Actualité Eruption de l'Eyjafjöll
Un monde souhaitable ?

Une Europe sans avions

La perturbation du trafic aérien provoquée par le nuage de cendres du volcan Eyjafjöll n'a pas seulement souligné la grande taille du continent européen, elle a également montré ses faiblesses sociales et économiques, écrit Hamish McRae.

Publié le 20 avril 2010 à 16:24
Shane Halloran  | Un monde souhaitable ?

Comme notre société moderne est fragile. Un simple événement naturel – certes tout à fait exceptionnel – n’a pas seulement suffi à perturber toute activité en Europe en faisant fermer la plupart des aéroports, il a concrètement coupé l’Europe du reste du monde.

La principale leçon à tirer de ces derniers jours apparaît clairement : le transport sur longue distance passe par la voie aérienne. Certes, les routes maritimes fonctionnent toujours et les bateaux cargos continuent de livrer nos exportations et de nous apporter des biens et des matières premières. Il est également possible, bien que laborieux, de voyager par la terre ou en empruntant des ferries, même si ces derniers commencent à être surchargés. Seulement voilà, ainsi que j’ai pu le constater, l’Europe est un vaste continent.

Un monde qui serait moins égalitaire

Finis les week-ends de fête en Estonie, les vacances en famille à Majorque et les réunions commerciales paneuropéennes en Allemagne sans transport aérien rapide et bon marché. Ce que la plupart d’entre nous considèrent comme des activités parfaitement banales deviennent impossibles. Sans parler des vacances. Impossible également d’organiser des sommets politiques ou des conférences commerciales internationales. Imaginez ce qui se serait passé si le nuage de cendres avait recouvert l’Europe en novembre dernier au moment du sommet de Copenhague. Même les plus grands dirigeants du monde seraient restés bloqués.

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Le monde serait différent sans avion. En Europe, les régions à la périphérie souffriraient de leur éloignement par rapport au centre. L’Estonie ne serait pas la seule concernée, l’Ecosse aussi en pâtirait. De manière plus générale, l’Europe serait moins proche des Etats-Unis. La Chine aurait plus de mal à vendre ses produits aux Etats-Unis et se concentrerait davantage sur le continent asiatique. La dynamique économique de la mondialisation est peut-être trop profondément ancrée pour disparaître mais elle survivrait dans un monde plus régionalisé.

Ce serait également un monde moins égalitaire où les voyages redeviendraient l’apanage des riches et des oisifs, comme au siècle précédent. Nous avons tendance à oublier la nature profondément égalitaire des vols bon marché : c’est ainsi que les masses ont accès à quelque chose de précieux, la possibilité de découvrir d’autres pays et d’autres cultures.

Cet aspect me paraît plus important que les conséquences économiques immédiates dont tout le monde parle actuellement (ce qui est compréhensible).

Des répercussions en Afrique et en Extrême-Orient

Notre système de production mondial en flux tendu est particulièrement sensible à la moindre perturbation et les répercussions commencent à se faire sentir en Afrique et en Extrême-Orient. Les Européens ne sont pas les seuls à souffrir de la fermeture des aéroports. Certains trouvent peut-être assez déplacé de notre part d’importer des fleurs ou des légumes en toute saison depuis le Kenya mais ce commerce fait également vivre un grand nombre d’habitants sur place.

Il est néanmoins important de souligner que tout n’est pas noir. En effet, si le désordre actuel pousse les milieux économiques à imaginer des systèmes de production et de distribution plus solides, nous verrons apparaître des dispositifs à la fois plus efficaces mais également plus adaptés à nos besoins réels. Pour prendre un exemple simple, les systèmes de réservation informatique européens sont beaucoup plus compliqués dans le transport terrestre que pour les billets d’avion. Il devrait être aussi simple d’acheter un billet de train ou de car pour aller de Stockholm à Bruxelles que de trouver un vol. C’est pourtant loin d’être le cas.

On apprécie mieux la valeur des choses une fois que l'on ne peut plus en profiter

Si nous retenons au moins de cette expérience que l’Europe est un vaste continent et qu’elle a besoin d’infrastructures de transport mieux coordonnées, ce sera déjà quelque chose. Ce n’est toutefois pas suffisant. Le défi immédiat consiste à utiliser plus efficacement les infrastructures déjà existantes. Pourrait-on alléger la procédure administrative aux frontières européennes ? Si oui, il faudrait identifier les points d’engorgement sur les réseaux routiers et ferroviaires et investir un minimum pour accélérer le processus. Le trafic aérien reprendra, bientôt peut-être, mais il serait dommage de laisser passer cette occasion d’améliorer l’organisation des autres modes de transport.

On dit souvent que l’on apprécie mieux la valeur des choses une fois que l’on ne peut plus en profiter. Les évènements de ces derniers jours nous montrent combien cela est vrai. Certains n’ont pas pu rentrer chez eux, du moins pendant quelques jours. Et personne en Europe ne peut plus prendre l’avion pour le moment. Lorsque le trafic reprendra, essayons donc de profiter de cette merveilleuse liberté plus intelligemment et plus raisonnablement.

Union européenne

Sans avions, les institutions tournent à vide

"Les chaises vides, l’Europe connaît. Mais ces jours-ci, elles se multiplient suite à la fermeture des espaces aériens, qui entraîne le report ou l’annulation de plusieurs réunions…", écrit Le Soirqui dresse la liste des réunions européennes écourtées, annulées et reportées. Le conseil des ministres de l’Agriculture initialement prévu lundi 19 à Luxembourg a ainsi été reporté sine die. Si la réunion des ministres des Finances s’est bien tenue le week-end dernier à Madrid, le nombre de ses participants a chuté dès samedi, "chaque ministre cherchant à repartir au plus tôt", raconte le quotidien bruxellois. "En outre, la présidence espagnole de l’UE a payé le retour à Bruxelles - 20h de bus - des journalistes couvrant l’événement."

La tenue, coûte que coûte, de la session plénière du Parlement européen, lundi 19 avril, a, quant à elle, suscité la colère des députés contre le président du Parlement, Jerzy Buzek, écrit Jean Quatremer [sur son blog, Coulisses de Bruxelles](http:// http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2010/04/jerzy-buzek-ridiculise-le-parlement-européen.html). Parti aux obsèques de Lech Kaczyński, Buzek "a été incapable de décider l’annulation de la session plénière" qui s’annonçait pourtant "périlleuse". Une grosse centaine de députés sur 736 était au rendez-vous, poursuit Quatremer, les autres étant coincés chez eux en raison de la fermeture de l’espace aérien. "Devant ce pataquès incroyable", la session a été écourtée. Elle se terminera mercredi et non jeudi et tous les votes ont été reportés à la session prochaine, faute de quorum. Mardi matin, un débat sur les conséquences du nuage de cendres était organisé. "Pour avoir la réponse, il suffira de regarder les travées de l’hémicycle", ironise Quatremer avant de conclure "juste pour rire : le Parlement pourrait-il communiquer au bon peuple le coût de cette session pour rien ?"

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