Comment sortir du gouvernement technocratique

Pour calmer les marchés, l’Italie a nommé un gouvernement de techniciens non-élus. Mais dans la perspective des élections de 2013, les partis politiques doivent retrouver la confiance des citoyens en proposant des projets d’utilité publique, estime un éditorialiste.

Publié le 17 juillet 2012 à 15:12

Nous vivons une phase de tension chronique entre la démocratie et l’Europe, entre les aspirations des électeurs et l’exigence de sauver le projet européen. Une tension que l’on parvient parfois à contrôler mais qui peut aussi dégénèrer en conflit ouvert. La fracture qui déchire la zone euro, entre pays du Nord et pays de la Méditerranée, en est l’expression. Pour surveiller les marchés, rassurer les opinions publiques des pays du Nord et sauver sa place au sein du club de l’euro, l’Italie s’est inventée un palliatif, une solution de secours : le gouvernement dit "technique". Mais le sablier est sans pitié et nul n’est en mesure d’arrêter le compte à rebours. Aussi paradoxal (et "politiquement correct") que cela puisse paraître, tout le monde ou presque, en Italie et ailleurs, redoute le moment où la "démocratie" retrouvera ses prérogatives, le moment où, dans moins d’un an, les électeurs feront entendre leur voix.

Incapables de persévérance

Pourquoi craindre autant la démocratie ? Parce que, à tort ou à raison, une idée s’est propagée : les formations politiques qui se présentent au suffrage des Italiens sont toutes défaillantes, constitutivement incapables de persévérer dans les politiques d’assainissement rendues nécessaires par la crise. Les partis qui soutiennent aujourd’hui le gouvernement Monti promettent qu’ils ne déferont pas les réformes que celui-ci a engagées. Mais pourquoi devrait-on les croire ? Qui dit que la droite, une fois revenue au pouvoir, n’abrogera pas aussitôt la spending review [loi sur la rationalisation des dépenses publiques] pour renouer avec la gestion des fonds publics qui l’a toujours caractérisée ?

Et pourquoi devrait-on croire la gauche quand elle affirme qu’elle ne quittera pas la voie tracée par le gouvernement Monti, alors que l’on sait très bien que cette voie n’a pas les suffrages des syndicats et qu’il est impensable que la gauche entreprenne quoi que ce soit sans leur aval ?

Le fait que l’on évoque l’éventualité d’une "grande coalition" (c’est-à-dire un gouvernement Monti bis) après les élections montre bien que ces mêmes forces politiques sont parfaitement conscientes de leurs défaillances. Comment sortir de là ? Il y aurait bien une issue. Semée d’embûches et étrangère à nos traditions. Pour la première fois depuis qu’existe la démocratie italienne, les forces politiques qui comptent pourraient appliquer les prescriptions du "Manuel du bon démocrate". Celles-ci énoncent que les campagnes électorales ne se mènent pas à coups de promesses vagues mais de projets spécifiques. Un projet est dit spécifique lorsqu’il annonce clairement qui il servira et qui il desservira. Un projet est dit spécifique s’il est salué par certains et suscite un tollé chez les autres.

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Parmi les exemples possibles de projets spécifiques, une formation politique pourrait annoncer à ses électeurs : si nous remportons les élections, dans les trente jours qui suivront la prise de fonctions du gouvernement, nous sabrerons de tant dans les dépenses publiques de tel et tel secteur et nous allégerons la pression fiscale du même montant. Ou encore : si nous remportons les élections, nous diviserons par deux les transferts Nord-Sud en accompagnant cette mesure d’une suppression des prélèvements fiscaux pour les entreprises du Sud pendant des années.

Les partis devraient proposer des projets sur tous les principaux sujets d’intérêt général. En matière de santé, par exemple, quelles retombées a eu l’introduction du "coût standard" des prestations [qui coordonne le coût et les résultats] ? Ou, dans le cas de l’éducation, qui oserait proposer une feuille de route détaillée (à l’opposé du blabla habituel) pour injecter un peu de méritocratie ? Indexer le montant des bourses sur la qualité de l’enseignement est techniquement possible, s’il existe une volonté politique.

