Cette économie qui n’aime plus les jeunes

Pour la première fois dans l'histoire des sociétés d'après-guerre, les jeunes diplômés doivent s'attendre à vivre moins bien que leurs parents. Essoufflé, le modèle économique occidental ne parvient pas à exploiter la maîtrise technologique de cette génération perdue.

Publié le 4 juillet 2012 à 15:30

*“Diplômé sans avenir”***, l'expression m'est venue alors que je donnais un cours à l'université de Birmingham. Je dressais alors un tableau des perspectives d'avenir de mes étudiants. Mon schéma allait vers le haut: là votre revenu à 21 ans, ensuite les augmentations de salaire, ici votre patrimoine immobilier qui augmente dès que vous devenez propriétaire, enfin votre fonds de retraite qui grossit et qui vous permet de vivre confortablement jusqu'à la fin de vos jours. Sans oublier les aides de l'Etat providence en cas de problème.**

Ca, c'était l'ancien schéma. J'ai ensuite dessiné le nouveau, qui pointe vers le bas: des salaires qui n'augmentent pas, l'impossibilité d'accéder à la propriété, l'austérité budgétaire qui engloutit votre revenu disponible, la fermeture du plan de retraite de votre entreprise, la retraite à l'approche de vos 70 ans. Et en cas de problème, le filet de sécurité de l'Etat providence est aussi sûr que la loterie.

Tests psychométriques

A ce stade, certains membres de l'assistance commençaient à avoir la nuque douloureuse à force de secouer la tête en signe de désapprobation. Cette jeune génération de diplômés est unique: ils sont les premiers - depuis 1945 – à devoir s'attendre à vivre moins bien que leurs parents. Ils sont victimes d'un chômage massif: 19% au Royaume-Uni, 17% en Irlande, 50% en Grèce et en Espagne. Tout cela en assistant en même temps à une révolution des technologies et de la communication qui était censée leur donner le pouvoir.

Alors que le printemps arabe s'est propagé et que les troubles se poursuivent d'Athènes jusqu'au Québec, la sociologie des manifestants est un élément central de ces révoltes. Le diplômé d'aujourd'hui, qui n'a pas bénéficié de la même éducation libérale que ses parents, est appelé presque depuis la puberté à subir toute une batterie de tests psychométriques, à viser l'excellence et à faire des choix déterminants pour son avenir.

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Quand j'étais à l'université (Sheffield, 1978-1981), j'avais le temps de jouer dans un groupe, de rejoindre les grévistes d'une usine sidérurgique, de participer à diverses occupations de bâtiments, d'écrire des nouvelles de fiction outrageusement mauvaises, de changer de cours et de demander la création d'un double diplôme spécialement adapté à mes ambitions personnelles. “Tu peux le faire tant que tu ne le dis pas aux autres”, m'avait dit un professeur. Il n'y avait pas de frais d'inscription. Nous touchions des bourses d'études qui nous permettaient amplement de vivre tant que nous ne passions pas de l'alcool aux drogues dures et pendant les vacances, j'avais un job d'été dans une usine qui payait presque autant que le vrai travail de mon père.

Un mode de vie destructeur

Si nous voulons redonner un avenir aux jeunes, il faut impérativement rompre avec un modèle économique qui ne marche plus et n'offre plus d'emploi adapté à une main d'œuvre hautement qualifiée. Un diplôme – chose indispensable dans la société actuelle – coûte aujourd'hui si cher qu'il faut des dizaines d'années de travail faiblement rémunéré pour le rembourser.

Au cours de ma tournée des universités, squats et autres occupations, je me suis souvent retrouvé à dire: “l'expression “diplômé sans avenir” ne signifie pas que vous êtes condamné à ne pas avoir d'avenir”. L'état d'esprit des jeunes flirte en effet dangereusement avec le nihilisme, même parmi les militants. Il y a des nuits où mon fil Twitter déborde de billets de manifestants racontant joyeusement leur mode de vie autodestructeur, ponctué de gaz lacrymogènes et de citations devant le tribunal.

Alors que le chômage des jeunes atteint les 50% dans les pays périphériques de l'Europe et que la crise se prolonge d'année en année, les jeunes semblent frappés par un certain ramollissement.

