Le coq wallon et le lion flamand danseront-ils encore ensemble longtemps ?

“Ce pays a-t-il encore un sens ?”

Au lendemain de la démission du Premier ministre Yves Leterme, les tensions entre Flamands et francophones, cristallisées autour de la scission de l’arrondissement bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde, sont plus fortes que jamais. Et l’existence même de la Belgique est plus que jamais en question, note la rédactrice en chef du Soir.

Publié le 23 avril 2010 à 10:05
Le coq wallon et le lion flamand danseront-ils encore ensemble longtemps ?

La Belgique ce matin est toujours debout. Ou du moins ses restes. Son corps tuméfié. Elle respire mais par saccades, profitant du petit intervalle d'air qu'on lui a laissé jusqu'à jeudi prochain. Elle se relève et repart à l'attaque mais le cœur n'y est pas. Est-ce d'ailleurs raisonnable d'y croire encore ? Incroyable ironie de l'histoire quand on y pense, que ce soit le duo Albert II-Leterme, couple improbable formé par un Roi en fin de règne et un Premier ministre qui avait allumé les braises communautaires, qui vienne à la rescousse du pays, déclarant que la crise politique n'est pas opportune car elle menace le bien-être des citoyens. Un message lancé comme une dernière bouée et auquel on se demande aujourd'hui combien, au Nord du pays, y adhèrent.

Il y a trois ans, on assistait médusés au vote historique, Flamands contre francophones, exigeant la scission de BHV. Une certaine idée de la Belgique était morte ce jour-là.

Hier, les citoyens stupéfiés ont constaté que leur pays, plongé dans un chaos indescriptible et incompréhensible, apparaissait non gouverné et quasi ingouvernable. D'où la question, au terme de tous ces mois de négociations sans fin, d'invectives linguistiques, de querelles communautaires : la Belgique, comme ça, est-ce vraiment jouable ?

Ce qui s'est passé hier est grave. Les partis flamands ont, par un coup de force inédit, instrumentalisé les assemblées parlementaires, en tentant d'imposer par leur majorité, un vote sur BHV dont la minorité ne voulait pas, le tout sur base d'argumentations juridiques hautement contestables. Qui allait les arrêter ? Pouvait-on les arrêter ? Pendant quelques instants, il n'y a eu pour répondre à ces questions qu'un immense vide. Un vide du pouvoir. Il est des pays où ces moments de flottement, sont mis à profit par des forces armées pour faire des coups d'Etat. Nous ne sommes heureusement pas de ceux-là. Mais nous avons aussi nos démons. Ils ont pris le visage d'un groupe d'extrémistes de droite chantant le Vlaamse Leeuw au beau milieu de la Chambre, debout, triomphants, sans personne pour leur barrer l'entrée de ce lieu symbolique de la démocratie fédérale, sans personne pour stopper leur profanation. Le moment fait froid dans le dos. La tache qu'ils infligent à l'image du pays est ignominieuse. Il s'agit bien entendu là du geste d'une bande de fanatiques mais personne ne pouvait s'empêcher hier d'y voir comme un symbole de ce pays qui, par crises successives, pourrait finir par en arriver là où le Vlaams Belang et la N-VA veulent l'amener.

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La question s'impose.

Y a-t-il encore du sens à maintenir ce pays dont personne ne sait si les prochaines élections y seront légales ? Et où la loi de la majorité s'impose, sans plus de frein ?

Y a-t-il encore du sens à maintenir un pays où il n'existe plus d'hommes et de femmes, ou de systèmes, capables de construire des compromis, même réduits, indispensables à la poursuite de la Belgique ?

Y a-t-il encore du sens, comme le disait Jean-Luc Dehaene, à vouloir faire cohabiter, s'entendre, travailler ensemble des gens aux convictions farouchement opposées ?

Y a-t-il encore du sens à se battre pendant des mois sur des arrondissements, des codes de logement, des nominations de bourgmestres sans plus jamais trouver d'issues?

Y a-t-il encore du sens à conclure des compromis qui sont remis en cause dans les mois qui suivent, à tenir un Etat fédéral debout, par bouts de ficelle et bois de rallonge (conflits d'intérêts, sonnettes d'alarme, démineurs, explorateurs…)

Il y aura ce matin des Flamands pour dire que tout ça, c'est la faute aux Francophones qui ne veulent jamais rien céder et mènent les Flamands en bateau. Il y aura des Francophones pour dire que tout ça, c'est la faute aux Flamands, qui veulent bouter les Francophones hors de Flandre. Mais s'il n'y a plus de Flamands et de Francophones pour se taire et conclure un accord qui permette au pays de passer ce cap et de tracer les pistes de ce devenir commun, alors vraiment, il faudra se poser la question sans se mentir – la Belgique a-t-elle encore un sens ? – et accepter les conséquences des actes posés. Il faudra passer à autre chose et l'assumer. Au risque de donner raison aux nationalistes flamands ? Oui, car ils auront gagné la partie.

Ce pays a-t-il encore un sens ? Nous le pensons toujours. Mais cette opinion ne vaut que si nous sommes suffisamment nombreux à croire à l'idée, à y travailler, à la faire exister. Si la grave crise née hier persiste, ce sera le signe que ces volontés-là n'existent plus. C'était hier hélas, le sentiment qui dominait.

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Côté flamand

Cette crise alimente l'antipolitique

"Remettre sa démission au roi devient-il une habitude" pour Yves Leterme ? s'interrogeDe Morgen, après que le Premier ministre a remis son mandat à Albert II, le 22 avril. Le quotidien bruxellois remarque que c’est la cinquième fois en trois ans que le gouvernement belge démissionne et déplore "la méfiance profonde entre les différents partis, qui rend quasiment impossible toute décision" et "presque banale la démission du gouvernement". L'obsession des responsables politiques envers la question de BHV a eu pour conséquence de "renforcer l’anti-politique", dénonce De Morgen, selon lequel "la politique traverse une crise totale de légitimité et risque de ne plus être pertinente". Il serait "trop facile et trop populiste de considérer la crise de BHV comme un conflit d’hommes politiques coupés du monde", lui rétorque son confrèreDe Standaard, selon lequel, "bien au contraire, le dossier touche au cœur de notre système institutionnel et socio-économique. Pour créer bien-être et prospérité dans ce pays, l’organisation de notre Etat doit être telle que nous puissions cohabiter en toute confiance et compréhension mutuelle. Mais il devient de plus en plus évident que cette confiance et cette compréhension se sont évaporées". Ainsi, note le quotidien, les partis francophones risquent de se retrouver seuls, car "seul le CD&V [le parti chrétien-démocrate flamand d’Yves Leterme] semble prêt à gouverner avec eux", après le départ du gouvernement des libéraux flamands de l’Open VLD.

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