Les risques et périls de la frugalité

Tour à tour, les gouvernements européens s'apprêtent à imposer des coupes sévères dans leurs budgets. Mais cette austérité ne risque-t-elle pas d'entraîner une dépression sociale et ralentir la croissance économique ? s'interroge le Financial Times.

Publié le 14 mai 2010 à 14:39

Tandis que les gouvernements de la zone euro prennent des mesures d’austérité sans précédent depuis des dizaines d’années, la Grèce – considérée comme l’épicentre de la crise – endure une série de violentes manifestations et de grèves générales. Et le risque d’explosion sociale dans le reste de l’Europe n’est pas à prendre à la légère.

Jeudi 13 mai, les syndicats espagnols ont menacé d’organiser grèves et manifestations nationales. Ces pays qui depuis la seconde mondiale sont passés de la pauvreté à la prospérité grâce à des décennies de croissance pratiquement ininterrompue et qui ont toujours bénéficié des largesses matérielles que leur conférait leur adhésion à l’Union européenne, sont sous le choc.

Des pays confrontés à une baisse de leur niveau de vie

Il y a deux choses difficile à avaler : je peux être licencié du jour au lendemain et je vais devoir travailler jusqu’à 65 ans pour toucher ma retraite”, lance Yannis Adamopoulos, agent de sécurité dans une entreprise publique grecque. Un autre Grec, Fotis Magriotis, ingénieur civil en free-lance a mis son SUV en vente. Le marché du travail est plutôt déprimé et les taxes sur l’essence ont déjà augmenté deux fois. “Je n’ai pas le choix”, dit-il. De telles déclarations font rire (jaune) dans la partie nord de l’Europe, où la précarité, la retraite à 65 ans, les petites voitures et le prix faramineux de l’essence sont déjà monnaie courante.

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Au bout du compte, ce sont les marchés financiers et non les austères trésoriers allemands de la zone euro qui ont révélé la vulnérabilité de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal et entraîné un plan de sauvetage de 750 milliards d’euros. Le plan de renflouement d’urgence, visant à libérer la dette publique et les marchés interbancaires, liait l’Union européenne, le FMI et les Etats-Unis : après les deux années de gabegie fiscale qui ont suivi la crise financière de 2008 et qui ont permis de rendre la vie plus facile pendant la récession, les gouvernements vont être contraints de réduire leurs déficits et ce, de manière draconienne.

Pour la première fois depuis que les subventions de l’UE ont commencé à déferler dans les années 80, les Grecs vont être confrontés à une baisse importante de leur niveau de vie : la taille de l’économie va être réduite de 4 % et encore de 2,6 % en 2011. Cette nouvelle réalité imposée par le gouvernement socialiste grec — 12 % de baisse de salaire pour les fonctionnaires, baisse des retraites et vagues de licenciements dans les entreprises du secteur public — a stupéfait les employés du secteur public hypertrophié.

Les Espagnols pensent comme des Cubains et vivent comme des Américains

Un réajustement certes moins sévère mais similaire est actuellement entrepris par le gouvernement socialiste espagnol. Afin de reprendre le contrôle des déficits, le Premier ministre, José Luis Zapatero, a suscité l’indignation de ses anciens alliés dans les rangs des syndicats en revenant sur ces promesses et en réduisant de 5% le salaire des fonctionnaires à partir du mois prochain. Les tenants de l’orthodoxie économique et l’opposition affirment que le gouvernement et les Espagnols ont mis trop de temps à comprendre l’importance d’avoir un secteur privé dynamique pour financer l’Etat-Providence. “Les Espagnols veulent penser comme des Cubains et vivre comme des Américains”, tonne Lorenzo Bernaldo de Quirós, économiste et consultant en entreprise.

Dans le nord, les Allemands se sont montrés à la hauteur de leur réputation de travailleurs diligents, sagement conscients de l’éternel compromis entre les services et la fiscalité. A l’occasion des élections dans le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie [le 9 mai], beaucoup d’électeurs ont dit qu’ils préfèreraient payer plus d’impôts plutôt que de voir leur piscine ou leur crèche locale fermer. “Les Allemands sont nettement plus en faveur de la stabilité et de l’austérité, et non d’une politique de déficit budgétaire, explique Jürgen Falter, qui enseigne les sciences politiques à l’université de Mayence. Cela s’inscrit dans leur mémoire collective, qui remonte à l’époque de l’hyperinflation qui avait balayé l’épargne de leurs grands-parents dans les années 20.”