L'idéal anarchique, l'absence de structure qui a défini les batailles des années 2009 à 2011, commence aussi à s'effriter. Comme les mouvements de protestation sont organisés de façon à éviter l'émergence de dirigeants, la génération actuelle est contrainte de se rassembler autour d'écrivains et de prophètes qui sont déjà connus et le style extravagant de Slavoj Žižek, Noam Chomsky, David Harvey et Samir Amin – un homme à barbe blanche qui harangue des jeunes dans la vingtaine – devient pénible à supporter.

Sens des affaires

Il y a des points positifs. A chaque fois que je rencontre des jeunes militants désireux de m'expliquer en quoi consistera la manifestation suivante, il s'avère que l'histoire ne s'arrête pas là : ils me parlent aussi du lancement d'un magazine en ligne – et non, ce n'est pas un collectif, mais une entreprise –, de l'ouverture d'un café ou de la création d'une compagnie théâtrale. Ou encore, comme dans la ferme que j'ai visitée en Andalousie, ils saisissent des terres et plantent des légumes. Tous ces examens, ces exercices, ces conférences avec contrôle à la clé et l'obsession des formations professionnelles a donné naissance à une génération qui a un grand sens des affaires.

Après avoir créé, à partir de rien, des façons inédites de manifester, la génération actuelle se met à inventer de nouveaux types d'entreprises et de transactions, de nouvelles expressions littéraires et artistiques, qui trouvent leur place dans les failles qu'ont entraîné la contraction du PIB et l'effondrement du crédit.

C'est la première génération qui se sert des connaissances comme de logiciels : pour ces jeunes, on peut télécharger, utiliser et mettre à jour les savoirs, avant de les abandonner. Dès le départ, ils ont un niveau de connaissance que les générations précédentes ne pouvaient atteindre qu'à la suite d'un long processus d'apprentissage et d'acquisition de compétences. Aujourd'hui, ils n'ont plus qu'à attendre que le modèle économique arrive au niveau du potentiel humain que les nouvelles technologies ont créé.

Avec le temps – les étudiants qui venaient d'entrer à l'université lors de la faillite de Lehman Brothers vont bientôt finir leur master, ou sont au chômage depuis deux ans – les jeunes diplômés sans avenir ont eu une révélation : ce sont eux qui devront construire l'avenir. Et si on y regarde de plus près et que l'on ne s'arrête pas aux barbes négligées et au mascara qui coule, on s'aperçoit qu'ils s'en sortent plutôt bien.

Opinion

La crise efface une génération

Les jeunes générations “sont celles qui paient le prix le plus élevé pour la crise économique”, constate le directeur de La Stampa, Mario Calabresi, après la publication des chiffres d’Eurostat sur le chômage des jeunes en Europe (22,7% en mai), et en particulier en Italie (36,2%)

On préfère les occasions garanties au neuf. Les jeunes ont toujours été inexpérimentés, en tous lieux et de tous temps, mais auparavant, on appréciait le fait qu’ils aient l’énergie et la passion, qu’ils soient porteurs d’idées nouvelles et de changement. Nous avons l’air de l’avoir oublié. Mais pourquoi cette génération de pères, de mères et de grands-parents qui chaque jour les protège, les héberge, leur paie l’apéro, les vacances et l’essence ne se bat pas pour eux ? Parce qu’à force de les protéger et de les chouchouter, nous ne les avons pas mis à l’épreuve . Nous avons peur pour eux et nous finissons par penser qu’ils sont immatures.

Paraphrasant l’entraîneur de l’équipe nationale italienne de football Cesare Prandelli après la défaite des “Azzurri” lors de la finale de l’Euro 2012, Calabresi estime que l’Italie n’est “pas uniquement un vieux pays avec de vieilles idées”, mais un pays “tellement attaché au monde d’hier qu’il passe la plupart du temps à regretter plutôt qu’à regarder vers l’avenir et le changement”. Pourtant, rappelle-t-il, la seule façon de sortir de la crise, c’est de “repartir des jeunes, en construisant l’avenir avec eux”, car “le monde n’est pas en train de changer : il a déjà changé”.

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