Changements drastiques

Si les campagnes électorales était ainsi menées, ce serait, dans un sens, une victoire posthume d’Ugo La Malfa (faire primer le contenu sur l’idéologie était au cœur du credo politique du républicain). Une "lamalfisation" des formations politiques serait une rupture radicale avec la tradition. En Italie, on mène depuis toujours les campagnes électorales en associant prises de position idéologiques contre l’"ennemi" et promesses floues. L’idéologie (la série des "ismes" : l’anticommunisme, l’antiberlusconisme, etc.) sert à souder les rangs et les promesses vagues permettent de ratisser large. Passer de la méthode "idéologie + promesses vagues" à la méthode "projets spécifiques" serait une révolution : cela se traduirait notamment par des changements drastiques en matière de style politique et de communication.

Par instinct, par calcul, par tradition et aussi par savoir-faire personnel, les politiques se préparent à lancer leur sempiternelle campagne à l’italienne. Or, cette fois, ils pourraient bien s’être trompés dans leurs calculs. Attesté par les sondages, le discrédit dont souffre la classe politique a dépassé le seuil d’alerte. Un changement radical de style de communication pourrait bien être l’unique moyen d’en sortir, en plus d’avoir un effet rassurant pour le reste du monde qui a les yeux braqués sur nous.

Ce qu’ils perdraient en proposant des projets susceptibles de déplaire à leurs électeurs potentiels – et donc de leur coûter des voix – les politiques le gagneraient en se forgeant une image de sérieux et de rigueur. Or, c’est précisément le manque de sérieux et de rigueur que tous reprochent aujourd’hui à la classe politique. Sans compter qu’une campagne électorale fondée sur des projets spécifiques opposés permettrait aux électeurs de déterminer quelles sont les forces les plus crédibles pour poursuivre la politique d’assainissement.

La crise mondiale, comme on nous le serine à longueur de journée, nous oblige, si nous voulons survivre, à changer bon nombre de nos habitudes. Il est temps que la politique change aussi les siennes.

Politique

Berlusconi 2, le spectre qui hante l'Europe

Silvio Berlusconi est de retour sur scène. L'ancien Premier ministre italien qui a démissionné en novembre dernier alors que la crise de la dette devenait incontrôlable, a annoncé qu'il serait le candidat du centre-droit aux élections générales de 2013. Dans une interview accordée au tabloïd allemand Bild, le milliardaire de 75 ans a déclaré que Forza Italia, le parti qu'il a fondé en 1994, pourrait remplacer la coalition PLD (Peuple de la Liberté) lancée en 2007.

"Il est impossible de prédire s'il sera un Berlusconi différent de celui du passé, parce que les paramètres changent si vite", écrit le quotidien de centre-gauche L'Unità. Ce qui est certain c'est que le règne de 18 ans du centre-droit "a laissé des traces" sur la scène politique italienne. L'annonce de la candidature de Berlusconi

soulève de sérieuses questions devant les défis qu'ont à relever les partis italiens aujourd'hui, au premier rang desquels, la question de la réforme électorale.

Le retour de Berlusconi interpelle les gouvernements européens qui s'inquiètent de le voir gâcher tous les efforts entrepris par Mario Monti. La Repubblica souligne ainsi que

l'Europe salue le retour de Berlusconi sur la scène politique italienne comme s'il était un fantôme dont ils pensaient s'être exorcisés une fois pour toutes. Un fantôme qui les atteint de près parce que l'Italie, depuis l'éclatement de la crise, est le champ de bataille sur lequel se joue le sort de l'euro et de l'UE. Et la disparition de Berlusconi provoquée par son isolement en Europe, avait marqué un pas considéré comme crucial pour sauver le pays et avec lui, la monnaie unique.

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