"Stoppez le terrosme". Des musulmans indiens protestent à Delhi contre les attentats du 7 juillet 2005 à Londres

Parlez-vous globish ?

Avec un vocabulaire d’à peine 1 500 mots, le “globish”, ou “anglais décaféiné”, est devenu la langue véhiculaire planétaire. Robert McCrum analyse l’avènement de ce nouveau dialecte du XXIe siècle.

Publié le 2 avril 2010 à 15:31
"Stoppez le terrosme". Des musulmans indiens protestent à Delhi contre les attentats du 7 juillet 2005 à Londres

Qu’est-ce que le globish ? Pour moi, tout a commencé en 2005, quand le Jyllands Posten,un quotidien danois, a publié des caricatures du prophète Mahomet, ce qui a déclenché des émeutes qui ont coûté la vie à 139 personnes. La réaction la plus étrange à l’affaire a peut-être été cette manifestation de fondamentalistes musulmans devant l’ambassade danoise à Londres. Scandant des slogans en anglais, les manifestants brandissaient des panneaux ornés de formules comme "Vikings Beware!”, “Butcher Those Who Mock Islam” et “Down with Free Speech”. (“Vikings attention !”, “Massacrez ceux qui se moquent de l’islam” et “A bas la liberté d’expression”). Cette collision entre le Coran et les Monty Python est l’expression d’un profond bouleversement dans la façon de s’exprimer d’un monde unifié par Internet. Peut-on imaginer démonstration plus surréaliste de l’anglicisation de la planète qu’une manifestation de musulmans qui, à Londres, profitent d’une antique liberté anglaise pour réclamer en anglais que soit limitée cette tradition libérale qui leur permet justement de manifester.

Une troisième force linguistique qui s'impose

Puis, en 2007, Jean-Paul Nerrière, un ancien cadre francophone d’IBM, a publié un article dans l'International Herald Tribune, où il décrivait non seulement l’anglais et son extension internationale comme "le dialecte mondial du troisième millénaire”, mais où il lui donnait aussi un nom. Travaillant au Japon dans les années 90, Nerrière s’est aperçu que, durant les réunions, les locuteurs étrangers d’anglais parvenaient à communiquer bien mieux avec les clients coréens ou japonais que les cadres britanniques ou américains, pour qui l’anglais est la langue natale. L’anglais standard est certes fort bien pour les sociétés anglophones, mais ailleurs, dans le vaste monde, c’était un “anglais décaféiné” non autochtone qui se transformait en phénomène planétaire. Sous le coup de l’inspiration, il le baptisa le “globish”. L’idée de Nerrière n’a pas tardé à faire des émules. Ben Macintyre, journaliste du Times, raconte comment, attendant un vol pour Delhi, il a surpris une conversation entre un Casque bleu espagnol et un soldat indien.

"L’Indien ne parlait pas espagnol, l’Espagnol ne parlait pas penjâbi. La langue qu’ils parlaient était une forme d’anglais extrêmement simplifiée, sans grammaire ni structure, mais tout à fait compréhensible, tant pour eux que pour moi. C’est seulement maintenant que je comprends qu’ils étaient en train de parler “globish”, la langue la plus récente, et aussi la plus parlée, du monde”. Nerrière a développé le concept dans deux livres en français, Découvrez le globish et Don’t Speak English, Parlez Globish, dans lesquels il propose un lexique “globish” : les 1 500 mots essentiels à la communication internationale, et les tournures non idiomatiques qui pourraient être utilisées par les deux milliards de locuteurs d’anglais qui ne sont pas nés dans un pays anglophone. "Le globish va limiter considérablement l’influence de l’anglais”, a-t-il affirmé par la suite. Autrement dit, le globish n’est pas simplement une langue véhiculaire, c’est une troisième force linguistique, qui s’impose en ce début de troisième millénaire.

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Le globish comme phénomène libérateur et modernisateur

Du temps de l’empire, l’anglais britannique jouit de la suprématie mondiale tout au long du XIXe siècle. Puis son pouvoir et son influence furent récupérés par l’Amérique au XXe siècle. Pendant la guerre froide, la culture et les valeurs anglo-américaines sont devenues tout autant un élément de la conscience planétaire que le moteur à combustion. De 1945 à 1989, aucune transaction du monde moderne ne se faisait sans l’anglais sous une forme ou sous une autre. Mais son aura était immanquablement brouillée par son association trouble avec l’impérialisme britannique et la Pax Americana.Tout cela, semble-t-il, fait désormais partie du passé. Au XXIe siècle, la langue et la culture anglaise ont été détachées de leur héritage controversé, dissociées du traumatisme postcolonial. Une nouvelle révolution culturelle est en marche : l’émergence de l’anglais en tant qu’outil de communication mondial dont l’élan supranational le coupe de ses origines anglo-américaines.

C’est par le globish que les Indiens, les Chinois et bon nombre d’Africains se tournent vers l’anglais en tant que phénomène libérateur et modernisateur. L’an dernier, le gouvernement du Rwanda francophone s’est non seulement porté candidat à l’entrée dans le Commonwealth britannique, mais il aussi fait de l’anglais sa langue officielle. Des phénomènes comme Twitter, comme la révolution verte iranienne et Slumdog Millionnaire peuvent tous être perçus comme des facettes de la société “globishophone”. Du point de vue d’Internet, son apparition en tant que vecteur de communication planétaire indépendant de ses racines anglo-américaines pourrait s’avérer décisive. Au moment où le Royaume-Uni se débarrasse peu à peu de la dimension américaine de sa politique et de sa culture, le globish est sur le point de prospérer de lui-même au niveau international. Je me hasarderai à prédire qu’il s’agit sans doute là du phénomène linguistique du XXIe siècle.

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