Il est impossible de savoir quand et comment tout cela va se terminer. Mais au fil des semaines, alors que l’Europe s’enlise dans sa crise la plus grave, il devient de plus en plus évident que la Grande-Bretagne et le reste de l’Union européenne s’orientent dans des directions nettement différentes.
Les esprits y ayant été préparés par près de trois ans de crise de l’euro, Berlin réclame depuis des mois que l’on revienne sur les traités de l’UE afin de favoriser une grande mise en commun — ou un abandon, c’est une question de point de vue — de la souveraineté nationale pour ouvrir la voie à fédéralisation de la zone euro. Cela reviendrait à mettre en place un gouvernement central pour dix-sept pays, et peut-être plus, qui se verrait doté de pouvoirs dans le domaine fiscal et budgétaire. Ce dont Londres ne veut pas entendre parler.
Isolement de Londres
La semaine dernière, la Commission européenne a approuvé le projet allemand, tout en dévoilant une législation problématique qui fait de la BCE le gendarme du secteur bancaire de la zone euro. Et la Grande-Bretagne ne veut pas en être non plus.
Le 18 septembre, le ministère allemand des Affaires étrangères a étendu son idée de fédéralisation de l’économie aux domaines des relations internationales et de la défense, dix autres ministères des Affaires étrangères lui emboitant le pas, soigneusement choisis pour incarner l’Europe moyenne hors Royaume-Uni. Des petits pays, des grands, des membres de la zone euro et d’autres, des Etats occidentaux fondateurs et d’autres plus nouveaux, d’Europe de l’Est. Il est probable que ce consensus qui rassemble onze pays va enfler jusqu’à représenter la majorité des 27. Et là encore, la Grande-Bretagne se distinguera. Parmi les onze, citons l’Allemagne et la France, les plus puissants, mais aussi l’Italie, l’Espagne et la Pologne, les plus grands Etats de l’UE après la Grande-Bretagne.
Autrement dit, l’isolement de Londres va en se confirmant, tandis que le gouffre entre les deux rives de la Manche devient de plus en plus insurmontable. Plus à regret que par colère.
Soutien et exaspération
Nombreux sont ceux qui, en Europe, soutiennent et approuvent le rôle joué par la Grande-Bretagne, la qualité de sa contribution en politique étrangère, en matière de sécurité et de défense, son libéralisme pragmatique, ses interventions au nom des libertés du marché unique, ses instincts antiprotectionnistes, les compétences relatives de son armée, toujours plus réduite, d’eurocrates. Mais son attitude négative, son manque d’esprit d’équipe, sa volonté apparente d’exploiter la plus grave crise jamais connue par l’UE à des fins nationales, voire de politique politicienne, tout cela exaspère.
Londres peine de plus en plus à conclure autre chose que des alliances éphémères et de circonstance en Europe. La Pologne, par exemple, a défendu avec énergie les propositions radicales avancées le 18 septembre en matière de politique étrangère et de sécurité. Il y a encore quelques années, le pays était un allié naturel des Britanniques dans les joutes européennes. Il ne devait rien à la France puisque Paris, non sans raison, considérait l’expansion de l’UE vers l’Est comme un jeu à somme nulle qui risquait d’éroder son influence. Et historiquement, Varsovie ne pouvait que se méfier de Berlin. Depuis, la Pologne a laissé tomber la Grande-Bretagne et calculé qu’il était dans son intérêt de s’entendre avec l’Allemagne.
Banc de touche
Sur la question de l’euro, d’une future fédération politique, du transfert de pouvoirs nationaux aux mains d’institutions européennes, les différences ne manquent pas entre les principaux Etats de l’UE, surtout, fondamentalement, entre Paris et Berlin. Certaines choses ne changeront jamais. Mais cela n’a rien d’un éloignement, il s’agit plutôt d’un débat sur les conditions d’un rapprochement. C’est un processus politique auquel Londres assiste de plus en plus depuis le banc de touche.
Tout tend à prouver, et c’est ce que voudrait la logique, que les traités européens seront révisés et reformulés d’ici un an afin de faciliter le futur transfert de pouvoirs à Bruxelles. Les enjeux sont trop élevés pour que l’UE puisse s’accommoder des problèmes de David Cameron. Soit il parvient à renégocier les termes de la participation du Royaume-Uni — or, il ne lui reste que peu de faveurs à espérer —, soit il se voit contraint d’organiser un référendum britannique. Vu de Bruxelles, le souci n’est pas tant de savoir s’il y aura un référendum que de savoir quelle sera la question posée.