Iphigénie, Jonas et le sacrifice de la Grèce

Alors que le Premier ministre Antonis Samaras entame une tournée européenne pour demander un assouplissement des conditions du sauvetage de la Grèce, l’éditorialiste Nikos Konstandaras évoque les mythes antiques pour expliquer que ce n’est pas en jetant Athènes à la mer que l’on sauvera l’euro.

Publié le 21 août 2012 à 16:14

De nombreux hommes politiques étrangers, des économistes et autres observateurs ont évoqué la possibilité d’une sortie de la Grèce de la zone euro (et peut-être même de l'Union européenne), de sorte que la question domine l’intégralité des discussions portant sur l'avenir de notre pays. Les pourparlers que le Premier ministre Antonis Samaras doit avoir cette semaine avec Angela Merkel, François Hollande et Jean-Claude Juncker ne feront pas exception. Si nous voulons éviter de parler directement du “sacrifice” de la Grèce, il faut cependant voir comment chaque partie envisage l’idée du départ de notre pays de la zone euro et ses conséquences possibles.

Sens de la tragédie contre pragmatisme

Il est évident que les Grecs et le noyau dur de nos bailleurs de fonds, notamment certains politiques et économistes allemands, affichent une différence culturelle dans ce domaine. Les Grecs parlent du sacrifice d'Iphigénie, un acte qui permettra aux partenaires de hisser les voiles vers leur propre salut, en construisant leur avenir sur la base d’une injustice. Les “étrangers”, pour leur part, semblent considérer la Grèce comme les membres de l’équipage et les passagers qui regardent Jonas avant de décider de le jeter par-dessus bord pour se sauver d’une terrible tempête. Nous, les Grecs avons tendance à voir la dimension tragique des événements tout en restant passifs.

On sacrifie l’innocent pour le bénéfice de tous : la victime n'a aucune implication ou responsabilité au-delà de sa propre existence. Nos partenaires calvinistes, cependant, perçoivent l’effort collectif comme la raison même de la contribution de chaque membre : les rôles ne sont pas prédéfinis, comme dans le monde de la tragédie, mais attribués sur la base de chaque effort individuel. Dans notre monde, la victime est celui qui, pour une raison indépendante de ses propres responsabilités, se détruit pour servir les intérêts obscurs des autres ; alors que pour nos partenaires “pragmatiques”, tout le monde est jugé selon sa contribution à l'ensemble.

Quel est, cependant, le résultat du sacrifice d'Iphigénie, de Jonas ? Et que se passera t-il après l’éventuelle expulsion de la Grèce de la zone euro ou d’une autre institution européenne ? Le sacrifice d'Iphigénie est devenu un symbole d'injustice et de cruauté : elle a taché de sang innocent l'expédition contre Troie, et a fait condamner à mort le chef après son retour. L'aventure de Jonas, qui a été sauvé quand Dieu lui envoya une baleine pour l'engloutir dans son ventre et le poser à terre trois jours après, est le symbole de la toute-puissance de Dieu (pour les juifs, les chrétiens et les musulmans) et de l'incapacité des gens à fuir la volonté du Tout-Puissant (comme l’a tenté Jonas, en fuyant une mission qui lui a été confiée).

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Monstres, prophète et équipage

Il y a deux versions de la fin d’Iphigénie. Dans la première, elle meurt sur l’autel, dans la seconde elle est transportée, par intervention divine, dans une ville étrangère, Tabriz, où elle vécut au milieu des barbares. C’est plus ou moins ce qui nous attend si nous sortons de l’euro. Malheureusement pour nous, l'histoire de Jonas montre que les passagers ont agi à juste titre : la mer s’est calmée, ils ont été secourus et finalement, Dieu a gardé en vie le prophète réticent à servir ses ordres. Peut-être que c’est ce que pensent ceux qui disent qu'ils ne sont pas découragés par la sortie de la Grèce de la zone euro, estimant que la mort sur l'autel porterait un coup fatal à la crise.

Les mythes influencent nos perceptions et la simplification aide souvent à voir avec d’autres yeux les problèmes complexes et modernes. Il suffit de relever les différences avec la réalité. Aujourd'hui, nous devons tous tenir compte du coût d'une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro — pour la Grèce et pour nos partenaires et bailleurs de fonds. Tant que nous nous plaindrons en disant que nous sommes des victimes – une sorte de nouvelle Iphigénie — nous ne nous affranchirons pas de la responsabilité de notre sacrifice.

Ceux qui rêvent que la Grèce soit “jetée à la mer” doivent savoir qu'elle ne sera pas sauvée par la volonté divine, que la crise ne prendra pas fin, et que le monde entier saura que, sur ce bateau, des gens sont sacrifiés. Nous allons recueillir beaucoup de monstres, non pas pour sauver quiconque se dira prophète, mais pour dévorer les autres membres de l'équipage. Jusqu'à ce que tout le monde disparaisse.

Diplomatie

Le chemin de croix d’Antonis Samaras

La semaine d’intense activité diplomatique du Premier ministre Antonis Samaras — le 22 août, il doit rencontrer à Athènes le président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker, le 24 il sera à Berlin pour rencontrer la chancelière Angela Merkel et le lendemain, il doit rencontrer à Paris le président François Hollande — pour obtenir un assouplissement du plan d’économies exigées de la Grèce, commence sous de mauvais auspices, note To Vima :

il ne se passe pas un jour sans que l’on n’entende un responsable allemand nous faire la leçon […] nous avertir une fois encore que, tant que nous n’aurons pas entièrement rempli nos obligations, la route vers la sortie de l’euro est ouverte. […] Ne voient-ils pas, ne comprennent-ils pas que cette attitude aggressive continue n’aide non seulement pas la Grèce, mais qu’elle alimente un climat de tensions sociales et politiques qui exacerbe au lieu de résoudre les problèmes ? Les dirigeants européens — et les Allemands en premier — doivent comprendre que […] le prix d’un effondrement de l’édifice de l’euro ne serait pas douloureux seulement pour les pays du Sud de l’Europe, mais pour le riche Nord aussi…

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