Des mensonges payés comptant

Complices, les banques et les politiques sont responsables du désastre bancaire en Espagne. Et ce sont les citoyens qui vont devoir en assumer les conséquences, accuse le directeur du quotidien portugais Jornal de Negócios.

Publié le 12 juin 2012 à 14:44

Le désastre du secteur bancaire espagnol est une honte d'Etat. A cause de l'édification d'un mythe. A cause de la complicité entre public et privé dans ce qui est un délit. A cause des bénéfices engrangés par certains, sans commune mesure avec les préjudices à venir pour d'autres. A cause des dénégations. A cause de la contagion. A cause du mensonge. Tout le monde ment. Tout le monde ment aux mêmes : aux contribuab... pardon, au peuple.

Nous avons aujourd'hui le droit de parler de ce qui se passe chez les autres. Puisque c’est nous qui allons payer l’hypothèque de leur maison. Nous, les “Européens”. Quelle différence y a-t-il, au fond, entre la Grèce, qui a menti sur ses comptes publics, et les banques espagnoles, qui ont menti sur leurs bilans ?

Cordon sanitaire

Le cas espagnol ressemble plus à celui de l'Irlande parce que les banques sont touchées, qu'à celui du Portugal, qui, sans avoir de problème gigantesque, les a tous en même temps. En Espagne, le mal est né des rapports incestueux entretenus par les “cajas de ahorro” [les caisses d'épargne] et les institutions politiques régionales. A cela s’ajoute la bulle immobilière que tous ont alimentée – et dont tous ont tiré profit : les banques via les crédits, le secteur du bâtiment via les chantiers, le secteur immobilier via les transactions, l'Etat via les impôts, les partis on sait bien comment, et enfin, le gouvernement via les statistiques de croissance du PIB.

Cela fait au moins deux ans que cette bulle et ses effets sont visibles. Mais l'Espagne a tout fait de travers : l'ancien gouvernement Zapatero a repoussé le problème, quant au nouveau, celui de Rajoy, il a rapidement perdu sa détermination. Le mal, qui aurait pu être cantonné aux caisses d'épargne, risque aujourd'hui de s'étendre aux plus grandes banques espagnoles (Santander, BBVA et la Caixa ne bénéficieront pas des 100 milliards d'euros [prévus par le plan d'aide]). Pire, la contagion menace la dette souveraine.

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Là où l'Espagne se distingue de l'Irlande, c'est dans la solution choisie. L’Irlande a nationalisé les pertes des banques, devenues du déficit public ; en Espagne, on tente de mettre en place un cordon sanitaire autour du secteur bancaire, en lui prêtant cent milliards qui deviendront de la dette publique. Avec un objectif : éviter que le problème des banques ne devienne problème d'Etat. Mais il est évident que ces 100 milliards font partie d'un plan de sauvetage de l'Espagne. Qui inclut bien un programme d'austérité, tacite certes, mais déjà mis en œuvre. Et qui placera les banques espagnoles sous la surveillance de la Banque centrale européenne.

La Banque d'Espagne est loin, très loin de sortir grandie de cette affaire. A tel point que le gouvernement Rajoy l'a désavouée, en transférant l'audit du système au ministère de l'Economie. Les banques européennes ne gagneront plus autant d'argent que par le passé, elles connaîtront fusions, disparitions, réduiront leur nombre d'agences, leurs effectifs, leurs dettes, leurs actifs, leurs résultats. Nous sommes bien placés pour le savoir, nous, au Portugal, qui avons de l'avance en la matière.

Démocratie bien malade

Quelques mots, d'ailleurs, sur le Portugal : un bon élève a des raisons de sourire. Le processus de capitalisation arrive à son terme, et les banques entameront l'été avec des fonds propres sans égal en Europe. Il faudrait préciser qu'une partie est publique, une autre privée, mais c'est là une question comptable qui mériterait un autre éditorial.

“Qu'on sorte du petit jeu de la culpabilité !”, déclarait Bob Diamond, le président de la banque Barclays, il y a un an et demi. Quand nous disons que le secteur bancaire a pris la politique en otage, c'est bien de ce jeu là dont nous parlons : des républiques de débiteurs et des monarchies de créanciers. Des financiers qui savent tout et qui embobinent des politiciens qui ne savent rien. Et des uns qui ont la suprême audace de traiter les autres, qui paient pour leurs erreurs, d'analphabètes de la finance. Oui, ceux qui ont fait exploser les budgets futurs, et qui, drapés dans l'austérité, provoquent faillites et chômage, sont aussi ceux qui accusent le peuple d'ignorance financière. Bravo.

La crise est bancaire. Elle a métastasé et engendré une crise de la dette souveraine. Et ces deux crises, ce sont les “Européens” qui les subissent. En clair, nous. Il faut que la démocratie soit bien malade pour que mentir aux institutions européennes, comme cela a été le cas en Grèce, soit au final plus grave que mentir au peuple, comme c'est le cas en Espagne. Les banques vont être aidées. Et nous, que leur disons-nous ? Rien. Nous nous sommes déjà tout dit. Nous avons écrit tout ce qu'il y avait à écrire. Il n'y a plus qu'à subir. Comment sort-on de l'abîme ?

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