Très chère rigueur

A la veille d’un Conseil européen consacré essentiellement à la réforme de la gouvernance économique européenne, plusieurs pays ont présenté leurs plans de rigueur à la Commission. Basés essentiellement sur des réductions budgétaires, ils pourraient ne pas suffire à sortir durablement l’euro de la crise, note la presse européenne.

Publié le 16 juin 2010 à 14:34

"L’Europe est sauvée, les citoyens vont payer plus" : Rzeczpospolita résume ainsi l’atmosphère à Bruxelles au lendemain du verdict de la Commission européenne sur les plans de rigueur budgétaire adoptés par une douzaine d’Etats membres. Ces plans, qui sont à l'ordre du jour du Conseil européen du 17 juin, sont censés aboutir à une économie de quelque 300 milliards d’euros.

"La perspective d’une faillite de la Grèce a choqué l’Europe et a poussé des pays financièrement solides à mettre en œuvre des coupes", note le quotidien polonais. Ailleurs en Europe, les plans d’austérité présentés jusqu’à présent, affectent en grande partie le secteur public, écrit encore Rzeczpospolita. Ces coupes vont "provoquer davantage de tensions sociales et des vagues de protestation", qui sont notamment à redouter au Royaume-Uni, poursuit le quotidien polonais. Le plan d’austérité britannique doit en effet être annoncé le 22 juin par la nouvelle administration Tory. Un plan, rapporte le Financial Times, qui prévoient des économies "de 20% supérieures à ce qu’avait proposé le gouvernement travailliste".

L’Espagne, pour sa part, est en tête des pays qui peuvent mieux faire : "Bruxelles demande un ajustement supplémentaire de 8 milliards d’euros d’ici à 2011", annonce ainsi en une El País. Ces mesures devraient s’ajouter aux 11 milliards d’euros d’économies déjà prévues. En plus des coupes budgétaires, Bruxelles réclame la réforme immédiate du système de retraites et du marché du travail espagnols, une réforme qui devait être présentée le 16 juin. Mais "ce n’est pas toujours suffisant", estime dans son éditorial El País, qui se réjouit de ce que la Commission "n’ait pas oublié de démentir qu’un plan de sauvetage de l’Espagne est en cours de préparation. Une rumeur qu’ont fait circuler lundi comme une trainée de poudre des médias allemands mal informés". "La question est de savoir si l’Espagne veut rester dans l’euro", commente de son côté El Mundo, selon lequel, "même en retard, Zapatero a pris la bonne décision : il s’est aligné sur les politiques des grands pays et il applique les mesures qui peuvent nous faire sortir de cette crise et nous éviter des ennuis plus importants, ce qui aurait été le cas si nous avions sollicité un plan de sauvetage". Au Portugal voisin, “les nouvelles mesures d’austérité annoncées par Lisbonne ne suffisent pas pour atteindre le but fixé pour 2011 en matière de déficit budgétaire”, note Público. Selon la Commission Européenne en effet, le pays devra faire un effort supplémentaire de 2,5 milliards d’euros.

Malgré les efforts déployés – un plan d’environ 100 milliards d’euros d’économies sur trois ans, ainsi que le très controversé passage de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans – la Commission "considère que la politique budgétaire française ’n'atteint pas’ à ce jour l'effort fixé après concertation avec Paris par les ministres des finances de l'Union européenne", rapporte Le Monde. "Les onze autres pays examinés dans le rapport sont logés à la même enseigne", note Le Figaro, selon lequel, dans un contexte très morose sur les perspectives de reprise, Bruxelles a préféré ne pas faire de vagues", et plaide "pour une stratégie de sortie de crise coordonnée ménageant croissance et assainissement budgétaire. Ce qui ressemble à la quadrature du cercle."

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Les mesures d’austérité adoptées par le gouvernement italien ont en revanche obtenu le satisfecit de Bruxelles,[se réjouit La Stampa](http://www.corteconti.it/export/sites/portalecdc/_documenti/rassegna_stampa/pdf/2010061615960122.pdf  ), même si, poursuit le quotidien turinois, elles ont provoqué la colère des régions, qui estiment devoir supporter l’essentiel des restrictions budgétaires. Par ailleurs, ajoute La Stampa, l’Italie menace de mettre son veto lors du Conseil européen du 17 juin si son concept de dette n'est pas pris en compte : Rome additionne en effet la dette privée et la dette publique, contrairement à Berlin, "pour qui la dette n’est que publique", remarque le quotidien. Satisfaction aussi côté tchèque : Hospodářské Novinynote que la Commission a qualifié de "satisfaisant" le paquet de mesures adopté par le gouvernement par intérim de Jan Fischer. Rzeczpospolita remarque par ailleurs que si plus de la moitié des Etats membres ont présenté des plans d’austérité, la Pologne est le plus grand des Etats à ne pas l’avoir fait. Mais elle ne pourra y échapper, ajoute le quotidien : l’augmentation de l’âge de départ à la retraite ainsi que la réforme de l’assurance social des agriculteurs sont à l’ordre du jour.

"Des règles plus strictes pour les budgets nationaux ne constituent pas encore une stratégie", remarque Die Zeit. L’hebdomadaire de Hambourg suggère à Berlin d’abandonner son principe-phare en matière économique : limiter les dettes. Ses propres dettes, et celles des autres. Ainsi, note le magazine, l’UE, comme l’a voulu l’Allemagne, "clouera au pilori ces Etats qui ont trop de dettes. Pourtant, pour l’endettement, il en faut être deux : débiteur et créancier", poursuit Die Zeit, en pointant le fait que l’Allemagne, par ses exportations, a contribué à la détresse grecque et espagnole. D’où sa proposition : l’UE devrait sanctionner non seulement les rois de la dette mais aussi les Etats à trop fort excédent commercial. C’est une des raisons pour lesquelles le Tagesspiegel suggère au gouvernement d’Angela Merkel de "s’occuper enfin de la consommation intérieure" s’il "veut assurer la stabilité de l’euro". Mais "la consommation ne reprendra pas de sitôt, car les Allemands se serrent la ceinture par peur du déclassement social", estime Der Spiegel, qui cite une étude selon laquelle les classes moyennes sont en train de s’effondrer : en 2000, 66% des Allemands en faisaient partie, contre 60 % aujourd’hui.

Opinion

Une politique de petit pays

Jusqu’à présent, "la tyrannie des petits pays a bien servi l’Union européenne". Mais en macroéconomie, elle est contreproductive, prévient Wolfgang Munchau dans le Financial Times. Le chroniqueur estime que les petits pays peuvent se comporter comme si leur action n’avait aucun effet sur le reste du monde, or la zone euro, rappelle-t-il, est la principale économie de la planète.

De nombreux politiciens et économistes s’alarment de l’ "obsession" allemande de l’austérité, note Munchau, pour qui la France, qui considére que cette tendance mène à la récession, semble être le seul pays "avec une mentalité de grand pays". Pour le journaliste, cette mentalité de petit pays conduit Bruxelles et Francfort, siège de la Banque centrale européenne, à nier l’importance de la croissance, considérée comme un problème purement structurel. La stratégie actuelle de Bruxelles, assure Munchau, pose deux problèmes : elle est orientée vers la compétitivité plutôt que sur la croissance et elle manque de coordination macroéconomique entre pays membres de l’UE. Ce qui met en péril la lutte contre la dette.

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