Une fracture nord-sud qui n'est pas aussi nette qu'il y paraît

Cette fracture nord-sud n’est pas aussi nette qu’il y paraît. La France, à mi-chemin entre le nord et le sud, pourrait être confrontée une explosion sociale liée à la mise en place d’un programme de rigueur sur trois ans du gouvernement. Au nord-ouest de l’Europe, l’Irlande et le Royaume-Uni comptaient parmi les pays européens les plus dépensiers avant l’effondrement de Lehman Brothers : dans ces années d’euphorie où les bulles immobilières et financières enflaient à n’en plus finir.

A Dublin pour le moins, les coupes budgétaires draconiennes destinées à remettre de l’ordre dans les finances publiques commencent à se faire sentir. A un pâté de maison des édifices gouvernementaux, John Myley, un cordonnier, explique que ses clients ont du mal à joindre les deux bouts. “Tout le monde essaye de faire bonne figure. Mais en ce moment, je peux vous dire que j’ai 14 paires de chaussures en attente, les gens attendent la fin du mois pour venir les chercher.”

Le gouvernement britannique, le précédent comme le nouveau, ont proposé des coupes franches dans les dépenses publiques mais le sujet n’a pas été vraiment discuté lors de la campagne et les modalités de ce plan d’austérité n’ont pas encore été divulguées. Personne ne peut savoir comment les Britanniques vont réagir. Mais une baisse de 500 000 livres [586 000 euros] des dépenses affectées à l’université avait suffi pour susciter une levée de boucliers.

"L'argent ne nous appartient pas et la souveraineté n'est qu'une chimère"

Quant aux Européens du sud, ce ne sont pas les paniers percés qu’on nous présente. Les Italiens ont le sentiment que cela fait un moment qu’ils se serrent la ceinture, même si le mot austérité ne fait pas encore partie du vocabulaire politique en Italie, Silvio Berlusconi étant soucieux de ne pas casser l’ambiance. Ces cinq dernières années, les gouvernements de centre-gauche comme de centre-droit ont surveillé de très près les dépenses publiques, ce qui a permis de maintenir le ratio déficit budgétaire - PIB dans des limites raisonnables.

Au Portugal, les habitants plutôt conservateurs en matière d’économie réagissent aux mesures draconiennes d’austérité en faisant des économies : leur priorité étant le remboursement des prêts immobiliers et la défense des emplois. Comme lors des précédentes récessions, quand des milliers de personnes ont travaillé pendant des mois sans être payées, le pays a choisi la résilience plutôt que la révolte. L’épargne des ménages est en hausse et les défauts de paiement des prêts immobiliers restent faibles.

Après une décennie de croissance économique très faible dans la zone euro, les Portugais sont confrontés à quatre année de rigueur supplémentaires avec toutes les frustrations que cela implique. On peut dire la même chose de l’Europe Occidentale. Selon ses moyens, chaque pays de la zone euro prend les mesures qui s’imposent : chasse à la fraude fiscale en Espagne ou en Grèce, réduction des allocations familiales en Irlande et contrôle des dépenses publiques pratiquement partout – pour atteindre l’objectif de déficit budgétaire de 3 % du PIB pour les trois au quatre années à venir.

Le risque c’est que ces mesures prises sous la pression des marchés par une Europe aux abois interviennent trop tard et que ces injections massives d’austérité dans l’économie ne servent qu’à étouffer les premiers regains de croissance et donc aggraver les problèmes budgétaires et engendrer une rechute dans la récession. “Un grand nombre d’Espagnol se sont rendus compte cette semaine que l’argent ne nous appartenait pas, que nous l’empruntions à d’autres et que la souveraineté n’était qu’une chimère, a déclaré un investisseur en capitaux propres privés à Madrid. Il y a urgence en Espagne, et il suffit d’y penser pour se mettre à paniquer.

Espagne

La colère des syndicats contre le plan Zapatero

Les syndicats espagnols n'ont pas bien accueilli le plan déstiné à faire baisser le déficit public espagnol et calmer les marchés présenté le 12 mai par le Premier ministre espagnol, José Luis Zapatero. "La première grève contre zapatero est fixée au 2 juin" titre El Pediodico de Catalunya. Le fossé qui sépare le gouvernement et les syndicats s'est encore un peu plus élargi, le 13 mai, après que les deux principaux syndicats ont exprimé, leur "profond désaccord" avec une décision qui implique, entre autres mesures rigoureuses, une réduction de 5% des salaires du secteur public en 2010 ainsi que le gel des pensions de retraites.

La grève des fonctionnaires, programmée pour le 2 juin, constitue leur première réplique. Si les syndicats "empêchent la radicalisation" du mécontentement et restent pour l'heure modérés quant à la possibilité d'une grève généralisée, ils sont toutefois "en colère" contre les "coupes sociales" et les "concessions" faites par Zapatero aux marchés, note le quotidien. Le gouvernement espagnol doit épargner quelque 15 milliards d'euros s'il veut réussir à réduire son déficit qui s'élève actuellement à 11% du PIB, rapporte El País.

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