160 milliards d'euros en jeu

Poker menteur sur l’euro

Une partie mortelle se joue entre les Etats et les marchés. Il y a un enjeu, et il est de taille : c'est la survie de l'euro. Il y a un joueur, et son rôle est décisif : l’Allemagne qui, avec sa stratégie nationaliste risque de précipiter la fin de l'Union monétaire.

Publié le 28 avril 2010 à 15:54
160 milliards d'euros en jeu

C'est une autre "tempête parfaite" qui semble s’abattre sur la Grèce et sur l’Europe, sur les Bourses et sur la dette souveraine. Le Financial Times n'avait pas tort pas quand, au début du mois de février, il avait mis en garde le monde entier : attention, les hedge funds (fonds spéculatifs) ont dans leur besace 8 à 10 milliards de dollars de positions à court terme et ils sont prêts à les balancer sur les marchés pour parier sur l’effondrement de la zone euro sous le poids de l’endettement. L’attaque est partie et l’effet domino est non seulement possible, mais il devient probable. Ce bain de sang, qui a déjà coûté 160 milliards d’euros, nous enseigne deux choses fondamentales.

Nouvelle offensive contre le Portugal

Première leçon : les marchés nous montrent du doigt quelque chose, là-haut dans le ciel. Comme toujours, les idiots regardent le doigt et ne voient pas la lune. Le doigt, c’est la Grèce. Un pays désormais défaillant. Sa dette est rabaissée au rang d'obligations pourries. Selon les banques d’investissement américaines, c’est le marché le plus risqué au monde sur les titres à court terme. Dans ces conditions, plus la Grèce cherche des ressources sur le marché, plus elle serre la corde autour du cou de ses finances publiques. Plus elle tente de se sauver, puis elle s’étouffe. Tout cela était prévu. Et ceux qui aujourd’hui font semblant de pleurer versent des larmes de crocodile.

Mais, dans la logique impitoyable des spéculateurs, Athènes est un leurre. Ce n’est pas le véritable objectif. Le vrai, la lune que nous ne voyons pas, est immensément plus grand : c’est l’euro. Au centre du tapis vert autour duquel s'affrontent les Etats et les marchés, il y a l’Union monétaire. L’offensive d’ores et déjà lancée contre le Portugal le montre : voilà un pays dont la dette a été rétrogradée et dont le destin prend le même chemin que celui de la Grèce. C’est la prochaine victime sacrificielle.

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La position allemande "cohérente mais erronée"

Mais jusqu’ici, il ne s'agit que de la défaillance de deux économies périphériques de la zone euro. Le désastre peut commencer juste après. Tragédie grecque, fado portugais, puis drame méditerranéen : l’Espagne et l’Italie sont déjà sur la liste noire des spéculateurs. "Pigs" ou pas "Pigs", nous parlons cette fois des troisième et quatrième économies de la zone euro, de pays considérés comme "too big to fail", c’est-à-dire trop grands pour faire faillite parce que "too big to bail out", trop grands pour être aidés. Mais il est clair que quand viendra le tour de Madrid et de Rome, on en sera déjà à discuter d’un autre monde et d’une autre Europe. C’est cela, la lune que la spéculation a en ligne de mire. Les marchés sont en train de parier sur l’effondrement de l’Union monétaire. Et la nouvelle, c’est qu’ils sont en train de gagner leur pari.

Et voici la deuxième leçon. Les marchés sont en train de l’emporter parce que les Etats tirent à hue et à dia, et l'Allemagne plus que les autres. L'axe franco-allemand qui a mené l’Europe dans les moments cruciaux s’est effondré et la chancelière Angela Merkel est aujourd’hui seule face au reste du continent. La débâcle grecque, avec les eurodélires déclenchés par le plan de sauvetage que les Allemands ont du mal à digérer et ne digéreront peut-être jamais, montre aujourd’hui l’autre visage de l’Allemagne. Dans la "tempête parfaite" de ces derniers mois, la position allemande est "cohérente mais erronée", comme l’a écrit à la mi-mars Wolfgang Munchau dans le Financial Times. Contrairement à ce qui s’est passé dans les plus beaux moments de l’histoire allemande de ces deux dernières décennies (depuis la réunification), l’Allemagne d’aujourd’hui adopte à l'égard de ses responsabilités envers l’Europe une approche égoïste et unilatérale.

Les spéculateurs attaquent comme une meute de chiens les plus faibles du groupe

Même le sommet européen extraordinaire convoqué en urgence le 27 avril a été repoussé au lendemain d'une échéance électorale nationale : le scrutin du 9 mai en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Le gouvernement Merkel ne peut et ne veut pas donner à son opinion publique l’impression de céder aux sempiternels "latinos", les pays laxistes et irrésolus du "Club Med". Par son attitude réticente, l’Allemagne a fourni des armes formidables aux spéculateurs. Si la zone euro n’est pas capable de se donner des règles identiques et partagées par tous pour la discipline des comptes publics, la stabilité des prix, la compétitivité de l’économie, alors l’euro ne peut pas tenir sur le long terme.

Les spéculateurs du monde entier le comprennent et c’est pour cela qu’ils attaquent comme une meute de chiens les plus faibles du groupe. Les gouvernants et citoyens allemands en ont peur et semblent, pour cette raison, se projeter déjà vers une idée "différente" de la zone euro, d’une Union monétaire qui serait restreinte aux seuls pays qui acceptent des normes communes de rigueur comptable et de maîtrise de l’inflation. Selon ce scénario, nous n’aurions plus une monnaie unique, mais deux : un euro de première catégorie pour les pays du Nord, vertueux, et un euro de deuxième catégorie pour les pays du Sud, moins rigoureux. Des économistes allemands et des banquiers anglo-saxons comme Martin Taylor l’ont théorisé ouvertement, et ont même trouvé un nom à ces nouvelles monnaies : le "neuro" et le "sudo". Cela a l’air d’un jeu, mais ce n’en est pas un. Les gouvernements d’Europe ne l’ont pas compris et continuent à plaisanter sous le volcan.

Eclairage

Les agences de notation contre la BCE

"Une nouvelle fois, les agences de notation soufflent sur les braises ", écrit Jean Quatremer sur son blog Coulisses de Bruxelles, en estimant que ces agences, comme Standard&Poor's, Fitch ou Moody's, menacent l'indépendance de la BCE. Car cette dernière "ne prête aux banques commerciales qu'en échange d'actifs notés au minimum BBB-", et lorsque les notes baissent, les banques se débarrassent de leurs titres grecs et aggravent la crise. "Un beau cercle vicieux qu'il faut que la BCE tranche au plus vite en annonçant qu'elle n'exigera plus de note minimale pour les dettes souveraines, à tout le moins pour celle des Etats membres de la zone euro », estime Quatremer. Sinon, "cela signifie qu'elle se laisse dicter sa politique monétaire par des tiers, en l'occurrence des agences de notation anglo-saxonne." Des notations "hautement volatiles et dont le caractère scientifique peut être sérieusement mis en doute", conclut Quatremer.

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