite, avec tout ce qui suscite notre admiration et notre colère. Oui, c’est cela, elle est juste fajna.

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Une Pologne sympathique ? J'ai sous la main une centaine de preuves qu’elle ne l’est pas. Des tribunaux lents, un système de santé boiteux, des trottoirs pleins de crottes de chiens, des fonctionnaires peu avenants, de mauvaises écoles supérieures, un système fiscal d’une complexité absurde. Et tout un tas d'autres exemples, chacun peut y rajouter le sien.

Fajna Polska grandit

Pas très crédible fajna Polska ? Alors peut-être fajni Polacy (les sympathiques Polonais) ? Je sais, cela ne colle pas non plus, je peux facilement multiplier les preuves du contraire. Les forums sur Internet déversent un flot d'injures antisémites, des grossièretés de tous ordres, avec une déconcertante facilité à prêter aux autres de mauvaises intentions et de mauvaises actions. Le point central de cet acte d'accusation, contre nous les Polonais, serait probablement la capacité dont nous avons fait preuve ces sept dernières années à nous dresser les uns contre autres.

Et malgré tout fajna Polska ? Fajni Polacy ? Oui, assurément ! Pour quelle raison ? Parce durant les vingt trois dernières années, ensemble, nous les Polonais, nous avons réussi à briser la plupart des stéréotypes renforcés par les autres et ressentis par nous-mêmes. Il s'est avéré que nous savons bosser et tirer, mieux que personne, notre épingle de jeu. Il s'est avéré aussi que nous ne nous reposions absolument pas sur l'Etat, mais qu'au contraire, parfois malgré l'Etat, nous nous débrouillons, nous créons des entreprises et des emplois. Nous payons nos impôts. Nous nous décarcassons pour assurer à nous-mêmes et à nos enfants un avenir meilleur.

Fajna Polska grandit. Majoritairement, elle résiste bien aux scénarios noirs vendus par certains de nos responsables politiques. Elle ne ferme pas les yeux devant les problèmes, et ne baisse pas les bras lorsqu'il faut les résoudre. Elle regarde dans le miroir sans une grimace de dégoût, mais elle refuse aussi le masque pseudo-patriotique de l'innocence. Elle se regarde avec sympathie, bienveillance et autodérision. Elle est consciente de ses valeurs, de ses vertus et de ses forces, mais aussi de ses faiblesses et de ses défauts.

C'est cette Pologne que verra l'Europe dans un instant. Mais bon, revenons sur le terrain. Fini les bavardages ! Nous sommes le douzième joueur de l'équipe de Smuda ! (Franciszek Smuda, l'entraîneur de l'équipe polonaise) Allez les blanc et rouge !

Contrepoint

L'amour du football nous rend aveugles

“La préparation polonaise à l'Euro 2012 est médiocre, d'autres discrédits ne sont pas à exclure, et les espoirs d'un avenir brillant après le championnat sont largement exagérés” , souligne Tygodnik Powszechny dans son commentaire consacré à l'Euro. Il reste de nombreuses lacunes : des autoroutes inachevées, des déviations, des embouteillages, des “infrastructures qu'il va falloir fermer provisoirement, pour les achever tranquillement après le Championnat d'Europe”.

Nous n'avons pas fait un saut de civilisation, nous avons en revanche entendu à la BBC que nous vivons dans un pays de racistes, d'où on risque de revenir dans un cercueil.

Et pourtant, comme l'écrit l'hebdomadaire catholique “tout cela n'a aucune importance”.

Laissons les hommes politiques, qui peignent leur visage aux couleurs nationales, espérer une hausse de popularité dans les sondages, laissons les commerçants faire exploser leurs ventes de bières et de télés [...], laissons les fabricants de drapeaux nationaux être écrasés par le cahier de commandes, laissons les féministes nous alerter, à juste titre, sur les dangers associés à l'explosion du machisme, quoi qu'il en soit ce sera beau, parce que le football est beau.

Car, bien qu'une déception amère soit un chose naturelle pour chaque supporter, elle ne le “prive pas de la force de se relever après chaque défaite, et d’affronter, avec un courage rare, la suivante. Il n'y a que la foi et l'amour qui donnent une motivation comparable à celle-ci”.

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