Hervé Falciani en 2009, à Nice.

L’homme qui valait des milliards

A 40 ans, Hervé Falciani est l'informaticien qui a livré à plusieurs gouvernements européens les fichiers avec les noms de milliers de leurs ressortissants ayant des comptes auprès de la filiale suisse de la banque HSBC. Arrêté à Barcelone fin juillet, il attend d’être extradé vers la Suisse.

Publié le 24 août 2012 à 11:47
Hervé Falciani en 2009, à Nice.

Il n'a pas fallu grand chose pour les trouver. Elles étaient là, sur l'écran d'ordinateur devant lequel il travaillait depuis six ans, au siège de la banque HSBC à Genève. Hervé Falciani était chargé d'améliorer les bases de données des clients dans l'une des plus grandes banques du monde et les informations auxquelles il a eu accès en octobre 2006 avaient une valeur inestimable. C'était des données protégées par le sacro-saint secret bancaire suisse, des comptes de millionnaires qui fructifiaient depuis des années grâce à des transferts invisibles et des flux financiers d'origine douteuse, mais impossibles à suivre. Cet informaticien de 34 ans avait devant lui des milliers de dépôts bancaires d'entreprises et de ressortissants étrangers, en sécurité en Suisse pour échapper à l'administration fiscale de leurs Etats respectifs. C'est l'une des plus grandes affaires de fraude jamais mise au jour.

La scène suivante a lieu presque six ans plus tard, dans le port de Barcelone. Le 1er juillet 2012, Hervé Falciani se rend en Espagne en bateau et c'est lors d'un contrôle d'identité que les autorités tirent la sonnette d'alarme. Ce Monégasque qui a la double nationalité franco-italienne, marié et père d'un enfant, fait l'objet d'un mandat d'arrêt international. Pourtant, ses révélations ont permis de découvrir des milliers de fraudeurs fiscaux dans toute l'Europe et de récupérer près de 10 milliards d'euros qui avaient échappé à l'impôt. Berne le considère comme un malfaiteur, un voleur. Il a été arrêté et désormais, le Tribunal fédéral de Bellinzone l'attend de pied ferme afin de le juger pour vol de données personnelles, infraction au secret commercial et transgression du secret bancaire. Il faudra pour cela que l'Espagne décide de l'extrader, bien entendu.

Entre sa découverte incroyable et son arrestation à Barcelone, six années intenses ont passé, au cours desquelles l'informaticien est devenu un fugitif dont la mise à prix est à la mesure des informations dont il dispose. C'est un délinquant qu'il faut juger et incarcérer selon ceux qui veulent détruire ces données, mais il est vu comme une sorte de héros, un Robin des Bois qui mérite protection, selon les personnes qui veulent les récupérer. Voici ce qui s'est passé entre ces deux dates.

Pilier de l’identité suisse

Après sa découverte, en octobre 2006, Hervé Falciani passe tous les jours une partie de son temps de travail à télécharger les données suspicieuses sur son ordinateur portable. C'est ce qu'il fait systématiquement pendant deux ans, sans exception. Puis, le 20 mars 2008, l'Association suisse des banquiers, qui défend les intérêts du secteur financier helvétique, lance une alerte. Un certain Ruben El-Chidiak s'était présenté le 4 février dans les bureaux de la banque libanaise Audi, à Beyrouth, pour négocier la vente d'une base de données contenant les noms de clients de diverses banques suisses. Selon l'Association, cette information aurait été obtenue grâce à un piratage. Le secret bancaire, pilier de l'identité suisse, est alors en danger.

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La police découvre que derrière Ruben El-Chidiak se cache en réalité Hervé Falciani. Le 20 décembre 2008, l'informaticien et la collègue qui l'accompagnait pendant ce voyage sont arrêtés et interrogés. Il est immédiatement remis en liberté et, le lendemain, il s'installe à Castellar, un village français de la Côte d'Azur situé à la frontière italienne. Il se trouve ainsi entre les deux pays dont il a la nationalité. Il échappe de ce fait aux griffes de Berne, car ni la France ni l'Italie n'extradent leurs ressortissants. La Suisse continue toutefois d'insister. Elle veut récupérer en l'état les données téléchargées par Hervé Falciani, qui, selon la justice et HSBC, est coupable de vol. La Suisse lance alors un mandat d'arrêt international contre lui. Toutefois, dans le cadre de cette poursuite désespérée, les autorités helvétiques ont commis une grave erreur : elles ont demandé à la France de fouiller son domicile, de saisir son ordinateur portable et de lui faire parvenir les archives.

