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Tous les dix ans, depuis le XVIIe siècle, les habitants d'Oberammergau, en Bavière, interprètent la Passion. Un événement qui attire les visiteurs du monde entier.

A Oberammergau, c’est Jésus-Christ superstar

Depuis presque quatre siècles, les habitants de ce village bavarois jouent la Passion du Christ pour éloigner le danger de la peste. Un événement haut en couleur qui attire les touristes du monde entier.

Publié le 2 juin 2010 à 15:28
Tous les dix ans, depuis le XVIIe siècle, les habitants d'Oberammergau, en Bavière, interprètent la Passion. Un événement qui attire les visiteurs du monde entier.

Ils sont fadas, les habitants d'Oberammergau ! Au pied du Kofel et de la croix plantée sur son sommet, à 1 342 mètres d'altitude, la modernité - cette sottise - n'a pas droit de cité. Le village est si peu mondialisé que même le cybercafé y fait tache. Et voilà qu'ils remettent cela avec cette lubie loufoque : le Mystère de la Passion: les cinq derniers jours de la vie du Christ, un événement au cours duquel, de mai à octobre, le monde entier va envahir le village situé sur la merveilleuse route touristique des Alpes allemandes. A Oberammergau, la Passion du Christ est presque une affaire d'Etat. Et parce que, cinq mois durant, la moitié du village va se produire sur les planches, la moindre petite modification dans la mise en scène éprouvée fait l'objet de fougueuses délibérations, analyses et discussions qui ne seront parfois tranchées que par un référendum, comme cela a été récemment le cas pour déterminer s'il était indiqué de décaler la pièce pour la jouer non plus le jour, mais la nuit.

Huit-cents acteurs sur scène

Le village compte 5 000 habitants, dont 2 400 font partie de la distribution. Le Théâtre de la Passion, c'est à la fois la passion du théâtre et la théâtralisation de la Passion. Oberammergau est peut-être l'endroit le plus déjanté de Bavière, si ce n'est du monde. Car ce qui se passe ici n'existe nulle part ailleurs. A Oberammergau, on ne parle même pas en années, mais en saisons théâtrales. Pour un événement qui s'est produit en 2001, on dira : "C'était vers la 2000e Passion". Et ainsi de suite.

Ne peuvent interpréter Jésus ou même faire partie du spectacle que les gens nés à Oberammergau, qui y vivent depuis vingt ans ou qui sont mariés à une fille du village. 800 personnes sur les planches, quand ce n'est pas mille, parfois même un cheval et un chameau. La pièce est le fil rouge du village qui permet de sauvegarder son mythe originel par-delà les époques.

Un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros

En 1632, la peste franchit les montagnes et prend la vie de 84 habitants d'Oberammergau. La commune se sent abandonnée de Dieu. En 1633, ses édiles décident que si le Tout-Puissant détourne l'épidémie du village, ses habitants interpréteront tous les dix ans "le Mystère de la Passion, de la mort et de la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ". Leur appel est entendu, la pestilence épargne la bourgade et, à la Pentecôte 1634, les survivants honorent pour la première fois leur promesse, dans le cimetière de la paroisse. Deux cents ans plus tard, la représentation est délocalisée sur le "pré de la Passion", et la scène est petit à petit agrandie, jusqu'à ce que le théâtre ne prenne sa forme actuelle, imposante, en 1929.

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Les Passionsspiele [le spectacle de la Passion] sont désormais un événement de premier plan, essentiel à la survie d'une commune dont l'activité économique est quasi nulle. Le budget des "Jeux de la Passion" s'élevait en 2010 à 32 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires prévisionnel de 100 millions. Un budget autofinancé en intégralité, mais il y a un hic, la crise. Le marché américain stagne et les taux de remplissage ne seront pas de 100 % comme à l'accoutumée cette année.

Porter la barbe est un honneur

Nous sommes à 850 m, la même altitude que Jérusalem. Géographiquement, Oberammergau se situe à la limite Sud du coin de Bavière appelé le Pfaffenwinkel [littéralement, "le coin des calotins"]. Spirituellement, le village est en plein dedans. Sans aucun doute, ce pays est digne de la Bavière des livres d'images, avec ses balcons de bois fleuris, ses églises de style haut-baroque avec leurs clochers à bulbe, un petit pays, fantaisiste et charmant, qui exhibe toute l'année une imagerie de marché de noël.

A partir de la mi-mai, le village accueille chaque jour 5 000 visiteurs, soit le nombre exact de villageois. Ce qui nous fait, à raison de cinq représentations, 25 000 personnes par semaine, et un demi-million de visiteurs de mai à octobre. Aux environs de 22h, les barbus du village rentrent chez eux. Tous ont l'air plus vieux qu'ils ne sont réellement. Ils sortent tout juste de la répétition. Cela fait au moins quinze mois qu'ils n'y touchent plus, et tous ont désormais l'air de disciples, d'apôtres ou de hippies.

Les choses se sont passées ainsi. Le Mercredi des Cendres de l'année dernière, l'arrêté suivant a été publié : "La commune prie tous les acteurs de se laisser pousser les cheveux, y compris la barbe pour les hommes. Signé : le maire et metteur en scène". Pour les habitants d'Oberammergau, porter la barbe est un honneur, tout comme le fait de jouer sans rétribution. Après deux ans et demi sous haute tension, la Rédemption est imminente.

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