L’euro toujours en danger

Le plan d’aide, approuvé le 2 mai par les pays de l’Eurogroupe, offre une bouée de sauvetage à la Grèce. Mais à plus long terme, l’avenir de la monnaie unique et la gouvernance de l’Union restent menacées, estime la presse européenne.

Publié le 3 mai 2010 à 13:11

110 milliards d’euros, dont 45 cette année. Le plan d’aide, approuvé le 2 mai par les ministres des Finances de la zone euro pour sauver la Grèce de la faillite, était très attendu. Il s’agit d’un "soutien à bout de bras qui écarte le spectre d'une cessation de paiement et va donner le temps à la Grèce d'appliquer une thérapie de choc d'une rare violence à son économie", constate Libération. Mais "les Etats de la zone euro n'avaient plus guère le choix, la panique des marchés face au risque de défaut grec menaçant de gagner d'autres pays de la zone euro, la péninsule ibérique au premier chef."

Certes, se félicite Le Figaro, "un épilogue se profile enfin dans la crise grecque". L’Union européenne contribuera à ce plan à hauteur de 80 milliards tandis que le Fonds monétaire international apportera 30 milliards, ce qui constitue "du jamais vu dans l'histoire financière récente". Mais "la zone euro a brulé", assure Der Spiegelen couverture, en examinant "la dernière des bulles". Car la Grèce n'était qu'un début.

Depuis longtemps, juge l’hebdomadaire, les Etats industrialisés vivent au-dessus de leurs moyens, la crise financière a fait gonfler dramatiquement les dettes publiques. Aujourd'hui, l'heure de la facture a sonné pour cette prospérité à crédit. "Tout le monde ne pourra pas payer", note le Spiegel en esquissant un scénario apocalyptique d'un effondrement financier partant d'Athènes et entraînant l'Europe et le monde dans une crise supérieure à celle déclenché par la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008. "Les économies à travers le monde se trouvent face à une cure de désintoxication très dure ou un long dépérissement."

Le danger de s'enfermer dans "une camisole de force politique"

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Dans ce contexte, "l'euro est-il lui-même en danger ? En un mot, oui", prévient le prix Nobel d'Economie, Paul Krugman, dans une chronique du New York Times reprise par l’Irish Independent. Car il reste à la merci d'une réaction insuffisante des pays européens à la crise. "Ce que la crise démontre, est le danger de s'enfermer dans une camisole de force politique. En adoptant l'euro, les gouvernements grec, portugais et espagnol se sont privés de la capacité de répondre aux événements de manière flexible. Et quand la crise frappe, les gouvernements ont besoin de pouvoir agir. C'est ce que les architectes de l'euro ont oublié et ce dont nous devons nous rappeler."

"Si la crise grecque était un test pour savoir si l'euro peut subsister en temps difficiles on devrait juger avec regret : vous êtes recalés, rasseyez-vous", déplore, de son côté, le Financial Times Deutschland. La question, explique le journal économique, est de savoir "si l'Allemagne, en tant que grand pays de l'euro et socle de stabilité, se tient de toutes ses forces derrière l'euro. L'Allemagne doit changer de cap. Mais le gouvernement ferait bien d'expliquer à ses citoyens que l'euro est bien plus qu'un service qui évite de se rendre à la banque avant de partir en vacances en Espagne."

Berlin doit retrouver son rôle de leader

Pour Barbara Spinelli, les réticences allemandes s’expliquent par "une sorte de mélancolie [qui] menace de submerger les dirigeants allemands, faite de peur de l'impopularité, de méfiance instinctive envers le monde extérieur et d'une singulière forme d'orgueil qui la pousse à refuser, en Europe, d'exercer un leadership politique". La chroniqueuse de La Stampa constate que "l'histoire de la double crise grecque et européenne est à la fois celle de la difficile sortie de l'Allemagne de la mélancolie" et celle de "la lente et hésitante gestation d'un pays qui accepte de mener la sortie de crise en commençant à nouveau à croire en l'Europe".

Barbara Spinelli fait remonter "les nouvelles angoisses de l'Allemagne" et "ses nouvelles méfiances" à 1994, au moment où la France rejetait la proposition allemande d'une plus étroite union politique et militaire. C'est là que se trouveraient les raisons de "la résistance incarnée par la Cour constitutionnelle" allemande et du "faible leadership européen exercé par Angela Merkel". Si l'on veut que cela change et que Berlin retrouve le rôle de leader qui lui sied, conclut Spinelli, "il faut non seulement que l'Allemagne recommence à penser à l'Union, mais que toute l'Europe - à commencer par Paris - réfléchisse à elle-même et aux difficultés allemandes. Les grandes crises sont l'occasion pour que cela se produise".

Le Handelsblatt lance la campagne "J'achète des titres grecs"

Mais aujourd’hui, au sein de l’Union, "les grands pays sont redevenus les patrons", titre le NRC Handelsblad. Le quotidien néerlandais observe que la crise grecque révèle "une nouvelle réalité géopolitique au sein de l’Union européenne. Après une longue période de grande influence politique de la Commission européenne, ce sont plutôt les pays qui tiennent les rênes. Cela veut dire: les grands pays." Et, dans la crise actuelle "c’est un ministre national qui tient les manettes" : le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble. "Il se cache […] derrière le FMI et la BCE, mais ces deux organisations ne font qu’élaborer les détails techniques des réformes et des restrictions budgétaires dictées par Schaüble, que les Grecs ne peuvent qu’accepter".

Face aux doutes, le Handelsblatt a décidé d’agir. "En tant que principal journal économique de la zone euro, Handelsblatt se veut une voix de la raison", écrit Gabor Steingart, son rédacteur en chef. Unissant le geste à la parole, le journal lance une campagne "J'achète des titres grecs", en appelant chacun à aider Athènes, lui-même ayant acheté des titres à hauteur de 8 000 euros. "Les Etats seuls ne peuvent pas sauver la Grèce. La stabilisation du pays ne peut réussir que s'il peut se financer sur le marché. C'est au tour des banques. Mais c'est aussi le tour des citoyens de l'Europe de donner leur contribution à Athènes, de donner surtout de la confiance."

Vu de Madrid

Les banques européennes exposées

Le quotidien El Mundo souligne que "l'UE va lancer le plus grand plan de sauvetage de l'histoire pour calmer son secteur bancaire", car une bonne partie des 110 milliards d'euros qui vont être prêtés à la Grèce en échange du plan d'ajustement structurel sera consacrée à payer les créditeurs. Ces derniers "sont en majorité des banques européennes", "qui détiennent deux tiers de la dette grecque". Le quotidien madrilène souligne que les banques les plus concernées sont les françaises, qui détiendraient 56 milliards d'euros, allemandes (34 milliards) et britanniques (11 milliards). Même le Portugal, autre pays à risque, détient 7,8 milliards d'euros en dette grecque. Le fait "qu'un tiers de la dette portugaise soit entre des mains espagnoles" serait le risque indirect pour l´Espagne, qui va contribuer à hauteur de 9,8 milliards d'euros (12%) au plan européen. El Mundo rappelle dans un éditorial que si le gouvernement ne prend pas des mesures immédiates "l'économie espagnole pourrait se retrouver dans une situation parallèle à celle de la Grèce".

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