L’Union rêvée de l’Eurobaromètre

Les enquêtes d’opinion menées par la Commission européenne annoncent toujours un attachement massif des Européens à l'idée d'Union et semblent justifier les projets d’intégration. Cette manière de faire serait anecdotique, si elle ne risquait de creuser encore le fossé avec les citoyens, estime un chroniqueur néerlandais.

Publié le 9 octobre 2012 à 10:13

A Bruxelles, j’ai croisé récemment une des personnes en charge du fameux Eurobaromètre. Une de ces jeunes Européens plein de talent dont regorge le quartier européen de Bruxelles. Je lui ai demandé à brûle-pourpoint de bien vouloir m’expliquer pourquoi les résultats de l’Eurobaromètre se révèlent toujours si favorables à l’Europe.

Les résultats de l’Eurobaromètre jouent un grand rôle. Sous l’égide de la Commission européenne, les tendances de l’opinion publique sont évaluées deux fois par an dans tous les Etats membres de l’UE. Dans les cocktails organisés à Bruxelles et dans les environs, on vous en rebat constamment les oreilles. “Vous dites bien qu’il existe une certaine désillusion vis-à-vis de l’Europe aux Pays-Bas, mais d’après le dernier Eurobaromètre, 65 % des Néerlandais sont totalement favorables à la stratégie Europe 2020”. Il va falloir m’expliquer.

Projets mégalomanes

Il m’est arrivé de dire pour plaisanter que Charlemagne gouvernait l’Europe avec plus de raffinement que les eurocrates depuis leur Olympe bruxelloise. Ceux-ci sont persuadés qu’un sondage d’opinion suffit pour évaluer le soutien à leurs projets mégalomanes. On peut dire ce qu’on veut sur Charlemagne, mais il s’est rendu dans tous les Etats membres de son empire et installait son camp sans cesse à un endroit différent.

Mon interlocutrice bruxelloise a reconnu, après plusieurs bières, que les résultats de l’Eurobaromètre étaient présentés sous un jour plus avantageux pour l’Europe. Les différentes Directions générales de la Commission leur transmettent, à elle et à ses cinq collègues, des questions toutes prêtes et la “DG Communication” veille à ce que le ton, lors de la présentation de l’Eurobaromètre, soit plaisamment europhile.

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J’ai repensé à l’Eurobaromètre quand j’ai eu sous les yeux la récente allocution sur l’Etat de l’Union du président de la Commission, José Manuel Barroso. Il s’agit du discours de politique générale de notre chef de gouvernement européen sans couronne. J’ai pensé en voyant ses propositions : soit cet homme est pris d’un accès de témérité qui confine à la folie, soit il utilise l’Eurobaromètre comme seul reflet de l’opinion.

Comment expliquer autrement que José Manuel Barroso réclame à cor et à cri, au beau milieu de la plus grande crise que l’Europe ait jamais connue, la formation d’une fédération européenne ! Il faut oser le faire, à un moment où les populations ont toutes les raisons d’être désenchantées par le Projet européen – notamment parce qu’une génération entière de jeunes se retrouve sans emploi.

Dans son discours, M. Barroso fonce tête baissée vers le grand idéal d’une Europe post-nationale. Les Etats nationaux doivent presque être abolis afin d’”*atteindre l’envergure et l’efficacité requises pour assurer à l’Union un rang d’acteur mondial. Dans un monde en pleine mutation, c’est la seule issue pour sauvegarder nos valeurs… N’ayons pas peur des mots : nous devrons évoluer vers une fédération d’Etats-nations.*

Le projet d'une minorité

Ce rêve humide bruxellois n’est rien moins qu’un putsch. L’idée d’une fédération européenne à part entière, ou encore d’une union politique européenne, ne bénéficie pas du moindre soutien. Ni auprès des élites politiques nationales – il suffit de constater le silence crispé à La Haye quand on parle de “vision bruxelloise”. Et encore moins au sein de la population, qui n’est pas du tout prête à cela.

Certes, les gens ne veulent pas de Nexit [une sortie des Pays-Pas de l’Union européenne], comme Geert Wilders [leader du PVV, parti populiste d’extrême-droite] a proposé de le faire. Les dernières élections l’ont montré. Mais personne ne soutient non plus une autosuppression impassible des Pays-Bas. Sans vouloir affoler qui que ce soit, à la question de la dernière enquête d’opinion réalisée par le Bureau du plan social et culturel des Pays-Bas (SCP), “Est-ce une bonne chose que les Pays-Bas soient membre de l’UE ?”, seulement 44 % des Néerlandais ont répondu par l’affirmative.

La ventilation de ce pourcentage est dramatique : 67 % des personnes avec un niveau d’éducation supérieur soutiennent la présence du pays au sein de l’UE, contre 37 % dans le groupe d’éducation moyenne [niveau secondaire et brevet professionnel] et 26 % chez les personnes les moins éduquées.

José Manuel Barroso prend donc un très grand risque quand, dans son discours, il oppose frontalement “toutes les forces pro-européennes” aux “nationalistes et populistes”. Il réalise ainsi sciemment un putsch contre les personnes qui en Europe ont un niveau d’éducation faible ou moyen et fait de l’UE le “projet d’une minorité” composée de diplômés de l’enseignement supérieur.

La crise de l’euro est utilisée à mauvais escient à Bruxelles pour poursuivre l’intégration. Or cette approche produit l’effet inverse, déclenchant la plus forte réaction contre le projet européen. Longue vie à l’Europe !

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