Détail du David de Michel-Ange

Circoncision : le point sensible

Depuis qu’un tribunal allemand a jugé que la circoncision des mineurs est un délit, l’Allemagne débat de la liberté de religion. Comme lors des affaires du voile ou des crucifix dans les classes, cette agitation montre que la société a toujours peur de la chose religieuse.

Publié le 20 juillet 2012 à 10:48
Gary's Travels  | Détail du David de Michel-Ange

Ce n’est pas de prépuces ou de quelque précepte exotique de l’islam ou du judaïsme dont il est question – ce dont il est question ici, c’est de quelque chose de bien plus vaste et qui concerne l’ensemble de la société : la religion prise dans sa globalité. Concernant la circoncision, l’Allemagne va se doter d’une protection juridique, vraisemblablement par le biais d’une nouvelle loi. Ce qui est une bonne chose. Mais, en réalité, les racines du débat sont plus profondes – elles résident dans une forte gêne, confinant presque à la panique, face à une religiosité intense, visible, assumée. Et cela, ce n’est pas une bonne chose.

Si le débat sur la circoncision est une si bonne illustration du problème, c’est parce qu’il ne se limite pas à une question de croyance religieuse. S’il ne s’agissait que de musulmans, la discussion aurait sans surprise été politisée sur-le-champ. Les adversaires de l’islam auraient exigé l’interdiction des coutumes étrangères des immigrés et les tenants du multiculturalisme seraient montés au créneau au nom des droits d’une minorité discriminée. Le fait que la question de la circoncision concerne en l’occurrence aussi bien les juifs que les musulmans a perturbé la logique confortable des deux camps. On s’aperçoit ainsi que le problème ne se résume pas à une croyance spécifique, importune, qui serait contraire à la société moderne. Le potentiel de friction réside dans le fait de croire et l’expérience de la foi en général.

Méfiance et soupçon

Le piège serait de ne pas aborder la situation avec sérénité, mais de manière mesquine et angoissée. Religion majoritaire et traditionnelle outre-Rhin, le christianisme n’est pas plus à l’abri de l’intransigeance que l’islam arrivé en Allemagne avec les immigrés. Le débat politico-religieux est apparu en Allemagne en 1995 avec le jugement de la cour constitutionnelle dans l’"affaire des crucifix", qui a interdit l’installation de croix jusque-là courante sur les murs des salles de classe dans les écoles bavaroises. Puis ce fut le débat sur le voile, visant à savoir si les enseignantes musulmanes qui couvraient leurs cheveux devaient être titularisées [c.à.d reconnues comme fonctionnaires] et autorisées à enseigner. Et aujourd’hui, le débat sur la circoncision, déclenché par un jugement qui considère cette coutume tirée de la Bible comme une atteinte corporelle intolérable.

Dans les trois cas, on constate que la méfiance et le soupçon sont à l’œuvre. Au lieu de voir dans la croix un emblème d’une tradition riche qui donne matière à réflexion, les juges constitutionnels y ont vu un instrument d’évangélisation et de propagande qui exerce une influence spirituelle sur les écoliers d’autres confessions. Le voile n’est pas pour ses détracteurs l’expression d’une décision personnelle mais le symbole quasi-politique d’une idéologie liberticide. Quant à la circoncision, que l’on pourrait aussi bien considérer comme une opération rituelle inoffensive et parfaitement respectable, elle passe depuis son interdiction pour un acte de torture infligé à un être sans défense.

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L’interprétation du croyant est systématiquement laissée de côté et remplacée par une vision extérieure rébarbative qui se veut objective. Ce que la croix, le voile ou la circoncision sont "véritablement", mises à part des chimères de dévots, c’est une conscience collective qui se désintéresse de la religion – quand elle n’est pas analphabète en la matière – qui le décrète.

Tout le monde a des convictions profondes

Naturellement, la vision des croyants ne doit pas non plus être mise en œuvre de manière absolue. Tout ce qui est estampillé "religion" n’est pas admis. Nous n’accepterions pas l’immolation des veuves, quand bien même un théologien hindou nous expliquerait qu’il s’agit d’une coutume cautionnée par les dieux. L’excision des jeunes filles est une mutilation brutale ; même si elle était religieusement justifiable au nom d’une croyance quelconque (ce qui n’est pas le cas), un Etat de droit ne saurait la tolérer. Toute atteinte à la dignité humaine doit être proscrite.

Mais il faut aussi compter avec la dignité humaine des croyants. Ce qu’une société peu portée sur la religion oublie facilement – il lui manque souvent simplement le sens religieux – c’est la souffrance que peuvent infliger les atteintes à la liberté de religion. Le prêtre catholique qui, en voulant préserver le secret de la confession, retarde l’arrestation d’un criminel et s’attire ainsi les foudres de la police, ou l’écolier musulman qui se bat contre la direction de son établissement pour avoir le droit à la prière, sont autant de cas de conscience aux yeux des intéressés, des choses précieuses et peut-être irremplaçables qui touchent à l’intime. Une société civilisée se doit de faire preuve de largeur d’esprit et d’en tenir compte du mieux qu’elle peut.

Voilà ce à quoi les croyants d’Allemagne ont droit, ni plus ni moins, quelle que soit leur confession. Nul n’est tenu de croire ou d’avoir un regard positif sur la religion ; quand on songe aux ravages causés par le fanatisme au fil des siècles et encore aujourd’hui, l’étendue du scepticisme à l’endroit de la religion se comprend aisément. Mais il est dans l’intérêt de tous de respecter ce que certains trouvent sacré. Car tout le monde a des convictions profondes, une conscience tributaire de la protection et du respect des autres. C’est à espérer en tout cas.

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