La crise de l’euro menace les réformes libérales

Certes, la crise de la zone euro secoue le monde financier. Mais elle pourrait aussi avoir des conséquences politiques insoupçonnées dans les Etats anciennement communistes d'Europe orientale, en mettant à mal les efforts démocratiques, estime le juriste Andrea Capussela.

Publié le 20 août 2012 à 11:09

Comment se présente la crise de la zone euro en Europe de l’Est ? Pour faire court, mal. Récemment, des lois hongroises et des décrets roumains ont soulevé l’ire de Bruxelles. Nombre de commentateurs ont imputé ces décisions aux répercussions politiques de la récession : face à la défiance populaire, à la montée du populisme et à des luttes politiques acharnées, ces gouvernements auraient essayé de consolider leurs positions par des moyens que Bruxelles a jugés peu libéraux ou non démocratiques.

Or, cette interprétation omet l’un des effets majeurs de la crise de la zone euro : la révision des mesures d’encouragement dont bénéficiaient ces pays.

Nul n’ignore que la crise menace directement la survie de l’UE, et qu’elle ne pourra être surmontée qu’en déléguant davantage de souveraineté à l’Europe, sous la forme d’une union politique. Et il est évident que tous les pays membres de l’UE ne pourront pas faire partie d’une telle union. L’alternative est cruelle : la disparition de l’UE ou l’émergence d’une Europe à deux vitesses.

Le noyau de l’Union – la zone euro actuelle, vraisemblablement – restera ouverte aux autres pays, mais le fait de passer d’une union à 27 à une union à 17+10 ne sera pas sans répercussions sur sa politique, puisque les pays situés à la périphérie perdront de leur influence.

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Mauvais élèves

Le problème n’est pas limité à la Hongrie et à la Roumanie, donc, et un rapport de référence publié récemment par l’organisation Freedom House[qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde] affirme que “sur la base des principaux indicateurs de gouvernance, la stagnation et le retour des mauvaises habitudes sont manifestes dans les nouveaux pays membres de l’Union et les pays des Balkans” ; le même phénomène s’observe au Kosovo, un quasi-protectorat de l’Union qui s’obstine à demeurer un “régime autoritaire semi-consolidé”. Ces pays ont le choix entre devenir des Etats membres de seconde zone ou quitter purement et simplement l’Union.

Si les cas hongrois et roumain sont différents – les décisions de la Roumanie sont réversibles, et le pays a répondu favorablement aux requêtes de l’UE –l’accusation reste la même : Bruxelles reproche à ces gouvernements de démanteler ou de menacer l’Etat de droit et les garde-fous constitutionnels qu’ils ont adoptés avant d’entrer dans l’UE. Alarmant ainsi de nombreux commentateurs, car la transition vers la démocratie libérale était jugée irréversible après l’accession des pays de l’Est à l’UE.

Moins de force de persuasion

Ce qui a changé radicalement, entre le processus d’adhésion et la crise, ce sont les mesures incitatives auxquelles étaient soumis les gouvernements. Si elles étaient à l’époque la clé vers une terre promise dont leurs citoyens voulaient faire partie, les institutions libérales sont aujourd’hui devenues des carcans qui obligent ces gouvernements à réagir aux répercussions politiques de la crise devant un électorat désorienté et progressivement gagné par l’euroscepticisme.

Le vrai gardien de ces institutions est donc l’UE. Mais de quelles sanctions crédibles peut-elle menacer des gouvernements qui s’attendent soit à voir la dissolution de l’UE, soit à devenir des membres de seconde zone ?

C’est la raison pour laquelle Budapest et Bucarest peuvent se permettre de braver les foudres de Bruxelles : si leur opportunisme a eu davantage d’incidences positives que négatives sur leur politique intérieure, le risque de sanctions de l’UE n’a rien changé à leurs calculs. Et si d’autres pays n’ont pas suivi le même chemin, c’est peut-être tout simplement parce que la situation sur place ne l’exigeait pas.

Noyau et périphérie

D’autres pays ont été frappés par la récession, le chômage et le populisme, comme l’Espagne et l’Italie (qui souffrent également de graves problèmes de gouvernance : en matière de corruption, elles sont plus mal placées que la Hongrie et ne devancent que de peu la Roumanie). Pourtant, elles n’ont pas bravé l’UE, mais ont souhaité au contraire “plus d’Europe” : une différence majeure étant qu’elles se considèrent comme le noyau d’une éventuelle Europe à deux vitesses.

C’est pourquoi, à l’heure d’élaborer la future union politique, les rapports entre le noyau et la périphérie devraient être organisés de façon à rétablir les mesures incitatives qui ont permis la transition de l’Europe de l’Est. Et les gouvernements qui hésitent à céder une part de leur souveraineté en faveur d’une union politique pourraient méditer sur le fait que la démarche autoritaire et souvent nationaliste de l’Est nous donne sans doute un aperçu du gouffre qui attend l’Europe si celle-ci abandonne l’idée européenne.

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