Lentement mais sûrement hors de l’ère soviétique

Les législatives du 28 octobre devraient confirmer la mainmise du président Viktor Ianoukovitch sur le pouvoir, et le besoin d’un renouveau dans ce qui reste des forces de la Révolution orange. Mais à long terme, la crise que traverse le pays finira par aboutir à une certaine normalité, assure un journaliste ukrainien.

Publié le 26 octobre 2012 à 15:23

Aujourd’hui, le monde postsoviétique, dont l’édification a été si difficile, s’écroule. Et le sort de l’Ukraine dépend de cet effondrement. Les représentants de l’élite politique, médiatique et économique du pays sont nombreux à se préparer à une longue clandestinité. Comment pourrait-il en être autrement ? En plus de deux ans passés à la présidence, Viktor Ianoukovitch a rassemblé presque tous les pouvoirs entre ses mains. Ce qu’il a fait, avec l’appui d’autres politiciens de son Parti des Régions, ne mérite qu’un seul nom : c’est un coup d’Etat pur et simple.

En modifiant la Constitution, il a réinstauré d’anciens privilèges dans l’institution présidentielle qu’il se trouve occuper, comme par hasard. Il a marginalisé le rôle de l’exécutif, du législatif et du judiciaire, pris le contrôle du secteur de la Défense et empêché le peuple et l’opposition de s’exprimer.

Quelque chose est actuellement en train de naître en Ukraine, quelque chose qui ressemble au régime de Loukachenko en Biélorussie. A une unique différence près : il a fallu des années à Loukachenko pour se transformer en dictateur, tandis que Ianoukovitch l’est devenu en exploitant les droits dont il jouit en tant que président, le tout ne suscitant qu’indifférence de la part de la société ukrainienne. Tout cela ne fait qu’une fois de plus confirmer la thèse des analystes qui disent ouvertement que la Révolution orange de 2004 n’a pas eu pour mobile un désir de démocratie, mais un désir de richesse. Populiste irresponsable pendant la “révolution”, Viktor Iouchtchenko a un court instant été l’idole de millions d’Ukrainiens.

Le Kremlin n'aidera pas Kiev

Pourtant, qui votait pour Iouchtchenko n’exprimait pas son soutien à la liberté, mais à la prospérité. L’état d’esprit des électeurs de ce genre était simple : puisque Iouchtchenko parvient à nous faire verser nos salaires à l’heure, il peut aussi apporter la prospérité à l’Ukraine. Aujourd’hui, l’électorat de Ianoukovitch, pauvre, marginalisé et manquant de tout, éprouve la même déception que ceux qui, il y a quelques années, avaient au départ voté pour Iouchtchenko.

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Pourquoi comparer Ianoukovitch au président biélorusse ? Les analogies existent, mais les conclusions ne sont pas les mêmes. Loukachenko règne depuis 18 ans sur la Biélorussie, alors que son frère jumeau “ukrainien” ne se maintiendra sans doute pas aussi longtemps au pouvoir.

Pour commencer, la dictature biélorusse a un côté extrêmement consumériste, autrement dit, le régime ne comprend pas le sens des réformes économiques. La majorité des produits sont évidemment financés par l’argent russe. Le jour où le Kremlin décidera de ne plus financer son petit frère, la société biélorusse fera l’expérience de la véritable misère. Et cette dernière entraînera l’effondrement du système. Loukachenko finira soit éliminé par les membres de son cercle de proches, soit livré par eux à la justice.

L’Ukraine diffère de la Biélorussie dans la mesure où elle a toujours été capable de vivre par elle-même. Certes, nous payons notre gaz naturel à bas prix, un arrangement obtenu par l’ancien président Léonid Koutchma dans ses négociations avec Boris Eltsine. Cette politique est définitivement terminée. Le Kremlin n’aidera pas Kiev comme il a aidé Minsk. Il ne le peut pas et ne le veut pas.

