Michael O'Leary, le PDG de Ryanair, lors d'une conférence de presse à Francfort (Allemagne)

Ryanair carbure aux subventions

La compagnie irlandaise à bas coût profite de très généreux subsides dans bon nombre des 200 aéroports régionaux où elle est présente. Certains de ses concurrents, notamment Lufthansa et Air France, estiment qu'elles sont injustifiées, mais elles garantissent sa survie.

Publié le 20 mai 2010 à 15:30
Michael O'Leary, le PDG de Ryanair, lors d'une conférence de presse à Francfort (Allemagne)

Au grand dam de Lufthansa, mais pour le grand bonheur de Ryanair, les habitants de Lübeck ont récemment approuvé le maintien de subventions - financées par leurs impôts - afin de garder leur aéroport (le Hambourg de Ryanair) pour au moins deux ans encore. La compagnie aérienne allemande avait pourtant exhorté les habitants de cette ville prospère à faire passer la construction de crèches, d’écoles et d’hôpitaux avant l’entreprise irlandaise. Pour Lufthansa, l’aéroport de Lübeck n’est que l’un des 200 aérodromes régionaux d’Europe permettant à Ryanair d'engranger des centaines de millions de "subventions injustifiées". "Si l’on supprimait toutes les aides et les subventions que reçoit Ryanair, la société afficherait un bilan économique très différent", déclare un porte-parole de Lufthansa.

Les journaux français évaluent le montant de ces subventions à 35 millions d’euros pour la France et 660 millions d’euros pour l’ensemble de l’Europe. En attendant la conclusion des enquêtes européennes sur de possibles subventions illégales, seul un chiffre peut être avancé avec certitude : les 35 millions d’euros de subventions que révèlent les audits menés dans plusieurs aéroports français contrôlés par les autorités locales. D’après Lufthansa et Air France/KLM, ces chiffres montrent le traitement royal réservé à Ryanair dans bon nombre de ses 200 aéroports européens.

Jusqu'à 32 euros par passager

Les aéroports financés par les impôts locaux et régionaux offrent tellement de subventions et de services gratuits à Ryanair que la compagnie irlandaise ressort presque toujours bénéficiaire de ces accords. Certains aéroports ne se contentent pas de fournir gracieusement du personnel aux comptoirs d’enregistrement de Ryanair, ils se chargent aussi – gratuitement - du nettoyage des appareils. Les avions de Ryanair ont souvent le droit d’utiliser gratuitement les pistes d’atterrissage. Et si des charges sont à payer, elles sont largement compensées par les "aides marketing" généreuses qu'exige la compagnie. Ces aides – chèrement payées – sont accordées contre la promesse faite aux aéroports et aux régions de figurer sur le site Internet et les magazines de vol de Ryanair. L’audit conclut toutefois que l’essentiel des transactions est entièrement favorable à Ryanair.

Dans certains cas, le montant net des subventions représente jusqu’à 32 euros par passager, comme à Rodez, où Ryanair a reçu au moins 3,2 millions d’euros entre 2004 et 2006 pour seulement trois vols par semaine et par destination. A l’aéroport de Beauvais - plus actif - les aides étaient de seulement neuf euros par passager entre 2001 et 2006 mais leur montant total s’élevait toutefois à 28,6 millions d’euros. Certains aéroports ont du mal à débourser de telles sommes. A Bergerac, Ryanair a reçu 2,3 millions d’euros de subventions de la part d’un aéroport, lequel a lui-même dû demander 500 000 euros d’aides à la région afin d'éviter la banqueroute.

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Le conseil régional de Poitou-Charentes, qui gère l’aéroport d’Angoulême, a accepté en 2008 de payer près d’un million d’euros à Ryanair en trois versements annuels. Alors qu’il rassemblait les 225 000 derniers euros dus pour cette année, il a reçu une nouvelle demande de la compagnie à bas coût exigeant 175 000 euros supplémentaires. L’aéroport n’avait pas d’autre choix que de payer ou de voir l’entreprise plier bagage.

Chasse aux subventions

D’autres aéroports ont fait état de tactiques similaires de la part de Ryanair : la compagnie ne cherche pas seulement à percevoir des subventions mais à en augmenter le montant. A l’heure actuelle, les aéroports qui refusent de payer courent le risque de voir leurs comptoirs Ryanair disparaître du jour au lendemain et rouvrir quelques jours plus tard dans un aéroport voisin. Si Ryanair peut se comporter ainsi, c’est parce qu’il n’y a pas de limite au montant des subventions qu’une entreprise peut demander aux régions. L'entreprise n'est pas non plus obligée de rembourser ces aides en cas de suspension du service.

En 2008, les opposants à cette chasse aux subventions ont perdu une bataille : Ryanair a remporté la procédure d’appel déposée contre la décision de la Commission européenne qui jugeait illégales les subventions versées par l’aéroport de Charleroi (le Bruxelles de Ryanair). Pour la compagnie irlandaise, cette décision signifie que toutes ses autres subventions sont, par défaut, également légales. Des sources proches de la Commission laissent toutefois entendre que le jugement a, en réalité, été cassé autant pour de graves erreurs de procédure qu’en raison de la légitimité des demandes de Ryanair.

Jusqu’au printemps dernier, les questions de concurrence entre compagnies aériennes et d’aides gouvernementales étaient essentiellement gérées par la direction des Transports de la Commission européenne. Les choses devraient toutefois changer maintenant que la nouvelle Commission a pris ses fonctions, et que le commissaire européen à la concurrence est chargé des problèmes de concurrence et d’aides gouvernementales pour l'ensemble des secteurs de l’économie. Selon des sources chez Lufthansa, cela signifie que les cinq ou six plaintes restantes à propos des subventions touchées par Ryanair devraient être rapidement examinées et jugées.

Pendant ce temps, certains s’inquiètent de l’intention de Ryanair de nommer Charlie McCreevy à son conseil d’administration. Ancien commissaire européen pour le marché intérieur, cet homme possède une connaissance approfondie - pour ne pas dire inégalée - des rouages économiques européens. L’entreprise ne pouvait trouver meilleur stratège pour poursuivre sa quête de subventions. Après examen de sa candidature, la Commission a donné son feu vert le 5 mai dernier.

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