Pour vous, ce sera Brown, Clegg ou Cameron ? Des pompes à bière dans un pub londonien

A la recherche d’une nouvelle voie

Incertitudes liées à la crise, «société cassée» voire sentimentalisme excessif : quelques soient les résultats du vote du 6 mai, les Britanniques ont déjà transformé un malaise social en changement politique. Le regard d’un journaliste polonais.

Publié le 6 mai 2010 à 06:53
Pour vous, ce sera Brown, Clegg ou Cameron ? Des pompes à bière dans un pub londonien

Le Royaume-Uni, le pays de l’entreprenariat libéral, avec le principal centre financier d’Europe, la City de Londres, et un nombre record de personnes vraiment riches, est aux abois. Selon certains, c’est le grand malade de l'Europe ; avec son déficit de 180 milliards de livres sterling, Londres n'a pas intérêt à rechigner à propos du désordre grec. L'Etat ne va pas bien, et les gens ordinaires ne se portent guère mieux. L’endettement des ménages y est deux fois plus élevé qu'en France.

De nombreuses associations dénoncent la recrudescence d’agressions à coup de couteau, le phénomène de l’ivresse jusqu’à la perte de conscience chez les femmes et une telle insécurité dans les écoles qu’on y installe des détecteurs de métaux à l’entrée. Les enquêtes sociologiques font paraître une nouvelle catégorie du classification sociale : les NEET (Not in Education, Employment or Training - ni étudiants, ni employés, ni en formation), une catégorie qui est loin de décliner.

La Grande-Bretagne connaît-elle réellement une "récession sociale" ? Le très sérieux hebdomadaire The Economist a récemment passé au crible le phénomène et a démontré, chiffres et graphiques à l’appui, que la criminalité est en baisse, tout comme le nombre de mères mineures (même s’il est le plus élevé en Europe). La consommation d'alcool et de drogue diminue également, quoique de façon marginale. L’opinion publique, elle, garde une image très négative du pays. En 1997, lors l’arrivée au pouvoir du Parti travailliste, 40% des Britanniques estimaient que leur pays devenait de moins au moins agréable à vivre ; avec Gordon Brown Premier ministre, même avant la crise, ce pourcentage atteignait 73% !

Un avenir de sueur et de larmes

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L'an dernier, la popularité de Brown a chuté au point qu’il est devenu clair que si les conservateurs ne parviennent pas gagner maintenant, ils ne gagneront jamais. Mais leur leader David Cameron, avec sa broken society [société cassée], s’est tendu un piège, car si le diagnostic qu’il fait de l’état de la société est exact, la question qui s’impose est celle des moyens proposés pour guérir tout un peuple de cette maladie grave, et cela en temps de crise. En somme, aujourd'hui, avec un déficit record, on ne peut promettre que de la sueur et des larmes. Il n'y a pas d'autre choix que de réduire les dépenses budgétaires (les partis politiques osent plus ou moins l’évoquer), et d’augmenter les impôts (chose qu’ils tentent de passer sous silence).

La campagne électorale puise toutefois dans bien d’autres émotions. Pour les décrypter, on peut commencer par rappeler la réaction hystérique d'une majeure partie des Britanniques à la mort de la princesse Diana en 1997. Elle était la "reine des cœurs", mais considérée avec la plus grande réserve par l'establishment politique, qui ne voyait chez elle ni la classe, ni la maturité requise pour une future reine.

Les tabloïds ont alors très mal pris la publication d'un essai d’Anthony O'Hear, professeur de philosophie et président du Royal Institute of Philosophy, dans un recueil intitulé La sentimentalisation de la société moderne. Selon l’auteur, le deuil universel révélait une tendance profonde et négative du pays à un "goût insatiable pour le sentimentalisme qui ferme les yeux sur la réalité, dans tous les aspects de notre existence."

Nick Clegg, grand gagnant de la nouvelle atmosphère

Qu'est-ce que cela a à voir avec les élections législatives d’aujourd’hui ? Les débats télévisés des principaux prétendants au poste du Premier ministre ont bel est bien introduit un élément nouveau, la réaction spontanée et la référence au sentiment. De tels débats n’existaient pas auparavant. Il ne s’agit pas uniquement de la copie des modèles politiques étrangers, mais de quelque chose de plus important, concernant la nature même du système politique.

Les Britanniques sont obsédés par la formation d'un gouvernement efficace. Il y a chez eux une authentique peur de ce qu’on appelle un hung parliament, littéralement un Parlement suspendu, et des coalitions qui peuvent s’avérer nécessaires. La tradition britannique veut que le gouvernement soit directement responsable devant les électeurs. Dans le cas d’une coalition, ce n'est pas tant le peuple qui confie le pouvoir à un groupe politique particulier que les partis qui s’entendent entre eux, dans le dos des électeurs dépourvus de tout contrôle, explique George Jones, ancien professeur de système politique à la London School of Economics.

La fin de la politique bipartisane

On a vu récemment une grande transformation du système avec la poussée d’un troisième parti, celui des libéraux-démocrates. Pourquoi ce changement ? Parce que pour la première fois, la plupart des Britanniques ont vu leur leader Nick Clegg à la télévision.

Autrefois en Grande-Bretagne on estimait que le vote avait un caractère de classe : les gens votaient comme leur parti. Si vous êtiez pauvres, vous votiez travailliste, si vous ne manquiez de rien, votre vote allait aux conservateurs. Aujourd'hui, ces considérations sont abandonnées, les gens se fondent dans une classe moyenne, sont plus uniformes, ne considèrent plus des partis selon une division de classes.

Il est connu d'avance que le système de scrutin uninominal à un tour joue en défaveur des libéraux-démocrates. Clegg pourrait poser la réforme du système comme condition de sa participation à un gouvernement de coalition. Les conservateurs s'y opposeront. Le Parti travailliste va hésiter. Mais peu importe, il semblerait qu’en Grande-Bretagne la politique bipartisane est bel et bien finie.

opinion

Une élection cruciale

"Un jour d’élections générales est une célébration de la démocratie", écrit leTimes en première page. "Et lors de ces rares jours d’élections – il n’y en a eu que deux ces trente dernières années – où un changement de gouvernement semble possible, ce peut être un jour de libération. Aujourd’hui, cependant, est différent. L’ambiance est sombre. Et nous allons exercer notre droit démocratique avec en sentant de manière inhabituelle le poids de la responsabilité." Car ce 6 mai 2010, constate le quotidien, "il n’est plus évident que la Grande-Bretagne soit en mesure de rester une grande puissance, une société harmonieuse ou une société assez prospère pour être capable de garantir liberté et justice à ses citoyens." C’est donc "le destin du pays" qui se joue, titre le Times au-dessus d’un immense dessin de Peter Brookes montrant un Gordon Brown en train d’inverser la courbe catastrophique de l’état de l’économie du pays. "Ces élections vont définir la Grande-Bretagne pour la prochaine génération."

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