Une machine diplomatique surdimensionnée

Après de longs mois de tractations entre Commission, Parlement et Etats membres, le Service européen pour l’action extérieure sera opérationnel à l’automne. Reste à prouver que son efficacité peut être à la hauteur de sa complexité et de son coût.

Publié le 23 juillet 2010 à 11:29

Le nouveau service diplomatique de l'Union européenne entrera en fonction juste après l'été. Sa création a été difficile et la décision prise au terme de longs pourparlers entre la Commission, le Conseil européen, le Parlement de Strasbourg et naturellement Lady Ashton, la baronne britannique nommée Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune après la ratification du traité de Lisbonne.

Comme toujours, le noeud du problème réside dans la répartition des pouvoirs entre les différents acteurs, c'est-à-dire entre les divers organes de l'Union européenne : comment se répartiront les tâches entre la Commission et le nouveau service, notamment pour ces important volets des activités de la Commission que sont l'aide au développement et l'aide humanitaire ? Quel contrôle aura le Parlement sur l'action du Haut représentant et du nouveau corps diplomatique ? De qui dépendra l'ensemble sur le plan administratif ? Derrière la lutte que chacun livre pour défendre son rôle et ses prérogatives se posent également des questions de principe : la Commission est un organe supranational, à l'instar du Parlement ; à l'inverse, le Conseil, auquel Lady Ashton se réfère, est composé d'Etats souverains. Indirectement, c'est donc une nouvelle manche de la longue joute européenne entre tenants de l'intégration et tenants de la souveraineté nationale qui se joue ici.

La décision prise est le fruit d'un processus plutôt tortueux et de plusieurs compromis : en principe, les volets politiques de l'action extérieure de l'UE incombent à Lady Ashton et à sa diplomatie, tandis que les instruments financiers seront gérés par la Commission – le SEAE ne sera chargé que de leur planification stratégique, à l'exception, qui plus est, des instruments destinés à l'aide au développement. D'autre part, le Haut représentant informera comme il se doit le Parlement des grandes décisions stratégiques.

L'Union en crise n'a pas besoin de cela

Personne ne s'attendait à ce que la création d'un véritable corps diplomatique européen et la définition de ses rôles se déroulent sans heurt mais il se pourrait, au bout du compte, que le compromis fonctionne. Certes, une fois l'opération terminée, la structure ne sera pas modeste. Le service comptera entre 6 000 et 7 000 diplomates, dont un peu plus de la moitié sera fournie par les institutions communautaires et le reste par les 27 Etats membres. Une bonne partie d'entre eux travaillera à Bruxelles et le reste dans 136 représentations à l'étranger, avec un budget total de près de 3 milliards d'euros. Si l'Europe doit avoir une politique étrangère et de sécurité commune, la création d'un corps diplomatique qui en assure la promotion et la soutienne est un corollaire naturel. Dans les mois qui ont suivi sa nomination au poste de Haut représentant, Lady Ashton s'y est presque exclusivement consacrée.

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Toutefois, on est en droit de se demander s'il est vraiment nécessaire de procéder aujourd'hui, dans l'urgence, à la mise au point d'une structure aussi complexe et coûteuse, à l'heure où l'on soumet les budgets nationaux à des coupes drastiques. A l'heure où les opinions publiques voient les efforts que doit fournir l'Europe en cette période de crise pour concilier des intérêts nationaux divergents à seule fin de défendre l'existant, à savoir l'euro et le pacte de stabilité, en laissant bien peu de place à l'espoir de progrès imminents vers une politique extérieure concertée. A l'heure où tout le monde peut voir que, sur les grands dossiers que doit traiter l'Union, comme la politique à l'égard de la Russie, de la Turquie et même des Etats-Unis, les divergences sont plus manifestes que les points de convergence. En somme, dans une période où, pour faire progresser l'intégration, il serait plus que jamais nécessaire d'avoir le sens du concret et des réalités, on peut se demander s'il est vraiment indispensable de mettre en branle un tel dispositif avant même que son rôle et sa fonction n'aient été clairement fixés.

La machine communautaire a connu par le passé les dérives du gigantisme bureaucratique, où le désir de prestige se mêle aux ambitions nationales : certains tiennent d'ores et déjà des paris sur l'identité du secrétaire général de la nouvelle diplomatie européenne, lequel sera probablement – oyez, oyez ! – un Français, l'ambassadeur Vimont, flanqué – et ce n'est pas un hasard – d'une Allemande. Or, le premier enfant du traité de Lisbonne doit être le fruit d'une action extérieure commune concrète, efficace et rapide, et non pas une simple machine bureaucratique pesante, résultant d'accords en sous-main, et sans identité propre.

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