German Chancellor Angela Merkel and Spanish Prime Minister Mariano Rajoy

Le spectre du sauvetage espagnol

L’union bancaire sur laquelle les dirigeants européens se sont mis d’accord le 18 octobre n’est qu’un élément d’un jeu plus large qui comprend aussi le contrôle des budgets nationaux et le rôle de la BCE. Et le but des manoeuvres est de savoir si, et comment, l’Espagne demandera une aide.

Publié le 19 octobre 2012 à 14:36
German Chancellor Angela Merkel and Spanish Prime Minister Mariano Rajoy

**Le Premier ministre Mariano Rajoy se déciderait-il à demander un deuxième sauvetage de l'économie espagnole lors du sommet qui a débuté hier à Bruxelles ? C'était la question à un million. Au risque de devoir rectifier le tir, j’ai lancé le pari qu'il ne le ferait pas. Pourquoi ?

On dit souvent que Mariano Rajoy est un indécis, perpétuellement occupé à effeuiller la marguerite. Je ne le crois pas. Je dirais plutôt qu'il a compris que ce sauvetage ressemblait à une partie de poker : il faut savoir cacher son jeu, bien jouer ses cartes, obliger les autres joueurs à montrer les leurs. Et je vous assure qu'ils ne vont pas abattre leur jeu au cours de ce sommet.

Bien des gens en Espagne, notamment les élites financières, croient qu'il n'y a aucune carte à jouer et que le plus judicieux serait de demander le sauvetage une bonne fois pour toutes. Indépendamment du fait que beaucoup d'entre eux défendent ce renflouement parce qu'il arrange leurs affaires et qu'ils savent qu'ils ne devront pas en payer les intérêts, il est clair que l'Espagne a une carte à jouer dans ce domaine.**

Dette espagnole et guerre franco-prussienne

Même s'il y a lieu de critiquer le gouvernement pour son actuelle gestion de la crise, laissez-moi en l'occurrence plaider en sa faveur. Mariano Rajoy a compris que le sauvetage était sa carte maîtresse mais qu'avant de l'abattre, il devait obliger les autres à montrer leur jeu : l'union bancaire européenne, le nouveau fond de sauvetage, l'intervention de la BCE ou le contrôle des budgets nationaux.

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**L’Allemagne ne veut pas jouer la carte de l’union bancaire (sans doute parce que ses banques ressemblent à du gruyère), elle préfèrerait placer les budgets des Etats sous le contrôle d’une sorte de superministre européen. La France s’y oppose parce qu’elle ne veut pas d’une hégémonie allemande et qu’elle est plutôt favorable une union bancaire. Et dans cette nouvelle guerre franco-prussienne, c’est nous qui prenons les coups.

La prime de risque élevée de la dette espagnole, c’est-à-dire le surcoût que doit payer le Trésor Espagnol afin de financer la dette, n’est pas uniquement le fait des difficultés de l’Espagne mais également une conséquence de cette guerre franco-prussienne qui fragilise l’euro. Et si ce différentiel est aussi élevé c’est que les investisseurs redoutent une éventuelle implosion de la zone euro.**

Un jeu de poker

**Nous l’avons bien vu : à peine Mario Draghi avait-il déclaré que la BCE ferait tout son possible pour sauver l’euro que la prime de risque espagnole commençait à baisser. Preuve s’il en est de l’effet de contagion au sein de la zone euro. Pourtant même si la BCE se dit disposée à intervenir, c’est aux intéressés d’en faire la demande. C’est un peu comme si en cas d’épidémie, les malades devaient demander à l’hôpital public d’intervenir. C’est absurde. En outre, on ignore toujours comment interviendra le nouveau fond européen de sauvetage et quelle sera sa puissance de feu.

Nous assistons à une partie de poker des plus complexes. Et l’Espagne ne doit surtout pas dévoiler son jeu avant les autres. Pour autant, il ne faut pas s’attendre à ce que les participants de ce sommet jouent cartes sur table.**

Comment

Le plan d'aide, otage de Paris et Berlin

"Le sauvetage de l'Espagne durcit le bras de fer entre l'Allemagne et la France", titre El País au lendemain du premier jour du Conseil européen :

le sauvetage est là, au coin de la rue, presque complètement acté et uniquement dépendant du calendrier electoral de quelques pays [...] Mais l’Espagne résiste à faire le pas parce que Berlin continue à être la grande peur de Rajoy. L’éxecutif allemand veut se reserver un dernier atout en ce qui concerne les conditions, pour serrer la vis ou céder et être un peu plus souple, ainsi que le réclame Madrid.

Et aussi un nouveau motif d'affrontement entre la France et l'Allemagne, considère le quotidien, qui note que le président François Hollande a accusé la chancelière Angela Merkel de retarder la mise en marche de l’union bancaire pour 2014 "par intérêt électoral", dans l’optique des élections allemandes de l’automne 2013.

Dans la plupart de grands sujets, il y a des différences entre Berlin et Paris. La France veut un sauvetage immédiat de l’Espagne; l’Allemagne prefère d’attendre. La France veut que la lettre et la musique de l’accord de juin sur l’union bancaire soit respectée; l’Allemagne a réussi à faire prévaloir son interpretation. Et ainsi ad infinitum. Bien que l’arrivée de Hollande ait supposé un certain rééquilibrage des rapports de force européens, l’euro est une sorte de compétition économique de laquelle l’Allemagne est clairement sortie vainqueur.

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