L'effondrement approche à grands pas

Au stade actuel de l’effondrement du monde postsoviétique, Kiev souffre, mais ces douleurs sont ressenties dans tous les autres Etats successeurs de l’URSS. On ne peut considérer ces pays comme des économies consuméristes que dans la mesure où leurs élites et leurs sociétés continuent d’avoir recours à des moyens et à des ressources soviétiques. Dans quelques-uns d’entre eux, bien sûr, comme la Géorgie, ces ressources sont épuisées. Le gouvernement de Tbilissi a été contraint de concéder un peu de liberté aux petites entreprises tout en luttant contre la corruption. Mais dans d’autres, les ressources naturelles restent importantes. L’Ukraine et la Russie en font partie. Toutefois, leur fin est proche, et elle sera tragique.

Ianoukovitch arrive tout simplement trop tard. S’il avait été président de l’Ukraine en 1994 (comme Koutchma), il gouvernerait encore aujourd’hui et nous nous demanderions si nous verrions jamais le bout de ce cauchemar de 18 ans. Même s’il était devenu président un peu plus tard, peut-être en 2004, il aurait pu profiter de quelques années d’un régime autoritaire sans limite. Jusqu’à l’irruption de la crise économique. Pourtant, curieusement, c’est cette crise économique qui l’a propulsé au sommet. Et c’est pour cela que son régime est protégé. Or, l’ère de l’effondrement, qui approche à grands pas, a besoin du dialogue et de la confiance, plutôt que de la répression et du vol de tout ce qui subsiste dans le pays. Ianoukovitch a manifestement choisi cette dernière solution.

Camisole du paternalisme

Quand son heure aura sonné, il faudra résoudre une autre question. La société ukrainienne est engoncée dans la camisole du paternalisme et n’a pas évolué afin de pouvoir répondre aux graves défis auxquels elle est confrontée.

Cette époque pourrait avoir un visage, celui de Ioulia Timochenko ou de quelqu’un comme elle, une personne qui serait capable de créer un climat politique favorable au débat sur les réformes. Ces réformes seront poursuivies par de nouvelles générations de politiques et d’économistes, mais elles sont encore loin d’être arrivées à maturité.

Entre l’effondrement du régime autoritaire et les premières réformes, nous devrions nous attendre à devoir patienter au moins quatre à sept ans. Et il faudra entre trois et cinq ans pour que les réformes elles-mêmes soient mises en œuvre. Le calcul est simple : dans environ 15 ans, voire seulement huit, l’Ukraine sera un pays relativement normal. Ce n’est qu’alors qu’elle commencera à ressembler à la Pologne d’aujourd’hui.

Cet articl est paru dans le numéro d'octobre-décembre de la New Eastern Review

Vu de Kiev

Une campagne marquée par “une absence totale d’idées”

On ne peut pas dire que la campagne qui vient de prendre fin a été intéressante. Mais, au moins, elle fut instructive”, écrit Serhy Rakhmanine dans Dzerkalo Tyjnia : "Nous avons eu le sentiment d’assister à un concours où l’argent et la facilité règnaient en maîtres”. Par ailleurs, souligne l’hebdomadaire, cette campagne a été marquée par une “absence totale d’idées” chez les partis en lice et par l'“absence perceptible” de Ioulia Timochenko, l’opposante détenue depuis octobre 2011 pour abus de pouvoir. Sans oublier les fraudes, ajoute l’hebdomadaire de Kiev :

le gouvernement n’hésite pas à s’appuyer sur les tribunaux, seuls habilités à démontrer le recours à la corruption ou à des méthodes scandaleuses, comme le démontage illégal de panneaux d’affichage (parfois en présence des forces de l’ordre). Les candidats de l’opposition ont bien tenté d’en appeler à la justice, et dénoncé le refus des autorités locales de distribuer du matériel de campagne et de faciliter l’organisation de meetings, mais en vain. Comme d’habitude, la télévision nationale a largement ouvert ses canaux au Parti des régions, le parti du président Viktor Ianoukovitch, qui s’est arrogé la part du lion en termes de présence sur les chaînes officielles, soit 43,3 % du temps d’antenne.

Je ne sais pas qui, au bout du compte, va l’emporter, et quelles seront les conséquences de ces élections. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le mensonge et l’indifférence ont d’ores et déjà gagné. […] Qu’espèrent les dirigeants des pays occidentaux, qui s’abstiennent diplomatiquement de se prononcer sur notre campagne électorale, préférant en attendre le résultat ? Que leur faut-il donc ? Des milliers d’observateurs ?

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