Le 20 janvier 2009, le vice procureur de Nice ordonne la perquisition du domicile d'Hervé Falciani et de sa famille. L'opération de routine se transforme alors en trouvaille exceptionnelle lorsque 130 000 comptes de prétendus fraudeurs fiscaux sont découverts. Le procureur ouvre une enquête, qui n'est toutefois pas dirigée contre l'informaticien mais contre les titulaires desdits comptes. L'affaire de l'ancien employé d'HSBC à Genève commence à circuler et déclenche une crise diplomatique entre la France et la Suisse. Berne accuse Paris d'avoir conservé illégalement des données volées. Le gouvernement de Sarkozy, de son côté, menace d'inscrire la Suisse sur la liste noire de l'OCDE qui répertorie les paradis fiscaux.

6 miliards d’euros de régularisation

C'est en août 2009 que les médias s'emparent de l'affaire. Le ministre du Budget, Eric Woerth, annonce alors être en possession d'une liste de 3 000 comptes suisses, sans pour autant révéler leur origine. Il invite leurs titulaires à se faire connaître du fisc afin de régulariser leur situation. Par la suite, 4 200 personnes se sont présentées à l'administration fiscale et la France a recouvré 1,2 milliard d'euros d'impôts impayés.

Les rares noms qui sont révélés dans la presse française provoquent une série de scandales, en particulier dans les cas de Patrice de Maistre – gestionnaire financier de Liliane Bettencourt, principale actionnaire du groupe L'Oréal –, de l'héritière du fabricant de parfum Nina Ricci et de Jean-Charles Marchiani, bras droit de l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua. La Suisse continue de faire pression pour que la France lui remette l'ordinateur d'Hervé Falciani. Paris n'y consent qu'en février 2010. Avant cela, le procureur de la République envoie des copies à tous les pays avec lesquels Paris a des accords de coopération en matière fiscale et qui en ont fait la demande.

Le 24 mai 2010, l'information communiquée par la France est déjà à l'étude au siège de l'administration fiscale espagnole. Cette dernière invite les fraudeurs présumés à se faire connaître et à régler leur dû, majoré d'une amende. Les sommes recouvrées en Espagne grâce aux données révélées par l'informaticien monégasque représentent, à l'heure actuelle, “la plus grande opération de régularisation de l'histoire du fisc”. Selon des sources non officielles, il s'agirait de plus de 6 milliards d'euros. La liste comporte des hommes puissants, comme Emilio Botín, président de la banque Santander. D'autres grands noms apparaissent aussi sur la liste envoyée à l'Italie. Parmi les 6 963 personnes répertoriées, on trouve notamment les créateurs Valentino et Renato Balestra. Au total, 570 millions d'euros ont échappé au Trésor public italien grâce aux comptes d'HSBC.

Manigances frauduleuses

Actuellement, un mystère demeure : quelles étaient les intentions d'Hervé Falciani lorsqu'il a transféré sur son ordinateur tous ces fichiers ? Souhaitait-il coopérer avec la justice et dénoncer les manigances frauduleuses de son entreprise, comme il l'affirme depuis le début ? Ou voulait-il tout simplement vendre ces informations pour une somme d'argent considérable, comme le maintient la justice suisse ? On peut également se demander si l'informaticien détient davantage de données et s'il peut encore être utile dans le cadre d'enquêtes sur d'autres infractions.

Quinze jours seulement après son arrestation, une commission du Sénat américain a publié le rapport d'une enquête sur le manque de contrôles de la banque HSBC, dans le but de mettre au jour des activités de blanchiment. Hervé Falciani va peut-être devoir ajouter à la liste de ses ennemis – qui compte déjà la justice suisse, l'une des banques les plus puissantes au monde et des milliers de fraudeurs – de dangereux criminels, comme Al-Qaïda et des cartels mexicains de narcotrafiquants. Il est conscient de la valeur des informations qu'il détient et que la fuite en avant est la seule issue qui s'offre à lui.

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