Bruxelles propose les OGM à la carte

La Commission veut multiplier les autorisations de plantes génétiquement modifiées, laissant aux Etats la liberté de les interdire. Ainsi compte-t-elle sortir de l'impasse dans laquelle le dossier se trouve depuis des années.

Publié le 10 juin 2010 à 09:24

La Commission européenne a-t-elle trouvé le moyen de débloquer l'épineux dossier des OGM ? Le Vieux Continent, rétif aux plantes génétiquement modifiées, n'en cultive que 100 000 hectares, contre 134 millions dans le reste du monde. Et le président de la Commission, José Manuel Barroso, n'a jamais caché qu'il souhaitait mettre fin à cette exception. Bruxelles examine la possibilité d'accorder davantage de flexibilité aux Etats pour interdire chez eux la culture de semences OGM, même si elles sont autorisées au niveau européen. En échange, les pays hostiles aux biotechnologies cesseraient de bloquer l'approbation de nouvelles variétés transgéniques. Une proposition plus concrète doit être faite courant juillet par le commissaire en charge de la santé, John Dalli. Elle devra ensuite être approuvée par le Conseil et le Parlement européens. Mais la France a demandé que le sujet soit abordé dès vendredi 11 juin, à l'occasion d'un conseil de l'environnement qui se tient à Luxembourg.

Huit Etats se sont déjà opposés à la culture d'OGM sur leur territoire

Concrètement, quel est le dispositif envisagé ? M. Dalli entend modifier la législation actuelle, afin de permettre aux Etats d'interdire des OGM sans être obligés de mettre en place une clause de sauvegarde. Une clause dérogatoire (" opt-out ") serait introduite, que les gouvernements pourraient invoquer, sans justification particulière, pour prohiber telle ou telle culture. L'objectif est clair : préserver le système européen actuel d'autorisation des OGM, tout en donnant aux Etats membres davantage d'autonomie, notamment politique. A ce stade, les clauses de sauvegarde doivent être en effet motivées par des raisons sanitaires ou environnementales. Quand elles ne le sont pas, l'Union européenne s'expose à des plaintes auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

En mars, le collège des commissaires européens avait mis fin à un long blocage, en approuvant la culture de la pomme de terre Amflora, la deuxième autorisation en Europe après celle du maïs MON 810 de Monsanto. Un feu vert très critiqué par les défenseurs de l'environnement. M. Dalli avait alors promis de préciser ses vues sur le dispositif européen d'ici à l'été. Les eurocrates constatent que le cadre actuel n'a pas empêché huit pays, dont la France, l'Autriche, l'Allemagne, ou la Hongrie, de s'opposer à la culture de tel ou tel OGM sur leur territoire par le biais d'une clause de sauvegarde. Dans quatre cas, la Commission a essayé d'obtenir la levée de ces interdictions, dont la validité scientifique est contestée par l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), mais les Etats ont rejeté ces propositions.

"Un piège derrière des propositions séduisantes"

La nouvelle approche vise à combiner la modification du cadre législatif actuel avec une nouvelle recommandation sur la coexistence des cultures OGM et non OGM. La Commission cherche par ailleurs à réduire l'impact de cette réforme sur le marché intérieur : la commercialisation, et les échanges de produits OGM ne pourraient pas être limités, l'"opt-out" ne concernant que les cultures. "Le libre-échange des semences OGM autorisées (...) doit demeurer sans entraves dans le cadre du marché intérieur", indiquent les documents de la Commission, laquelle ne prévoit pas de refondre l'EFSA, dont le fonctionnement a fait l'objet de vives critiques. Paris tient par exemple à ce que ces nouvelles propositions n'entravent pas la feuille de route adoptée à l'unanimité par les Etats membres sous présidence française de l'Union, fin 2008, afin de revoir plus en profondeur le processus d'autorisation, et le fonctionnement de l'EFSA.

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Le ministère de l'agriculture français est opposé à l'introduction du principe de subsidiarité sur la culture des OGM, qui pourrait introduire des distorsions de compétitivité, fait-on valoir. A celui de l'écologie, on insiste sur l'objectif poursuivi à travers la clause de sauvegarde : être sûr de pouvoir cultiver sans risque de contamination. A Greenpeace France, Arnaud Apoteker estime que derrière leur aspect "séduisant", ces propositions représentent un piège : *"*Le texte ne fait aucun mystère que l'intention est d'accélérer les autorisations. Or l'évaluation des OGM n'est actuellement pas mise en oeuvre de façon satisfaisante."

Pour James Borel, vice-président exécutif du groupe agrochimique américain DuPont, la proposition de Bruxelles représente "un grand pas en avant", même si elle n'est pas "idéale". Trois demandes d'autorisation sont d'ores et déjà sur la table du commissaire Dalli, pour les maïs BT 11 du groupe suisse Syngenta, BT 1507 du groupe américain Pioneer (filiale de DuPont), et MON 810 de l'américain Monsanto, pour la reconduction de son autorisation.

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