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Manifestation anti-mosquées du FPÖ en Belgique. Avec l'écharpe, le leader du parti, Heinz-Christian Strache.

Les têtes de turc des populistes autrichiens

Dans le prospère Land du Vorarlberg, le Parti autrichien de la liberté (FPÖ) récolte plus d’un cinquième des voix en agitant le spectre de l'invasion des immigrés turcs, qui menaceraient "la paix sociale".

Publié le 6 avril 2010 à 10:08
Manifestation anti-mosquées du FPÖ en Belgique. Avec l'écharpe, le leader du parti, Heinz-Christian Strache.

Au milieu des années 1950, on pouvait encore voir une croix gammée taillée à même la roche de la montagne qui surplombe le château de Hohenems. Les militants nazis de cette ville du Vorarlberg, à la pointe occidentale de l'Autriche, avaient voulu marquer, dès leur arrivée au pouvoir en 1938, la fin de la "domination juive" : les forces conjuguées des Alpes et du national-socialisme devaient chasser les miasmes étrangers acclimatés là depuis trois siècles.

Aujourd'hui, la plupart des 15 000 habitants ignorent que la "rue du Marché" s'appelait "rue des Chrétiens", et que l'actuelle "rue de la Suisse", bordée de belles maisons, était la "rue des Israélites". L'usine textile des frères Rosenthal, les pionniers du coton imprimé, est fermée depuis longtemps. Les grandes familles juives de Hohenems, qui rayonnaient jusqu'à Alexandrie et Constantinople, ne sont plus qu'un souvenir.

"Nous ne voulons pas devenir un petit Istanbul"

Les peurs d'une partie de la population ont désormais un autre nom. "Le problème, ce sont surtout les immigrés turcs", explique Horst Obwegeser, 47 ans, patron d'une entreprise d'électricité et chef de la section locale du Parti autrichien de la liberté, le FPÖ, la principale force de la droite populiste. "*Nous ne voulons pas devenir un petit Istanbu*l", dit-il.

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Ce discours, angoissé et menaçant - il faut "sanctionner" les parents qui négligent l'allemand, envoyer les retardés linguistiques dans des "écoles spéciales" -, trouve un écho. Aux élections municipales, dimanche 14 mars, le FPÖ a obtenu à Hohenems 22,66 % des voix (+ 9,79 % par rapport à 2005). Lors des élections législatives de 2008, il a atteint 17,5 % au niveau national et se maintient depuis autour de 20 % dans les sondages.

Ouvert sur l'espace alémanique autour du lac de Constance, le minuscule Vorarlberg est le Land autrichien le plus prospère, berceau d'entreprises de pointe. C'est dans cette région privilégiée, où l'omniprésence des montagnes fonde l'identité collective, que se déploie la rhétorique xénophobe. Comment ne pas lier le succès du référendum antiminarets organisé en Suisse par le parti de Christoph Blocher (dont l'agence de communication travaille pour le FPÖ), aux incidents qui ont troublé le Liechtenstein ? La presse de Vaduz soupçonne un noyau extrémiste d'avoir attaqué au cocktail Molotov un restaurant turc, fin février, et des immeubles habités par des immigrés. Dans un autobus, un jeune a frappé un écolier turc à la tête avec une bouteille. Fin 2008, des néonazis du Liechtenstein et de Suisse avaient suscité une bataille rangée avec des Turcs, soldée par deux blessés graves. C'est beaucoup, pour un pays de 35 800 habitants.

Le "débordement étranger"

"L'Occident aux mains des chrétiens" est un des slogans favoris du FPÖ, qui s'émeut que l'islam soit devenu la deuxième religion d'Autriche, avec 500 000 croyants. Comme la Carinthie, l'ancien fief du populiste Jörg Haider, le Vorarlberg a adopté, en 2008, une réglementation qui permet de refuser des constructions "non conformes avec les usages locaux". En clair, les minarets. Le Musée juif de Hohenems a répliqué en organisant - à la veille des élections législatives, en septembre 2008, et avant les régionales au Vorarlberg, en 2009 - deux colloques au titre provocateur : "Comment construire un minaret conforme aux usages locaux ? " Le directeur du musée, l'Allemand Hanno Loewy, s'est vu traiter par un dirigeant du FPÖ de "juif exilé venu d'Amérique". "

Je ne faisais que remplir le mandat confié au musée dès son ouverture, en 1991, se défend M. Loewy. Au risque de déranger, il s'agit de contribuer à une société multiculturelle." M. Obwegeser, lui, dénonce une "Überfremdung ", ce "débordement étranger " qui compromet la paix sociale. "Dans les jardins d'enfants, dit-il, 60 % des effectifs viennent de familles immigrées", où la natalité est supérieure à celle des familles de souche autrichienne. On compte 30 000 personnes d'origine turque au Vorarlberg. "Nous formons 16 % de la population totale du Land, mais 25 % de la population scolaire", précise Attila Dincer, le secrétaire général de la Plate-forme turque du Vorarlberg, qui regroupe une douzaine d'organisations. Il y a, ajoute-t-il, près de 600 entreprises gérées par des turcs, employant 4 000 personnes.

Il suffit d'observer l'affable M. Dincer, conversant en anglais avec l'ambassadeur des Etats-Unis en Autriche, lors d'une rencontre orchestrée par le musée juif, pour sentir le potentiel de cette communauté qui s'intégrera au Vorarlberg comme jadis les travailleurs italiens. Non sans conflits. En 2005, il y avait sept candidats d'origine étrangère sur les listes municipales du "petit Land ". Le 14 mars, ils étaient 76, et les nouveaux citoyens autrichiens ont pesé de façon visible grâce aux "voix préférentielles" qui permettent de favoriser un candidat mal placé. "A ce train-là, nous aurons bientôt ici un maire turc ! ", s'alarme M. Obwegeser. Le Vorarlberg aura en tout cas un cimetière musulman : à deux pas du vieux cimetière juif de Hohenems.

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