Le terminal 2E de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle (Paris).

Le monde suspendu des aéroports

Le nuage du volcan Eyjafjöll a touché des millions de voyageurs occasionnels, mais aussi la communauté des “frequent flyers”. La chroniqueuse espagnole Joana Bonet décrit cette société parallèle et irréelle.

Publié le 21 avril 2010 à 09:53
Slightlynorth  | Le terminal 2E de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle (Paris).

En tant que satellites des grandes villes, les aéroports, au fil du temps, ont colonisé de nouveaux territoires et en sont venus à symboliser la vie nomade et pressée. Nos sociétés en mouvement permanent, fichées, contrôlées, passées au scanner, ont vu les distances diminuer. Mais la volonté de faire entrer le monde entier dans un écran lumineux ne fait que multiplier les frustrations. L’image des aéroports fermés, vides et silencieux, produit une angoisse plus grande, si c’est possible, que lorsqu’ils sont bondés de frequent flyers [clients réguliers des compagnies aériennes], comme ces personnages qu’interprètent George Clooney et Vera Farmiga dans In the Air.

Des ciels fermés, des millions d'histoires humaines annulées

Ces voyageurs-là possèdent une bonne collection de cartes leur octroyant toute une série de privilèges. Installés dans leur routine, ils connaissent les aéroports dans leurs moindres recoins et sont passés maîtres dans l’art de survivre aux queues, à l’attente des valises, à l’impatience. Ces non-lieux impersonnels et plastifiés, tels que les a définis l’ethnologuefrançais Marc Augé, s’érigent en métacités d’où l’on s’élance vers les autoroutes du ciel. Malgré leur empreinte impersonnelle, les sols immaculés de l’aéroport de Singapour ou les ours empaillés d’Anchorage, en Alaska, rappellent avec insistance leur propre idiosyncrasie. Temporairement, les questions vitales passent au second plan, car tous nos actes sont tendus vers un seul but : arriver.

Mais, parfois, un volcan tousse et le ciel se tache de cendres. L’espace aérien contient des particules de roche, de cristaux et de sable. Il existe peu de choses qui soient à la fois aussi sophistiquées et aussi nuisibles que les matières pyroclastiques (fragments de roches expulsées dans l’air) produites par l’insolent volcan islandais. Les ciels d’Europe sont fermés, des millions d’histoires humaines sont annulées. L’arrogance du pouvoir en fait les frais, elle aussi : il a fallu envoyer Angela Merkel dormir au Portugal ; une grande partie des dirigeants mondiaux n’ont pas pu assister aux funérailles de Lech Kaczyński (comme s’il avait été victime une deuxième fois de la fatalité aérienne) ; enfin, la reine Marguerite de Danemark, pour ses 70 ans, a vu une bonne partie de ses petits fours royaux lui rester sur les bras.

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200 millions de vols par an en 2020

On estime qu’il y aura en 2020 plus de 200 millions de vols par an. Un ciel surpeuplé sera rayé d’une infinité de beaux sillages blancs – ces traînées de condensation que l’on montre aux enfants quand un avion passe, comme si c’était un ange. Des traînées synonymes de pollution, qu’il faudrait limiter de toute urgence. De même qu’il faudrait humaniser les rituels de vol dans cette société qui vit entre ciel et terre, et qui, malgré son efficacité hygiénique et ses tours de contrôle braquées sur l’univers, est aujourd’hui paralysée par une masse spongieuse aux formes organiques. Un nuage de cendres comme métaphore de notre époque gazeuse.

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